Travail
Tout savoir sur le télétravail
«Je gagne environ 2 heures 30 en transport chaque jour!» se réjouit Marie, 49 ans, rédactrice d'examens pour un établissement d'enseignement universitaire. Comme elle habite Vaudreuil, c'est en effet le temps qu'il lui faudrait quotidiennement pour se rendre jusqu'à son lieu de travail, à Montréal, et en revenir.
Mère d'une fille de 16 ans, Marie télétravaille depuis plusieurs années. «J'ai déjà fait du 9 à 5, mais c'est incompatible avec une vie familiale décente. Aujourd'hui, je peux moduler mon horaire à ma guise tant et aussi longtemps que je respecte mes échéanciers», affirme-t-elle. Par exemple, le jour de l'entrevue, elle s'était réveillée à 6 h du matin et se trouvait devant son ordinateur, café en main, quelques minutes plus tard. Ce début de journée de travail très matinal lui permet d'étirer sa période de dîner pour effectuer quelques tâches ménagères. Pour elle, pas question de retourner travailler dans un bureau. «Avant, je devais quitter la maison à 6 h 30 et je rentrais rarement avant 19 h. Je voulais voir grandir ma fille. Aussi, le télétravail s'est présenté comme la solution idéale. Et ma qualité de vie s'est considérablement améliorée», fait-elle valoir.
Le télétravail: une tendance à la hausse
Le télétravail a vu le jour grâce aux nouvelles technologies. En effet, c'est grâce à l'avènement d'Internet qu'il a pu se développer rapidement. Aujourd'hui, la téléphonie IP ainsi que les réseaux privés virtuels (VPN) permettent aux entreprises et à leurs employés de se connecter à distance en toute sécurité. Ces derniers peuvent avoir accès au serveur de l'entreprise, et les appels des clients sont automatiquement transférés du système téléphonique de la compagnie à leur domicile.
Au Canada, on évalue à environ 8 % le nombre d'employés qui, comme Marie, télétravaillent, c'est-à-dire qui oeuvrent pour un employeur en tant que salariés à partir de leur domicile. Au Québec, ce taux est moindre, et tournerait aux alentours de 4 à 5 %. «Le télétravail est davantage développé dans la culture anglo-saxonne», explique Diane-Gabrielle Tremblay, professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux socio-organisationnels de l'économie du savoir, à la Télé-université de l'Université du Québec. «Au Québec, on est un peu réticents vis-à-vis du télétravail, comme c'est aussi le cas en France, où les employeurs préfèrent la gestion ''à vue'', c'est-à-dire une gestion où le patron désire avoir ses employés sous les yeux pour s'assurer qu'ils travaillent», indique-t-elle.
Cela dit, dans la province, si le phénomène du télétravail à plein temps stagne, l'occasionnel (une journée ou deux par semaine) serait en augmentation. Selon Anne Bourhis, professeure et directrice du service de l'enseignement de la gestion des ressources humaines à HEC Montréal, cela s'explique de la façon suivante: «Les jeunes générations recherchent de la flexibilité, notamment pour mieux concilier travail et famille. Dans ce contexte, le télétravail occasionnel donne de la souplesse, sans les inconvénients du travail à domicile à plein temps.»
Le télétravail: pour tout le monde?
On rêve de pouvoir travailler de la maison? Bien que l'idée semble en séduire plusieurs, il s'agit tout de même d'une façon de faire qui ne convient pas à tous.
Marie-Josée, présidente de KinEssor, une firme de service-conseil dans le domaine des technologies, estime que le télétravail réclame certaines qualité. «Il faut des gens autonomes, qui ne se laissent pas distraire et qui font preuve de sérieux et de rigueur», souligne-t-elle.
Si on a de la difficulté à créer une barrière entre notre vie personnelle et notre vie professionnelle, on risque de trouver l'aventure difficile. Catherine, 40 ans, a gardé de bien mauvais souvenirs de son expérience de télétravailleuse à titre de rédactrice pour un site Internet. Pas facile de se concentrer sur le boulot quand elle voyait les tâches de la maison s'accumuler. «Il faut être disciplinée pour travailler de la maison. On regarde le linge sale qui s'accumule, on pense aux courses à faire...» dit-elle.
