Travail
Sur les traces de papa
À la ferme
Sophie Forget, 26 ans
«Des quatre enfants, j'ai toujours été celle qui suivait mon père. Lorsqu'il partait faire des livraisons, je sautais dans le camion, juste pour être avec lui. Le samedi matin, je me levais avant les autres pour l'aider à faire le train. J'aimais mieux nettoyer la porcherie que la maison! Mon père clamait que c'était dangereux, une ferme, pour une enfant, mais je résistais. À 12 ans, j'allais faire le train seule, les week-ends, et je lui interdisais de vérifier mon travail. Je voulais qu'il me fasse confiance! C'est vrai que certaines tâches sont plus difficiles à cause des limites physiques. Mais là où mon père se serait servi de la force, moi, je dois me servir de ma tête. Quand un cochon de 80 kg est blessé au fond du parc, je trouve le moyen de le sortir de là! Il m'est impensable d'abandonner notre ferme. Je me suis mariée, en mai dernier, avec un producteur laitier dont la ferme est située à 124 km de la nôtre, et je suis enceinte de jumeaux. Mon rêve, c'était d'avoir mon mari et ma ferme. J'ai les deux, mais séparés! Maintenant, j'ai un autre rêve: celui de dire à mes parents: "Ce matin, vous partez profiter de la vie. La ferme, je m'en occupe."»
Luc Forget, 55 ans
«Quand Sophie était petite, je lui disais que j'allais lui vendre la ferme. Même que j'allais la lui donner! Ces 30 dernières années, la ferme a largement fait vivre mes quatre enfants. Mais aujourd'hui, il en coûte 150 $ pour élever un porc, et l'abattoir nous en donne 70 $. J'ai l'impression de lui léguer un guet-apens. La situation de l'industrie est catastrophique. Les fermes porcines ferment. Il faut chercher d'autres manières de s'en sortir. Sophie possède cette créativité et ensemble, nous prenons le virage. Ça faisait 10 ans que je rêvais d'une boucherie où les gens pourraient acheter du porc en sachant d'où il vient et comment il a été nourri! Ça y est, on l'a! Notre boucherie, Cochon cent façons, est un projet commun, mais aussi un projet de survie pour notre ferme. Ce que je veux, c'est léguer à Sophie une entreprise en bonne santé. Ç'a été une adaptation difficile, au début, d'avoir ma fille comme associée. C'est dur d'être patient quand tu es jeune! Sophie avait ce besoin légitime de faire sa place! Mais on ne met pas de côté 30 ans d'expérience. Sophie a dû se battre pour s'imposer et j'ai dû m'ajuster. Elle a une détermination à toute épreuve. Et quand on dirige une entreprise qui a besoin d'être davantage reconnue, c'est une très belle qualité!»À la pharmacie
Marianne Paré, 25 ans
«Je ne comprenais pas encore le travail réel de mon père que déjà, juchée sur un petit banc, à son Familiprix, je jouais à la caissière avec de vrais clients, sous la supervision de Sissi, une employée qui est comme une deuxième mère pour moi. Je savais que je serais pharmacienne. J'ai souvenir encore de l'odeur toute particulière de cette pharmacie de mon enfance où ma mère m'amenait voir papa travailler. Il était là, derrière son comptoir, il guérissait les gens malades et moi, je le vénérais. Il n'y avait rien de plus noble à mes yeux que ce métier-là. Le jour le plus précieux à mes yeux est celui de mes 22 ans, quand il a épinglé à mon sarrau blanc un insigne en or où brillaient le pilon et le mortier. C'était son épinglette, celle que ma mère lui avait offerte, 30 ans plus tôt. À La Baie, mon père et moi sommes associés à deux autres pharmaciennes, et chaque jour me rappelle que je suis dans mon élément. J'ai beaucoup appris de mon père, et maintenant, j'ai la fierté de voir que, malgré qu'il soit une véritable encyclopédie, il apprend un peu de moi, aussi. La profession change tellement vite. Je fais le suivi auprès de mes patients et j'interviens si la médication doit être ajustée. Nous vivons à une époque où la synergie est meilleure entre les professionnels de la santé, et c'est stimulant. Mon père demeure une référence et ensemble, notre équipe est plus forte. Mais je suis sa petite fille et cela ne changera jamais. Mon père est un homme de peu de mots, mais, quand je perçois la fierté dans ses yeux, ça me touche plus que tout. Il est mon inspiration.»
