Couple
Couple: 9 étapes pour établir un compromis
Photographe : Steve Adams
Décider à deux, c’est parfois déchirant. Entre le compromis et le sacrifice, comment atteindre l’équilibre? Explications de celles qui ont tenté de trancher en toute équité.
Ainsi va la vie de couple: il est rare que l’homme qui a conquis notre coeur partage exactement les mêmes aspirations de vie. De là, des décisions s’imposent... et d’inévitables compromis. Quand il y a compromis, y a-t-il nécessairement sacrifices? «Le sacrifice impose l’idée d’un bourreau et d’une victime, explique Jocelyne Bounader, psychologue. Aucun de ces deux rôles n’est intéressant. Même la victime a un pouvoir: celui de créer chez l’autre une “dette” envers elle. Quand va-t-elle faire payer à l’autre son sacrifice? Une relation ne peut pas être bâtie sur cette base. Un compromis présuppose deux gagnants, dont les besoins respectifs ont été entendus, et une décision prise conjointement.»
La ligne reste toutefois très fine entre les deux concepts et, surtout, personnelle à chacun. Élise Castonguay, psychologue, illustre bien la différence avec la métaphore «mettre de l’eau dans son vin». «L’eau peut faire du bien, mais il faut que ça continue à satisfaire notre envie de vin.
La quantité d’eau à ajouter, c’est selon les préférences de chacun. Un compromis devient un sacrifice quand on a tellement mis d’eau qu’on ne goûte plus du tout le vin!» explique-t-elle.
Si l’un veut peindre le salon en rouge et que l’autre préfère le jaune, la solution n’est pas nécessairement d’opter pour l’orange. Quand on fait un compromis, chacun doit être satisfait. «Il faut que les deux partenaires y voient un potentiel de nouveauté et y trouvent leur compte», soutient Louise Grimard, travailleuse sociale et médiatrice familiale. Souvent, le gain pour le couple ou la famille paraît plus clair, mais individuellement, on doit sentir qu’on en retire aussi quelque chose.
Comment établir un vrai bon compromis?
1. Réfléchir à ce que l'on veut
Il y a deux ans, Laurie, 32 ans, a rencontré son amoureux actuel, un père de trois enfants dont il a la garde. «Ça m’a fait beaucoup réfléchir. D’abord, à ce que je désirais dans la vie, mais aussi au fait que j’allais vivre une vie de “parent”, sans même être mère. J’ai bien sûr beaucoup réfléchi à ma propre maternité. Est-ce que mon conjoint serait prêt à replonger dans les couches? Et moi, est-ce que j’étais prête à n’avoir qu’un seul enfant, voire même aucun?»
Un «tête-à-tête» avec soi est essentiel pour prendre conscience de ce que cette nouvelle situation génère en nous, et ce, avant même de discuter avec l’autre. «On observe nos pensées et nos sentiments avec honnêteté sans se juger, sans se blâmer. Ils ne sont ni bons ni mauvais, ils sont là tout simplement. En les nommant, tout devient un peu plus clair», suggère Jocelyne Bounader.
2. Discuter ensemble
Pour trouver un terrain d’entente, on se met en mode business. «On met sur table l’offre de façon très neutre, la tête froide. On réfléchit, on discute, on nomme autant les peurs, les pour et les contre, et surtout, on écoute l’autre», précise Élise Castonguay. Avoir réfléchi de notre côté au préalable nous permet de mieux en discuter ensuite avec notre conjoint sans l’attaquer, l’accuser ou le critiquer. «Si on tombe dans ces pièges, l’autre ne nous écoutera plus, car il sera trop occupé à se défendre», prévient Jocelyne Bounader.
«On doit expliquer tout ce qu’on ressent afin de ne pas développer de rancoeur, d’accumuler des frustrations, confie Laurie. Avant de continuer, chacun devait connaître la position de l’autre sur la possibilité d’avoir des enfants ensemble dans le futur. On en a passé du temps à brasser tout ça! Mais on s’est lancés. Ensemble. J’ai déménagé chez lui, et, depuis un an, tout va bien. Pour l’instant, le projet “bébé” n’est pas concret, on est en mode ajustement. On apprivoise tous nos nouveaux rôles. L’important, c’est que je sens qu’on a pris la bonne décision.»
3. Identifier les valeurs communes du couple
Pour se simplifier la tâche, le couple doit savoir quelles sont ses valeurs communes. Quand Véronique, 38 ans, a rencontré Yann, il y a 16 ans, elle savait déjà que sa carrière de militaire était très importante pour lui. «Peu de temps après notre rencontre, il est parti sept mois en mission. Cette séparation m’a permis de prendre une décision. J’étais prête à ce que l’armée cadence notre vie. Surtout, je savais pourquoi j’acceptais ce compromis: c’était avec lui que je voulais fonder une famille. Ce compromis m’a permis d’être la mère que je voulais être pour mes enfants. Je ne voulais pas être pressée, courir, etc. J’ai pu avoir un emploi à temps plus que partiel. Pour nous, la famille, c’est la base», raconte-t-elle.
