Psychologie

Pourquoi somme-nous fascinés par le «true crime»?

Pourquoi somme-nous fascinés par le «true crime»?

  Photographe : iStock

Balados, chaînes YouTube, livres, séries télé... Les crimes non résolus captivent, toutes plateformes confondues.

Qu’est-ce qui nous attire tant dans ces faits pas si divers? Et en parler autant, est-ce utile ou non?

 

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les histoires criminelles fascinent. À la fin du 18e siècle, les frasques de Jack l’Éventreur captivaient les lecteurs des médias tant londoniens qu’internationaux. Aucun détail sordide n’était épargné pour raconter les macabres découvertes de prostituées assassinées dans le quartier de Whitechapel.

Aux États-Unis, Truman Capote est souvent mentionné parmi les pionniers du crime-réalité. Publié en 1965 dans The New Yorker, puis sous la forme d’un roman l’année suivante, De sang-froid est inspiré d’un crime qui a fait les manchettes en 1959: l’assassinat d’un riche fermier du Kansas et de sa famille. L’écrivain a passé quatre ans – certaines sources parlent de plus de cinq – à enquêter et à interviewer des témoins et des proches des victimes, en plus des deux assassins, pour mettre au monde son œuvre la plus marquante.

Depuis, le genre s’est mué en une multitude d’émissions, de livres et de sites Web. Certains cas célèbres reviennent régulièrement dans l’actualité, comme celui de JonBenét Ramsey, six ans, abonnée des concours de beauté et dont le cadavre a été découvert au sous-sol de la résidence familiale, en 1996. «Je pense que l’intérêt pour le true crime a toujours existé, affirme l’écrivaine et youtubeuse Victoria Charlton, que plusieurs surnomment la “reine québécoise du true crime”. On avait des émissions... avec Claude Poirier, par exemple. Puis c’est devenu plus accessible. On n’a plus besoin maintenant de tomber sur la bonne émission, à la bonne heure. On en trouve sur YouTube, dans les balados...»

L’auteure et scénariste India Desjardins abonde dans le même sens. «Les contes et légendes viennent de faits terrifiants desquels les gens avaient été témoins. On les transformait au gré de l’imaginaire ou de la tradition orale. Par exemple, pourquoi connaît-on encore aujourd’hui l’histoire de La Corriveau, cette femme qui a tué son deuxième mari dans le Québec du 18e siècle? Ces histoires nous fascinent depuis toujours. On a simplement trouvé une nouvelle façon de les rapporter, une façon davantage collée à notre époque. Je crois que le fait de raconter ces histoires donne l’impression d’avoir un peu de contrôle sur ce genre d’événement, comme si on pouvait s’en protéger.»

Arian Bazan, psychologue et docteure en analyse neuropsychologique à l’Université Libre de Bruxelles, adhère elle aussi à cette hypothèse: «Suivre un crime nous donne une idée de ce qu’on peut faire nous-mêmes pour éviter ce genre de situation horrible, a-t-elle affirmé au magazine Vice en 2021. Vous élaborez un plan pour que ça ne se termine pas forcément de façon désastreuse pour vous. Le true crime aide à comprendre les situations qu’on craint, ce qui nous donne un sentiment de contrôle.» Néanmoins, des études ont aussi montré que la consommation de ce type de contenu peut nuire à la santé mentale.

 

true crime

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Aller plus loin

Elle-même passionnée par les crimes non résolus, India Desjardins a eu l’idée du balado Tombé: Michel Brûlé (OHdio) quand son ex-éditeur a été retrouvé mort au Brésil, à la suite d’un accident de vélo, en 2021. «Quelques heures après sa mort, j’ai vu que, comme moi, plusieurs personnes n’y croyaient pas. Je me suis alors demandé pourquoi on n’y croyait pas. C’est ainsi qu’a commencé ma quête. Je me suis demandé “Quel genre de vie faut-il avoir vécu pour que les gens ne croient pas à notre mort?” Cette question m’obsédait. Je voulais comprendre, me confronter à mes préjugés et vérifier certaines hypothèses, quitte à me tromper. J’espérais aussi que cette enquête servirait à décortiquer un cas d’abus de pouvoir pour permettre de reconnaître plus facilement ce genre de situation et peut-être de contribuer à faire avancer un peu les choses.»

