Psychologie

Le bonheur d'attendre

Le bonheur d'attendre

Masterfile Photographe : Masterfile Auteur : Coup de Pouce

Communication instantanée, crédit accessible, diètes miracle… Aujourd’hui, tout est pensé pour répondre à nos souhaits avant même qu’on ait le temps de les formuler! Et si le bonheur résidait dans le désir qui dure, plutôt que dans sa réalisation instantanée?

«Malheur à qui n'a plus rien à désirer!» écrivait le philosophe Jean-Jacques Rousseau, qui affirmait également qu'on ne jouit pas autant de ce qu'on obtient que de ce qu'on espère. Et s'il avait raison? Si le bonheur était davantage dans le désir que dans sa réalisation, aurions-nous tort de nous offrir des choses qu'on a à peine le temps de convoiter?

«Tout à fait, confirme la psychologue et auteure Lucie Mandeville. Il faut faire de la place au désir dans nos vies. À toujours tout se donner avant même de le désirer vraiment, on se prive d'un plaisir encore plus grand et on risque de devenir blasée. N'oublions pas que plus le désir est long, plus sa satisfaction procure un bonheur durable!»

Désir + attente = bonheur!

Et nous, fait-on partie de ces adultes au désir émoussé qui ne peuvent résister aux plaisirs, là, tout de suite? De ces adultes qui, comme de jeunes enfants, trépignent d'impatience parce qu'ils n'ont pas ce qu'ils veulent au moment où ils le veulent?

«Il ne faut pas déprécier le désir, mais plutôt l'investir pleinement, suggère Lucie Mandeville. Se préparer à savourer sa réalisation nous donne de l'énergie et nous rend heureux! D'ailleurs, quand on anticipe notre mariage ou un voyage en s'y préparant ou en regardant des images de robes ou de maillots de bain, notre cerveau sécrète les mêmes hormones du plaisir que si l'événement était déjà arrivé!»

Mais attention! Si le fait de désirer peut en effet alimenter notre plaisir, celui-ci risque d'être réduit à zéro si nos rêves ne sont pas réalistes. «Rêver, c'est un plaisir de la vie, lance Sylvie Boucher, psychologue et coach en développement personnel. Il ne faut pas s'en priver. Par contre, on doit essayer de ne pas trop rêver en couleurs. La pensée magique ne mène à rien! S'imaginer gagner des millions au loto ou planifier d'aller à Cuba, croire qu'il fera beau tous les jours et qu'on y rencontrera l'homme de notre vie, c'est anticiper plus que ce que la vie peut nous assurer. On doit réussir à rêver, sans perdre le contact avec la réalité!»

Anne-Isabelle, 38 ans, se souvient de la joie et de l'excitation que provoquait son rêve de vivre dans son propre logement. «À 17 ans, je voulais partir en appartement avec mon amoureux. Comme je n'avais ni l'autorisation de mes parents ni les moyens financiers pour le faire, ma mère m'avait suggéré de faire mon trousseau, comme le faisaient autrefois les femmes avant de se marier. Pendant deux ans, à Noël et à mes anniversaires, j'ai reçu un grille-pain, des draps, des casseroles et des outils pour mon futur chez-moi. Certains soirs, quand je n'en pouvais plus d'attendre, j'ouvrais mon gros bac de plastique et je rêvais en regardant tous mes petits électroménagers», raconte-t- elle, en disant se souvenir davantage du bonheur de ces deux années d'attente que de la joie d'avoir enfin pu emménager dans son premier logement.

La stratégie d'Anne-Isabelle a été la bonne. Plutôt que de focaliser sur l'attente et les inconvénients de ne pas avoir son propre appartement, elle a réussi à se concentrer sur la planification de son déménagement. Chaque élément ajouté à son trousseau l'a aidée à patienter et à rendre son projet plus accessible à ses yeux. «L'être humain n'est pas fait pour attendre trop longtemps, admet Lucie Mandeville. Pour persister dans la réalisation d'un rêve, il faut réussir à faire de la distraction mentale. On peut faire des plans, emprunter des livres ou assister à des conférences qui traitent de notre projet ou s'acheter quelques accessoires qui nous serviront quand notre rêve se réalisera.»

Une société de plaisirs immédiats

Pas facile d'inculquer la valeur du désir et de l'attente à nos enfants quand notre propre capacité à reporter le plaisir est fragilisée par la publicité et l'accès au crédit. En effet, comment demander à nos enfants d'attendre pour obtenir un jeu vidéo, alors qu'on vient nous-même d'acheter un cinéma maison payable en 112 versements?

«C'est certain que notre mode de vie a une incidence sur celui de nos enfants, affirme Alain Caron, psychologue en milieu scolaire et auteur. Le taux d'endettement des ménages québécois dépasse maintenant 160% de leurs revenus annuels! On veut tout tout de suite et nos enfants n'échappent pas à la règle!» Restauration rapide, communication instantanée, jeux vidéo et dessins animés rythmés, relations sexuelles immédiates... Attendre, persévérer, faire durer le désir: des notions qui se sont perdues? «Les changements socio-économiques, démographiques et technologiques des dernières décennies ont effectivement raccourci les délais entre la manifestation des besoins et leur satisfaction, admet Alain Caron. Dans une famille de douze enfants, quand tu voulais un vélo, des patins ou la bouteille de ketchup, tu attendais ton tour! Sur une tablée de deux enfants, c'est certain que la bouteille voyage beaucoup plus vite!»