Clément Paré, 54 ans
«J'ai exercé un métier curatif. Ma fille est de l'ère du préventif. 90 % des médicaments que nous utilisons maintenant n'existaient pas à mes débuts, il y a 30 ans. Anciennement, on ne prévenait pas le cholestérol, et on traitait un ulcère d'estomac par la chirurgie, et non par la médication. Marianne est très proche de sa clientèle, et beaucoup plus accessible que moi à son âge. Elle a choisi ma profession, mais a façonné son chemin à sa façon. Par exemple, elle se prévaut de son droit d'émettre une opinion pharmaceutique au médecin, et n'hésite pas à rappeler le patient chez lui pour prendre de ses nouvelles! Je trouve sa pratique inspirante et j'ai appris d'elle. Elle me stimule et m'oblige à me renouveler continuellement. Ma profession m'a donné la satisfaction d'être utile à mes semblables. J'ai toujours encouragé Marianne à ne pas perdre de vue cet objectif. Ultimement, Marianne aurait pu pratiquer un autre métier; j'aurais été tout aussi fier d'elle. L'important, c'est de voir une professionnelle accomplie et heureuse. Marianne prend soin de nous, à la pharmacie. Elle est joyeuse, elle rit. Elle fait du bien aux gens. Pour un père, cela n'a pas de prix.»À la bibliothèque
Catherine Bernier, 32 ans
«Dans mes plus beaux souvenirs d'enfance, il y avait des livres partout sur le plancher du salon. Mon père, installé dans son fauteuil, lisait. De la poésie, un essai, un roman. À tout moment, il pouvait lire à haute voix une citation qui l'interpellait et qu'il notait de sa main dans ses carnets. Il en a rempli une dizaine. Je pensais alors que les bibliothécaires lisaient toute la journée! Plus tard, il m'amenait à son travail; il était directeur de la bibliothèque du Parlement, un lieu magnifique. Il y avait du bois partout. De petites lampes vertes. Et un silence empreint de respect. Les gens, sur place, avaient besoin de mon père. Ils lui parlaient parfois en chuchotant. Je le trouvais important. Dans le milieu, c'est une sommité et mes premiers congrès à titre de "fille de" m'intimidaient. Gaston est un être difficile à percer; il a une vie intellectuelle très riche, mais à quoi rêve-t-il? C'est un cadeau d'avoir pu le connaître dans son univers. Comprendre à fond ce à quoi il a consacré sa vie m'a permis de cerner un aspect inconnu de lui, mais aussi, à certains égards, de mieux comprendre qui je suis. Et même si nous sommes très différents -il a oeuvré en politique en 1960, 40 ans plus tard, j'oeuvre en littérature! -, nous nous ressemblons tout de même beaucoup. C'est ce que je me dis lorsque je pose les yeux sur la pile de livres qui repose sur le plancher de ma chambre à coucher.»
Gaston Bernier, 70 ans
«C'est peut-être l'exemple d'un homme heureux qui a inspiré ma fille. Romain Gary raconte que c'est toujours l'exemple qui contribue à l'éducation des enfants. J'ai eu le privilège d'apprendre toute ma vie. Il y avait certes la joie du chercheur, quand j'avais trouvé pour lui, mais c'était l'accès à toute cette information qui me rendait heureux. Je déplore que ce métier ne semble pas sexy aux yeux du monde et ne fasse pas plus d'adeptes. C'est une profession en retrait que j'aimerais voir dépoussiérée. Aux yeux de Catherine, le rayonnement de la profession est encore plus important. Elle se bat pour la relève. Moi, je dis que nous y serons encore dans 100 ans. Les changements technologiques ne m'énervent pas! J'ai appris de Catherine certains procédés nouveaux, et le fait que cet apprentissage vienne de ma fille me rend particulièrement heureux. En plus, elle travaille bien. Je suis toujours fier de la présenter aux gens de ma génération. C'est une enfant de la balle!»En patrouille
Marie-Claude Rivard, 37 ans
«Quand j'étais petite, mon père m'amenait au poste avec lui. J'adorais ça. Quand il su que j'avais postulé en techniques policières, il a essayé de me décourager. Il m'a dit que je me ferais insulter toute ma vie! Quand j'ai commencé mon cours, il s'est officiellement opposé. J'avais de la peine, mais je me disais que j'allais lui montrer de quoi j'étais capable. C'était devenu une mission: le convaincre que j'allais être une bonne policière. Mais il avait raison sur un point: c'est plus ardu pour moi que pour lui. Juste parce que je suis une femme. À l'école, ça allait bien mais, dans le milieu, ç'a été difficile. Mais mon arme, c'est le détachement. Pour qu'on me voie différemment, il m'a fait promettre de faire des études universitaires. Après deux certificats, je peux dire: "Mission accomplie!" Je suis fière du travail que je fais, et je considère que mon père a été utile à la société. Mon métier correspond tout à fait à ce que je suis, et les obstacles qu'il m'a fallu contourner m'ont rendue plus forte.»