Comme un phare, les valeurs du couple servent de guide pour prendre des décisions qui ont un réel sens. «Il y a huit ans, alors que j’étais enseignante, on a choisi de mettre ma carrière de côté au profit de celle de mon chum qui travaille dans le milieu du spectacle, explique Sophie-Anne, 34 ans. Nos horaires étaient peu compatibles. Chez nous, tous nos choix sont fondés sur nos valeurs: l’amour, le partage et la créativité. On les a choisies ensemble au moment où on s’est mariés. Elles sont affichées chez nous, et on y revient souvent.»
4. Établir les priorité de chacun
Une discussion du genre, Véronique et Yann en ont eu pour parler de leur déménagement dans une autre province. «On a établi une liste de nos priorités. J’aurais préféré déménager dans une grande ville pour me trouver plus facilement un emploi, mais ce choix aurait impliqué que Yann parte dès le mois suivant notre déménagement pour une mission. On a accepté de déménager à deux heures d’Edmonton pour qu’il puisse être plus présent et ne pas me laisser seule dès notre arrivée dans cette nouvelle vie.»
5. S'assurer que chaque individu s'accomplisse
Lorsqu’une situation de changement s’impose pour un couple, s’assurer que chaque individu s’y retrouve et puisse s’adapter est primordial. Pour y parvenir, on doit voir le changement comme une occasion à saisir. Souvent plus facile à dire qu’à faire, surtout quand on a l’impression, à première vue, que l’autre va y gagner plus que soi. Pour la survie du couple, il faut à tout prix éviter de tomber dans les concessions, où l’un des deux doit mettre ses idées, ses projets ou ses besoins de côté.
6. Tester notre capacité à s'adapter
Si planifier semble être une clé, se donner le temps de s’adapter est le passe-partout indispensable. Un compromis est un changement qui apporte son lot de bouleversements et d’ajustements. «On se donne de trois à six mois pour s’adapter, le temps de vivre toutes les émotions possibles. Même si on sait qu’on a pris la bonne décision, on est confronté à la réalité de cette transformation», dit Jocelyne Bounader.
Quand Fanny, 41 ans, a rencontré son mari, il était propriétaire d’une ferme à Henryville, en Montérégie. Elle travaillait à Québec. La route qui les séparait comptait plus de 250 km et annonçait son lot de compromis. «Comme il travaille tous les jours, il est venu me voir seulement deux fois au cours des six premiers mois de notre relation. La route, c’est moi qui la faisais. Ensuite, c’est moi qui me suis déracinée et suis allée habiter chez lui dans la ferme familiale où il a passé toute sa vie. J’adore la campagne et j’avais déjà changé de ville trois fois; j’ai vraiment plongé la tête la première dans une bienheureuse ignorance», raconte-t-elle. «Au début, j’ai souvent eu l’impression que mon arrivée ne changeait rien pour Jean, puisqu’au fond ça améliorait, à mon avis, sa routine. Par contre, si, moi, j’étais complètement dépaysée, il l’était aussi par mes idées et mes façons de faire. Il en a passé du temps à me regarder d’un air ahuri, ne comprenant pas du tout ce que je voulais dire par “temps de qualité” et “souper du samedi soir”.»
«Quand j’ai quitté mon emploi, je ne faisais que du travail “invisible” à la ferme. J’ai vraiment eu une crise de remise en question qui a duré plusieurs années. Mon mari a grandement participé à ce que je me fasse un réseau. Parler à des personnes qui comprennent notre réalité et trouvent qu’il n’y a pas de meilleure vie, ça fait du bien. Cette communauté qui m’a si chaleureusement accueillie a fait que je n’ai pas abandonné. J’ai aussi réalisé après un moment que, dans une ferme, il y avait un potentiel assez épatant de défis intellectuels autres que celui de varier les garnitures dans les sandwichs des employés. Ça aurait été un raccourci dangereux de blâmer l’autre quand l’adaptation était difficile. Tous les compromis n’ont pas changé notre couple; ils l’ont forgé. On se sent mieux quand on a trouvé une façon de passer à travers ensemble et on n’a pas le sentiment d’avoir gagné sur l’autre.»
