Psychologie
Témoignage: suis-je altruiste ou inconsciente?
Photographe : Lucilla Perini | A good son
Je peux compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où j’ai eu vraiment peur. Peur au point de sentir mon pouls s’accélérer et mes entrailles se tordre.
Et pourtant, avec le recul, je constate que je m’en faisais souvent plus pour les autres que pour moi. Ce qui me fait me demander si ça relève plus de la générosité ou de l’inconscience, mon affaire...
Ma toute dernière frousse remonte au mois de juin. J’étais assise dans le métro (dans un vieux wagon où, contrairement aux nouveaux, il n’y a pas d’issue possible) quand j’ai remarqué un homme se tordant de douleur devant moi. J’étais sur le point de lui demander si je pouvais faire quelque chose pour l’aider quand je l’ai vu sortir un long couteau de boucher. Le genre qu’on utilise en cuisine pour tailler une pièce de viande coriace et non pour s’offrir un quartier de pomme dans les transports en commun!
L’homme tournait son couteau dans ses mains sans se soucier des gens autour. J’ai tourné la tête, cherchant des yeux un autre passager avec qui je pourrais partager ma détresse, mais les quatre personnes assises à proximité avaient toutes le nez collé sur leur (insérez ici un mot d’église) de cellulaire! Quand j’ai réalisé qu’une mère et son fils d’environ huit ans lui faisaient dos, j’ai commencé à élaborer des scénarios catastrophes (et à hyperventiler!). Et si l’homme se lève et plante son couteau dans le ventre de quelqu’un? Et s’il l’utilise pour s’automutiler? Et s’il prend un individu à la gorge pour en faire un otage? Je craignais pour ma sécurité, mais je m’en faisais surtout pour le petit bonhomme... Je suis demeurée immobile pour ne pas attirer l’attention du fou au couteau et j’ai fait bien attention de ne pas croiser son regard.
Il m’aurait suffi de descendre à la prochaine station pour éviter qu’il ne m’arrive malheur, mais je ne pouvais me résoudre à quitter les autres passagers. Je ne sais pas pour qui je me prends; je ne suis ni urgentologue ni ceinture noire en karaté. En fait, je n’ai aucune aptitude en gestion de crise qui aurait été d’une quelconque utilité, mais je suis tout de même restée. Je me disais que si je partais et que j’apprenais ensuite qu’il y avait eu une boucherie, j’allais me sentir coupable. Mais coupable de quoi?
«Dans une situation de danger réel, les trois réactions typiques de notre système nerveux sont combattre, fuir ou figer, et il n’y en a pas une qui soit plus louable que l’autre. Ce n’est pas parce qu’on fige ou qu’on fuit qu’on est moins forte, moins courageuse que si l’on décide de combattre», explique la psychologue Amélie Seidah.
«Les gens peuvent se sentir très coupables dans des situations d’agression. On se dit qu’on aurait voulu faire ceci ou cela, alors qu’on fait du mieux qu’on peut. Et il faut faire la différence entre une vraie et une fausse culpabilité. Ce n’est pas parce qu’on se SENT coupable qu’on EST coupable. Quand on déroge à nos valeurs, on s’excuse ou on fait un geste de réparation. Dans votre cas, on est dans la fausse culpabilité, parce que vous n’avez rien fait de mal. Et ce n’aurait pas été mal non plus si vous aviez décidé de sortir. Je remarque quand même, sans vous connaître, beaucoup de vos valeurs personnelles là- dedans: celles de vouloir aider, de faire quelque chose et d’être proactive.»
Mme Seidah met effectivement le doigt sur quelque chose. Il est vrai que j’ai le bien-être des autres à cœur. Parfois trop peut-être, car au détriment du mien, mais cette question fera l’objet d’une autre séance chez la psy! Dans le cas de mon épisode traumatique dans le métro et d’un autre qui est survenu dans la dernière année (décidément!), je suis quand même rassurée de savoir qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réaction. Que le corps fait juste ce qu’il peut.
«Des fois, en présence d’anxiété ou de trouble panique, on peut avoir une réaction de peur dans une situation qui est objectivement non dangereuse. Par exemple, je suis à la maison avec mes deux enfants. Et si quelqu’un entrait pour leur faire du mal? La tête part, et on se fait des scénarios sans qu’il y ait eu d’élément déclencheur. Mais normalement, notre système d’alarme va s’enclencher si nos sens détectent un danger dans l’immédiat. Et dans ce cas-là, on remerciera notre système nerveux d’avoir réagi!» conclut Mme Seidah, coauteure du livre La peur d’avoir peur.
Joëlle Bergeron est rédactrice. Dans le métro, elle vous prierait de lever parfois le nez de votre téléphone. Sait-on jamais!