Marc Rivard, 65 ans
«J'ai grandi avec trois soeurs et j'ai élevé deux filles. Entouré de femmes, j'étais un protecteur dans l'âme bien avant de devenir policier. Ma fille Martine m'a souvent traité de père-poule. J'ai fini ma carrière au sein d'une escouade d'enquête, je travaillais en civil dans une voiture banalisée. Je parlais rarement du travail. Quand Marie-Claude a commencé à exprimer son intérêt, j'ai cru qu'elle fantasmait sur une image idyllique. Elle en parlait pourtant de plus en plus. J'ai alors entrepris de la décourager. J'étais témoin des horreurs que pouvaient dire certains policiers à l'endroit des policières. Jamais je ne voulais exposer ma fille à ce genre de traitement! Ma femme s'en est mêlée: elle voulait absolument que je permette à notre fille de poursuivre son rêve. C'est en voyant Marie-Claude réaliser un de ses premiers travaux d'étudiante que s'est fait le déclic: de retour du centre-ville de Montréal, où elle avait rencontré des itinérants et des prostituées, elle était fascinée. Là, j'ai vu ma fille heureuse. J'ai compris que c'était en elle. Elle a beau être policière, elle reste, pour moi, la petite fille qui venait se faire bercer à 2 ou 3 ans pour consoler un chagrin. J'aime ce qu'elle fait, je suis fier d'elle. Mais elle sera toujours ma petite Claudie.»Au salon funéraire
Mélanie Poirier, 20 ans
«À l'école primaire, je dessinais des cercueils et je profitais de chaque exposé pour apporter des outils et expliquer dans le détail comment on remplaçait le sang humain par un liquide spécial. J'étais passionnée, et tout cela me vient de mon mentor, mon inspiration: mon grand-père. Il a toujours été là pour m'écouter, et je l'ai toujours vu comme un homme doux, joyeux, plein de vie, même s'il côtoyait la mort quotidiennement. Il a tout vu et tout connu de son métier, et je veux apprendre tout ce qu'il sait. Un de nos projets est d'embaumer ensemble, afin qu'il me transmette son savoir. Il veut raffiner les méthodes de reconstruction faciale, des procédés qui ont très peu évolué en 40 ans et qui se pratiquent de moins en moins. Je trouve que c'est une excellente idée. Ça ne me dérange pas de travailler une nuit entière pour permettre à une famille de revoir un défunt tel qu'elle l'a connu, plutôt que de simplement fermer le cercueil. Le processus de deuil s'amorce mieux par la suite. Mon grand-père, par sa façon d'être, m'inspire à donner le meilleur de moi-même. Il me pousse à vouloir sans cesse m'améliorer. Comme lui, je suis joyeuse et pleine de vie. Ce qu'il m'a transmis m'appartient pour toujours.»
Nathalie Poirier, 40 ans
«Enfant, les cadavres faisaient partie de mon univers. Mon père nous répétait qu'ils étaient certainement moins dangereux morts que vivants! Mais je n'avais pas beaucoup d'intérêt pour aller embaumer. J'avais besoin de monde et de vie autour de moi. Mais je ne serais jamais partie travailler ailleurs: mon père a toujours parlé de "notre" entreprise, alors j'avais un sentiment d'appartenance. J'ai trouvé ma place en administration et auprès des familles en deuil. Après l'échec de ma première union, je suis retournée vivre chez mes parents. Mélanie a donc, elle aussi, grandi dans une maison funéraire. Quand j'allais chercher ses bulletins, ses professeurs me disaient: "Elle fonctionne très bien, il n'y a pas de soucis, mais pourriez-vous lui demander d'arrêter de parler de la façon dont on embaume les morts? Elle nous lève le coeur!" Mélanie, elle, prenait cela très au sérieux. Il était clair qu'elle marcherait dans les traces de son grand-père. Mon père et elle sont comme les deux doigts de la main. Petite, elle voulait tout savoir de lui et toujours être avec lui. Ça fait vingt ans que ça dure.»
