Psychologie
Témoignage: J'ai renoncé au soutien-gorge!
Photographe : Lucila Perini | agoodson.com
À 28 ans, j’ai embrassé le mouvement no-bra pour des raisons de confort et d’acceptation de soi.
Si l’expérience s’est révélée positive dans ma vie personnelle et étudiante, il en a été autrement dans la sphère publique. «Couvrez ce sein que je ne saurais voir», ai-je entendu de la part d’inconnus. Petite incursion dans mon intimité.
Je n’ai pas toujours aimé mon apparence physique. Ayant souffert de grossophobie par le passé, j’ai longtemps rêvé d’avoir une petite poitrine bien galbée, une poitrine aussi ferme que celle qu’on voit dans les magazines. Pendant le confinement, j’ai donc décidé de reprendre le plein pouvoir sur mon corps «parfaitement imparfait» en me libérant de mes soutiens-gorges. C’était l’occasion idéale pour le faire: tous mes cours au cégep étaient donnés en ligne, sur un écran qui s’arrêtait bien au-delà de mon plexus solaire.
En toute honnêteté, les premiers jours de no-bra ont été difficiles. J’étais complexée par le ballottement de mes seins volumineux lorsque je marchais et dansais. Mais rapidement, j’ai ressenti une grande libération: plus aucune «cage de tissu» ne gênait ma respiration, plus aucune armature n’égratignait ma peau et plus aucune de mes économies n’allait dans l’achat de petites dentelles vantées par l’industrie de la lingerie. En comptant tous les bénéfices, je me suis demandé pourquoi je n’avais pas retiré mon soutien-gorge avant.
En vérité, j’avais peur du jugement extérieur, alors que la société valorise des standards de beauté qui s’écartent de ma morphologie naturelle. «En pratiquant le no-bra, nous pouvons avoir l’impression de partager une part de notre intimité avec les autres, explique la sexologue Julie Lemay. Nous pouvons nous sentir vulnérables en montrant ce que la bourrure d’un soutien-gorge cache: des seins pas forcément symétriques, rebondis ou totalement lisses.»
© Unsplash | Annie Spratt
C’est en reprenant mes cours en présentiel que j’ai compris une chose: mes craintes de déplaire et de me dévoiler sous un autre jour étaient partiellement infondées. Si l’une de mes enseignantes a salué mon geste de libération, certaines de mes consœurs, intriguées, l’ont progressivement exploré ou même adopté. Et ce, en troquant leur soutien-gorge à armature contre une «bralette», puis leur «bralette» contre plus rien du tout. J’étais si fière d’avoir une influence positive sur mon entourage ouvert à la diversité corporelle et aux changements.
La situation a toutefois été différente dans les lieux et transports publics. Surtout en pleine canicule, où mes vêtements étaient forcément plus légers et plus transparents qu’à l’accoutumée. Combien de fois ai-je senti le regard des hommes se concentrer sur le haut de ma robe (surtout si j’avais le malheur d’avoir les mamelons bien pointus)? Et combien de fois, frappée par la gêne ou le dégoût, ai-je voulu me couvrir les seins?
© Unsplash | Rebekah Vos
«Collectivement, nous percevons la poitrine féminine à travers le male gaze, comme s’il était le point d’observation dominant, indique Julie Lemay. Mais rappelons-nous qu’avant tout, les seins ont pour fonction de produire du lait, au besoin, et non d’exciter les hommes hétéros qui leur ont donné un caractère érotique.»
En faisant éclater les modèles dits conventionnels, je ne veux pas attirer l’attention de la gent masculine. Je souhaite seulement occuper l’espace en habitant mon corps. Pleinement. Librement. À mon sens et à celui des experts, il reste un grand travail de sensibilisation à faire dans la société.
«Plus nous allons voir des femmes libérées de leur soutien-gorge, plus nous allons être sensibilisés à cette image et plus nous allons la normaliser, voire la démocratiser. Mais attention: évitons, en tant que femmes, de nous mettre de la pression pour retirer catégoriquement nos brassières, sans quoi nous nous imposons un autre diktat oppressant. Le respect de nos propres limites, l’autocompassion et le libre choix sont primordiaux ici», conseille Julie Lemay.
Avec un regard bienveillant, j’encourage donc toutes les femmes à se questionner sur la fonction réelle du soutien-gorge, sur ses avantages et inconvénients ainsi que sur les raisons qui les motivent à le conserver ou non. Entamer la réflexion en vue de faire des choix éclairés, c’est déjà un bon pas vers le mieux-être individuel et collectif.
*** Melania, une finissante en interprétation théâtrale, ne compte pas remettre un soutien-gorge de sitôt.