7. Faire des mises au point régulièrement
Pour traverser la période d’adaptation, on fait des minibilans intérieurs. «Ces réflexions ouvrent la porte à des mises au point», soutient Élise Castonguay. Ce n’est pas parce qu’on a accepté de faire un compromis qu’on doit se taire. «Exprimer un besoin n’est pas blâmer l’autre. Le dialogue doit être ouvert avec soi et avec l’autre afin de mieux se comprendre», note Jocelyne Bounader. Encaisser et laisser sa rage couver jusqu’à exploser dans une colère démesurée est néfaste. Personne n’y gagne. «C’est notre responsabilité de donner l’heure juste et aussi de prendre en charge notre propre bien-être en nommant nos besoins et en trouvant aussi des façons de se réaliser», estime Élise Castonguay.
8. S'accorder le droit de changer d'idée
Un compromis n’est pas permanent. «On peut toujours changer d’idée si les choses ne conviennent pas. En huit ans, on a dû réorienter les choses», confie Sophie-Anne. Même chose pour Véronique. «Rien n’est fixe. Quand j’ai eu envie de retourner sur le marché du travail, on s’est assis ensemble pour réévaluer le tout. J’ai parlé de mes besoins. De son côté, il m’a dit tout ce qu’il pouvait faire. Tout a été clair. Si les enfants étaient malades, c’est moi qui devais prendre congé. Mais il acceptait d’être muté pour avoir un horaire plus régulier afin d’être là pour les devoirs et faire le souper.»
Louise Grimard suggère même de mettre ces rencontres à l’agenda pour être sûr d’avoir un temps précis pour en parler. On peut rendre l’exercice agréable en prenant l’apéro le vendredi soir, par exemple.
9. Accepter les conséquences
Malgré les gains, il faut aussi apprendre à jongler avec certains contrecoups du compromis. «Vivre à quatre avec un salaire d’artiste, ça veut dire qu’on vit en appartement, raconte Sophie-Anne. On a une seule voiture. Je n’ai donc pas accès à une auto lorsque je suis seule avec les filles et que mon chum part travailler loin pour une semaine ou plus. J’aimerais consacrer davantage de temps à mon travail d’illustratrice, mais ce n’est pas possible pour l’instant. C’est frustrant parfois, mais il ne reste qu’un an avant que notre plus jeune rentre à l’école. Et notre plus grand bénéfice, c’est qu’on a du temps.»
Même écho chez Fanny. «On prend les décisions nécessaires pour être bien. Ce n’est pas parfait tous les jours, mais quand je pense à mes amis qui se tapent le trafic, la garderie, et qui sont confrontés à des casse-tête quand les enfants sont malades ou qu’ils ont un congé pédagogique, je me trouve chanceuse d’être disponible pour mes enfants.»
Faire équipe n’est pas magique, mais c’est franchement une attitude gagnante. «On doit sentir que l’autre comprend que, sans nous, le projet n’a pas de sens, et qu’on est importante, surtout si notre tâche est moins glamour», estime Louise Grimard. En ayant en tête les raisons pour lesquelles on fait ce compromis, on se concentre sur notre objectif. Et puis, on ne sait jamais, le résultat pourrait nous surprendre...
«C’est moi qui ne voulais plus partir de l’Alberta!, s’étonne Véronique. Je croyais que, comme toute ma famille était au Québec, j’aurais hâte de revenir. Mais non, j’avais changé. On avait tous changé. Notre clan était extrêmement soudé, et j’avais trouvé un boulot formidable avec des horaires parfaits. On a demandé à l’armée une prolongation de son contrat et on est restés un an de plus. Comme quoi, les compromis nous amènent à nous lancer des défis et à changer.»
Les pièges à éviter
- «J’ai dit oui, je ne peux plus rien dire!» Il faut continuer à communiquer, se dire comment on vit la situation et ne pas se sentir emmurée dans une décision. Pour ce faire, on s’exprime clairement et directement, sans espérer que l’autre nous devine. Si on n’est pas bien, il faut le dire clairement plutôt que de semer des pistes floues comme «ouin, la semaine a été longue…»
- «On le sait ben, toi…» Les reproches ne mènent à rien sauf à faire de la chicane. On travaille en équipe vers un gain commun et des gains personnels. La route ne doit pas être pavée de reproches, de critiques et de sacrifices!
- «OK, on verra après!» On ne commence pas par l’action, on débute plutôt par une bonne réflexion: d’abord pour soi et ensuite ensemble.
- «OK d’abord!» Si on n’est pas prêts à se lancer, on n’agit pas du tout! Une puissante zone de turbulences serait à prévoir si on achetait la paix en agissant à contrecoeur.
- «Regarde tout ce que je fais pour toi!» Lorsqu’on cherche un compromis, on mise sur les gains. Quand il y a l’idée d’une dette envers l’autre, on est dans le sacrifice.
- «Je le fais parce que je t’aime» Accepter un arrangement parce qu’on a peur de perdre l’autre cache le danger de se fondre dans l’autre et de s’oublier.
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