Psychologie
Témoignage: Sans enfants, mais tout aussi femme
Photographe : Marie-Ève Tremblay | colagene.com
J'ai 28 ans, je suis célibataire et je ne veux pas d’enfants. Pas maintenant, pas plus tard. Non, je ne changerai pas d’idée. Non, même pas si je rencontre «la bonne personne».
Je n’ai jamais ressenti le désir de porter et de mettre un être humain au monde, ni dans mon cœur ni dans mon ventre. C’est comme ça, c’est tout. Presque chaque fois que j’en parle – à des membres de ma famille, à des amis, à des collègues –, on me demande ce que je ferai de tout ce temps et de toute cette énergie dont jouissent les membres du club des non-parents.
Ai-je envie de me dévouer corps et âme à ma carrière? Préparerai-je un tour du monde en solitaire? Vais-je ouvrir un refuge pour animaux abandonnés et y consacrer tous mes loisirs? La réponse est non.
J’ai décidé de vivre sans enfants, simplement. On me demande sans cesse de justifier mon choix, comme si je devais des explications à la société, puisque je ne remplirai pas «mon devoir de femme», comme si je devais me réaliser dans quelque chose d’extraordinaire pour excuser ma non-parentalité. Est-ce encore tabou de ne pas vouloir donner la vie?
«Ne pas avoir d’enfants est encore l’un des seuls choix que l’on doit défendre, justifier ad vitam æternam», dit Magenta Baribeau, cinéaste et documentariste, réalisatrice du film Maman? Non merci!
«On ne peut se contenter d’une explication simple, du genre “parce que je n’en ai pas envie”. On doit rassurer nos interlocuteurs sur nos valeurs, sur le fait qu’on aime les enfants, qu’on admire les parents. Pourtant, on ne passe pas par un interrogatoire semblable si l’on affirme ne pas vouloir d’animaux de compagnie, de voiture ou de maison en banlieue! Les enfants, ça touche une corde sensible.»
Cette décision, ce non-désir vient effectivement avec son lot de jugement. J’entends: «Détestes-tu les enfants?», «Tu vas passer à côté de la plus belle chose qu’une femme puisse vivre!», «C’est un choix égoïste!» ou alors «Qui s’occupera de toi dans tes vieux jours?» Ça m’irrite. Cuisinerait-on autant un homme de mon âge qui ne désire pas être père? J’en doute.
Mais, dans notre société où être femme est encore grandement associé à être mère, le fait de ne pas vouloir enfanter dérange. Il n’est d’ailleurs avoué qu’à demi-mot. D’après des chiffres de Statistique Canada de 2011, ce sont 5,5 % des femmes âgées de 20 à 39 ans qui ne désireraient pas être mamans. On entend également de plus en plus parler de certains parents qui regretteraient d’avoir eu des enfants – un autre sujet extrêmement tabou!
«Les femmes nullipares – c’est-à-dire qui n’ont jamais accouché, par choix ou non – surprennent, choquent, parce qu’elles incarnent des questions que l’on évite de se poser habituellement, entre autres sur le sens de notre vie à l’extérieur de notre famille», explique Claire Legendre, professeure de création littéraire, écrivaine et femme derrière l’essai collectif Nullipares, récemment publié chez Hamac.
Elle se dit toutefois optimiste. «Les femmes qui ne veulent pas d’enfants ne sont peut-être pas comprises, mais elles sont aujourd’hui tolérées – notamment parce qu’elles reçoivent moins de pression familiale et que le prétexte écologique est souvent brandi comme une excuse recevable. Les esprits mettent du temps à changer, c’est normal. La compréhension viendra.»
Je regarde les femmes de mon entourage, celles qui sont mères, celles qui ne le sont pas et les courageuses qui osent s’affirmer dans leur choix, comme Magenta et Claire, et je vois des géantes, des battantes. J’admire leur résilience, leur force, leur désir de faire avancer les choses, afin qu’on puisse vivre comme on l’entend et que les générations futures profitent de ces libertés. Et je me dis qu’avec ce feu qu’on a en dedans, cette envie de faire mieux pour celles qui suivront, on porte toutes, en quelque sorte, la vie au creux de notre ventre... chacune à notre façon.
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