L'inconvénient numéro un mentionné par les télétravailleurs interviewés est l'isolement. «Chez soi, il n'y a pas le côté social qu'on retrouve dans un bureau, commente Patricia, 32 ans, analyste financière pour des usines d'impression. C'est sûr que ça manque, on ne peut pas jaser toute seule dans sa cuisine avec sa cafetière! Pour compenser, je planifie plusieurs activités à l'extérieur, je fais du sport et j'ai aussi beaucoup d'amis. Et puisque je passe moins de temps dans les transports, je peux consacrer plus de temps à ma vie personnelle.»
Le télétravail à temps complet n'est peut-être pas non plus pour celles qui aspirent à progresser sur le plan professionnel, selon Anne Bourhis. «Loin des yeux, loin du coeur, dit le proverbe. C'est la même chose pour un employé qui se trouve loin du bureau: on pensera moins à lui pour de nouveaux dossiers, pour suivre de la formation et même pour les promotions.»
Par ailleurs, certaines tâches se prêtent mieux au télétravail que d'autres, par exemple celles qui ne réclament pas un contact étroit avec les autres employés, comme l'analyse de dossiers, l'entrée de données, la rédaction, la traduction, la comptabilité, etc. On pense aussi au service à la clientèle, puisque les nouvelles technologies permettent de transférer les appels au domicile des télétravailleurs et que ceux-ci peuvent accéder à la base de données de l'entreprise à partir de leur ordinateur portable. En revanche, certains emplois demanderont toujours un contact direct avec la clientèle ou les collègues et ne se prêtent donc pas au télétravail.
Télétravail: qu'en pensent les employeurs?
Richard, gestionnaire au département de comptabilité d'une entreprise de service, ne croit pas que le télétravail soit toujours utile: «Lorsqu'ils travaillent de chez eux, les employés n'ont pas nécessairement accès aux ressources. Parfois, on peut trouver une solution à un problème simplement en discutant avec des collègues à côté de la machine à café. Chose qui serait impossible seul chez soi...»
De son côté, Jean-François, gestionnaire dans une compagnie du secteur des technologies de l'information, estime que le télétravail, lorsqu'il est fait par des individus qui possèdent les qualités requises, peut, au contraire, accroître la productivité. «Le gestionnaire doit rendre l'employé responsable de son rendement. Ce faisant, celui-ci devient comme une PME au service de l'entreprise. Il fait preuve de plus de créativité et d'initiative que s'il était constamment sous supervision», insiste-t-il.
«On doit gérer l'équipe de façon différente, explique Marie-Josée. Pour ma part, je fonctionne par objectifs et par livrables. Je mesure la productivité des employés par la qualité de leur travail et leur respect des échéanciers.» Une de ses employées, Marilou, 31 ans, conseillère marketing, mère d'un jeune enfant et enceinte d'un deuxième, peut en témoigner. «Ma patronne voit les résultats de mon travail et elle me fait confiance. Mais c'est sûr que cela demande de la discipline.»
Ce que confirme Diane-Gabrielle Tremblay: «Les gestionnaires craignent que la productivité ne diminue avec le télétravail. Or, c'est le contraire qui se produit. Les employés considèrent que le télétravail est un avantage et font en sorte de le conserver, en travaillant plus fort, notamment», indique-t-elle.
Télétravail: pour que ça marche...
1.On établit clairement notre horaire. Si on reste à la maison, on pourra s'acquitter de certaines tâches personnelles, pour autant qu'elles n'entravent pas notre travail. Par exemple, Jacqueline, 60 ans, traductrice pour une compagnie pharmaceutique, utilise son heure de lunch pour laver ou plier du linge, vider le lave-vaisselle, aller payer des factures et faire l'épicerie. Même chose du côté de Marie, pour qui la période du dîner est entièrement consacrée à de petites tâches domestiques et à la planification du souper. L'important, c'est d'arriver à équilibrer le tout et de s'entendre avec notre patron. Pour éviter des conflits, on précise à l'avance quels sont les moments de la journée où on pourra nous joindre et on s'assure que l'information est connue de tous les membres de notre équipe. Et on respecte cet horaire!