Dans les années 1960, des chercheurs de l'université Stanford, en Californie, ont tenté, avec leur célèbre expérience de la guimauve, d'établir un lien entre la gratification différée, c'est-à-dire la capacité de reporter le plaisir, et la réussite dans la vie en général. Ils ont placé, tour à tour, une centaine d'enfants devant une guimauve, en leur disant que, s'ils étaient capables d'attendre 15 minutes pour la manger, ils en obtiendraient une deuxième. Résultat? Un enfant sur trois a réussi à résister et à attendre le retour du chercheur pour obtenir une seconde guimauve. Quinze ans plus tard, les chercheurs ont réalisé que les enfants qui n'avaient pas mangé la guimauve, ceux qui avaient une forte capacité à reporter la gratification, avaient mieux réussi que les autres à l'école et qu'ils avaient davantage confiance en eux-mêmes. Les enfants qui ont mangé la guimauve avaient eu plus de problèmes de comportement à l'école et à la maison. Leurs résultats scolaires étaient également moins bons et ils avaient plus de difficulté à garder leurs amis.

L'autocontrôle, ça s'apprend

Si les enfants qui ont su résister à la guimauve ont mieux réussi dans la vie, c'est qu'ils ont su se maîtriser et reporter leur plaisir, deux qualités essentielles pour faire des apprentissages scolaires ou conserver des amitiés ou un emploi. Mais comment ont-ils réussi à se contrôler? Selon Alain Caron, ces enfants ont été en mesure de contrôler leur impulsivité et de bien gérer leur frustration. Ils ont aussi été capables de visualiser ce qu'ils y gagneraient s'ils résistaient à la fameuse guimauve!

La capacité à différer le plaisir se construit au fil du temps, dans la vie de tous les jours. Par exemple, quand notre enfant de 2 ans nous dit qu'il a faim et qu'on lui répond que le repas sera prêt dans une heure, cinq minutes suffisent avant qu'il revienne à la charge: il est incapable d'attendre plus longtemps. Par contre, vers l'âge de 5 ou 6 ans, il aura peut-être appris à attendre 15 ou 20 minutes avant de redemander à quel moment le repas sera servi. «Si on donne à notre enfant une cible atteignable pour qu'il puisse vivre une réussite, il apprendra à différer la gratification sur une plus longue période. On lui inculque l'autocontrôle et il sera de mieux en mieux outillé pour tolérer sa frustration, sa hâte, son anxiété ou son incertitude.»

Vraisemblablement, l'autocontrôle ne faisait pas partie des meilleures compétences d'Isabel. Il y a quelques années, la femme de 41 ans, mère de quatre enfants, n'aurait certainement pas résisté à la guimauve si elle l'avait eue sous les yeux! Elle a dû travailler très fort sur elle-même pour arriver à faire fi des plaisirs immédiats au profit d'un objectif plus grand: celui de perdre du poids. «J'ai toujours été incapable de gérer mes impulsions, mon anxiété et mes émotions. J'ai passé toute ma vie à vouloir maigrir, mais je mangeais tout ce qui me tombait sous la main: crème glacée, sacs de chips entiers, petits gâteaux...»

Aujourd'hui, Isabel est passée de 300 à 174 livres. Comment a-t-elle fait? «Ça n'a pas été facile. Ma source de motivation a été mes enfants. Je voulais vivre en santé et bien dans ma peau pour eux. Ensuite, j'ai suivi une thérapie, modifié mon alimentation et accepté de prendre une médication pour contrôler mon anxiété. Je me donnais de petits objectifs et je me récompensais avec un vêtement quand je les atteignais!» Le plaisir qu'a eu Isabel à se rêver mince et en santé et à travailler pour y arriver aura finalement été plus grand que tous les gâteaux à la crème auxquels elle a renoncé!

Savourer nos désirs, c'est possible!

Voici quelques astuces pour retarder les plaisirs immédiats et réaliser un plus grand désir.

  • Se fixer un but. Pour être motivée et résister à la tentation de la guimauve qu'on a sous les yeux, il faut savoir ce qu'on veut vraiment. On se donne une cible et on se demande pourquoi son atteinte est si importante à nos yeux. Exemple: épargner pour acheter une maison, afin d'avoir plus d'espace.
  • Se récompenser. On divise la réalisation de notre désir en petites étapes atteignables. Lorsqu'on les atteint, on s'accorde des récompenses qui ne sabotent pas nos efforts. Exemple: on planifie d'acheter une maison selon notre capacité financière, et à chaque 500$ qu'on épargne, on se procure un accessoire pour la décorer.
  • Se distraire. On trouve une manière de se distraire de la guimauve qu'on a sous les yeux en s'occupant l'esprit. Il peut s'agir d'une activité qui nous aide à garder notre désir bien vivant, comme des conférences de personnes inspirantes, l'achat d'objets significatifs, etc. Exemple: on veut partir en voyage, mais cela risque de compromettre notre objectif maison? On se change les idées en allant visiter des quartiers et des maisons en amoureux.

Pour aller plus loin

  • Soyez heureux sans effort, sans douleur, sans vous casser la tête, par Lucie Mandeville, Les Éditions de l'Homme, 2012, 228 p., 24,95$.
  • Le Pouvoir de créer sa vie, par Sylvie Boucher, Québecor, 2005, 240 p., 24,95$.
  • Aider son enfant à gérer l'impulsivité et l'attention!, par Alain Caron, Chenelière Éducation, 2005, 116 p., 32,95$

 

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