Pour elle, les histoires criminelles sont intéressantes à partir du moment où elles vont plus loin qu’une simple liste de faits. «J’aime lorsque j’apprends quelque chose, soit par l’enquête journalistique, soit parce que certains éléments sont décortiqués et expliqués dans des domaines que je connais moins, comme le droit ou la science. En ce sens, j’aime que le cas qui est présenté serve à un sujet plus vaste ou universel, qu’il y ait un angle social, un point de vue journalistique, ou encore que le documentaire contribue à faire avancer l’enquête ou dénonce des injustices.» 

 

De la théorie à la réalité

Dans la série Only Murders in the Building, diffusée à Disney+, trois personnages qui habitent le même immeuble nouent une amitié improbable grâce à leur passion commune pour un balado de true crime. Quand l’un de leurs voisins est retrouvé mort, ils décident d’enregistrer leur propre série pour tenter d’élucider le mystère qui plane autour de ce décès. La première saison se conclut par le dénouement de leur enquête, qui aide les véritables détectives à mettre la main au collet du coupable. Dans la vraie vie, ce genre de scénario est-il possible? Des balados ou chaînes YouTube ont-ils déjà permis d’apporter des éléments de réponse aux enquêteurs? «Sans dévoiler de punch, la deuxième saison de In the Dark a aidé la cause de Curtis Flowers, un homme qui était passible de la peine de mort au Mississippi, raconte India Desjardins. Je crois que d’autres séries, comme Criminal, ont également servi la justice en dénichant des éléments inédits. Mais je pense aussi que ça peut être nuisible. Parfois, les familles de victimes se font harceler par des fans de true crime croyant avoir “la” réponse qui changerait tout. Comme dans tout, il y a du bon et du moins bon.»

Régulièrement contactée par des familles de victimes de différents crimes, Victoria Charlton trouve quant à elle important de mettre en lumière des cas moins médiatisés, mais tout aussi dramatiques pour les proches. «J’essaie de faire une vidéo par mois en collaboration avec les familles.» Au fil du temps, celle qui anime aussi une émission consacrée au true crime sur la chaîne Vrai a établi une relation privilégiée avec certains proches de victimes, mais aussi avec ses fans. «Mes abonnés collaborent beaucoup, dit-elle. Ils partagent les avis de recherche et participent à des collectes de dons pour engager des détectives privés, par exemple.»

Qu’en pense la Sûreté du Québec? «La Sûreté du Québec est au fait de ce phénomène», indique dans un courriel Geneviève Gagnon, conseillère en relations médias et médias sociaux. Cependant, elle n’encourage pas ces initiatives, qui peuvent nuire aux enquêtes en cours. «Même si le dossier date et qu’il semble ne pas y avoir de développements, l’enquête est toujours active.» La Sûreté du Québec recommande plutôt aux citoyens de lui acheminer toute information susceptible de faire avancer les recherches, car les enquêteurs savent comment traiter l’information. «De plus, il est risqué pour un citoyen de se présenter chez des témoins ou toute autre personne d’intérêt. Il peut créer de la confusion sur son statut en plus d’insécuriser ces personnes», souligne Mme Gagnon.

Une chose est certaine, l’intérêt du public pour le true crime ne semble pas près de s’essouffler. Selon Variety, les fans d’Only Murders in the Building, qui met en vedette Steve Martin, Martin Short et Selena Gomez, auront droit à une troisième saison. Sur Netflix, la section «Crime véritable» compte des centaines d’heures de films et de séries à visionner. Alors... rassurés ou plus anxieux?

 

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