En effet, Jean-François peut en témoigner: certains, lorsqu'ils ne sont pas sous supervision immédiate, prennent parfois des libertés... «Nous étions dans une période très intense, un jour d'échéance, et mon épouse a croisé un de mes représentants des ventes au supermarché en train de faire son épicerie! Selon son agenda, il devait rencontrer un client à cette heure-là...»
2. On sépare clairement vie personnelle et vie professionnelle. «Les entreprises qui donnent de la formation pour bien préparer leurs employés au télétravail leur expliquent que, même s'ils oeuvrent à domicile, ils doivent faire comme s'ils se rendaient au bureau. Cela permet de faire une coupure entre vie privée et vie professionnelle», explique Anne Bourhis. Par exemple: se lever à la même heure, s'habiller, se coiffer et même se maquiller, sont de bonnes façons de se mettre dans le bain. Stéphanie, 35 ans, analyste aux opérations pour une agence de publicité et mère de deux jeunes enfants, abonde dans ce sens. Pour elle, on doit être disciplinée et suivre la même routine que si on allait au bureau. «Ça met les idées en place et ça aide à se mettre au boulot», affirme-t-elle.
3. On garde contact avec les membres de l'équipe. Pour briser l'isolement, beaucoup d'entreprises misent sur la communication instantanée avec les collègues que permet un service comme MSN Messenger, par exemple. C'est le cas pour Véronique, directrice adjointe du Réseau d'observation de mammifères marins de Rivière-du-Loup. «Je suis basée à Québec, mais j'ai aussi des collègues à Gaspé et à Rivière-du-Loup, et nous utilisons MSN constamment. Ma patronne s'en sert également pour communiquer avec nous. Ça aide beaucoup à créer une synergie et un esprit d'équipe.»
4. On divise nos tâches. Si on télétravaille à temps partiel, on pense à attribuer aux journées à la maison des tâches qui ne nécessitent pas l'aide de nos collègues: rédaction de dossiers, élaboration d'échéanciers, tâches administratives, etc.
5. On fait garder les enfants. Le télétravail permet-il de garder un oeil sur les enfants entre deux coups de téléphone? «La plupart des entreprises exigent de leurs télétravailleurs qu'ils prévoient une solution de rechange pour s'occuper de leurs enfants ou de parents âgés qui vivraient sous le même toit. Le télétravail n'est pas la recette magique pour prendre soin des personnes qui dépendent de nous», dit Anne Bourhis. En fait, le principal avantage concernant les enfants, selon les personnes interrogées, c'est de pouvoir aller chercher nos petits un peu plus tôt ou d'être là quand ils reviennent de l'école. Certaines personnes peuvent donc choisir d'interrompre leur journée de travail à leur retour, soit en commençant plus tôt ou en terminant une partie du boulot une fois les enfants couchés.
Télétravail: comment convaincre notre patron de tenter l'expérience?
On aimerait tenter l'expérience? Voici quelques arguments à faire valoir:
- réduction du temps de déplacement et de la fatigue qui en résulte;
- plus de facilité à se concentrer, pas de bavardage inutile avec les collègues;
- productivité accrue;
- possibilité d'utiliser notre espace de travail au bureau à d'autres fins, ou de l'attribuer à quelqu'un d'autre;
- possibilité d'être en contact avec le reste de l'équipe en utilisant la vidéoconférence et la téléconférence.
On peut proposer à notre employeur une formule d'essai pendant quelques mois ou une journée par semaine, histoire de voir si ce type d'organisation du travail fonctionne pour nous. On s'assure de s'entendre sur les modalités (heures de travail, pauses, échéanciers, etc.) au départ.
Pour en savoir plus
- Travail Québec: portrait d'entreprises qui offrent divers modèles de télétravail. Une bonne piste pour s'inspirer.
- Centre canadien d'hygiène et de sécurité au travail: chapitre entier consacré au télétravail, d'un point de vue sécuritaire. À consulter si on souhaite faire le saut.
- Revue Gestion: dossier sur le télétravail de Diane-Gabrielle Tremblay et Laurent Taskin publié au printemps 2010.