Claude Poirier, 63 ans
«Comme dans la série Six pieds sous terre, j'ai grandi dans un salon funéraire. Si je voulais voir mon père, je descendais au sous-sol et discutais avec lui pendant qu'il embaumait. L'aider avec les familles en deuil était dans l'ordre des choses. Je dirais que c'est le métier qui m'a choisi, mais il m'a tout donné, aussi. Mes filles, Nathalie et Isabelle, représentent la première génération entièrement féminine. J'ai été épaté par leur volonté de se démarquer au sein d'une industrie masculine. S'imposer leur a demandé beaucoup de résilience, et je trouve que la venue des femmes est bénéfique. Grâce à elles, j'ai changé mes pratiques. Je suis très proche de Mélanie, première de la cinquième génération. Elle s'intéresse à tout. Par-dessus tout, elle possède les qualités essentielles pour atteindre les sommets; la chaleur humaine, l'altruisme, la sensibilité, le sens du travail bien fait, le talent et le besoin de s'engager. Au sein de la relève, cette enfant-là va faire des miracles.»
Sophie Forget, 26 ans
«Des quatre enfants, j'ai toujours été celle qui suivait mon père. Lorsqu'il partait faire des livraisons, je sautais dans le camion, juste pour être avec lui. Le samedi matin, je me levais avant les autres pour l'aider à faire le train. J'aimais mieux nettoyer la porcherie que la maison! Mon père clamait que c'était dangereux, une ferme, pour une enfant, mais je résistais. À 12 ans, j'allais faire le train seule, les week-ends, et je lui interdisais de vérifier mon travail. Je voulais qu'il me fasse confiance! C'est vrai que certaines tâches sont plus difficiles à cause des limites physiques. Mais là où mon père se serait servi de la force, moi, je dois me servir de ma tête. Quand un cochon de 80 kg est blessé au fond du parc, je trouve le moyen de le sortir de là! Il m'est impensable d'abandonner notre ferme. Je me suis mariée, en mai dernier, avec un producteur laitier dont la ferme est située à 124 km de la nôtre, et je suis enceinte de jumeaux. Mon rêve, c'était d'avoir mon mari et ma ferme. J'ai les deux, mais séparés! Maintenant, j'ai un autre rêve: celui de dire à mes parents: "Ce matin, vous partez profiter de la vie. La ferme, je m'en occupe."»
Luc Forget, 55 ans
«Quand Sophie était petite, je lui disais que j'allais lui vendre la ferme. Même que j'allais la lui donner! Ces 30 dernières années, la ferme a largement fait vivre mes quatre enfants. Mais aujourd'hui, il en coûte 150 $ pour élever un porc, et l'abattoir nous en donne 70 $. J'ai l'impression de lui léguer un guet-apens. La situation de l'industrie est catastrophique. Les fermes porcines ferment. Il faut chercher d'autres manières de s'en sortir. Sophie possède cette créativité et ensemble, nous prenons le virage. Ça faisait 10 ans que je rêvais d'une boucherie où les gens pourraient acheter du porc en sachant d'où il vient et comment il a été nourri! Ça y est, on l'a! Notre boucherie, Cochon cent façons, est un projet commun, mais aussi un projet de survie pour notre ferme. Ce que je veux, c'est léguer à Sophie une entreprise en bonne santé. Ç'a été une adaptation difficile, au début, d'avoir ma fille comme associée. C'est dur d'être patient quand tu es jeune! Sophie avait ce besoin légitime de faire sa place! Mais on ne met pas de côté 30 ans d'expérience. Sophie a dû se battre pour s'imposer et j'ai dû m'ajuster. Elle a une détermination à toute épreuve. Et quand on dirige une entreprise qui a besoin d'être davantage reconnue, c'est une très belle qualité!»À la pharmacie
Marianne Paré, 25 ans
«Je ne comprenais pas encore le travail réel de mon père que déjà, juchée sur un petit banc, à son Familiprix, je jouais à la caissière avec de vrais clients, sous la supervision de Sissi, une employée qui est comme une deuxième mère pour moi. Je savais que je serais pharmacienne. J'ai souvenir encore de l'odeur toute particulière de cette pharmacie de mon enfance où ma mère m'amenait voir papa travailler. Il était là, derrière son comptoir, il guérissait les gens malades et moi, je le vénérais. Il n'y avait rien de plus noble à mes yeux que ce métier-là. Le jour le plus précieux à mes yeux est celui de mes 22 ans, quand il a épinglé à mon sarrau blanc un insigne en or où brillaient le pilon et le mortier. C'était son épinglette, celle que ma mère lui avait offerte, 30 ans plus tôt. À La Baie, mon père et moi sommes associés à deux autres pharmaciennes, et chaque jour me rappelle que je suis dans mon élément. J'ai beaucoup appris de mon père, et maintenant, j'ai la fierté de voir que, malgré qu'il soit une véritable encyclopédie, il apprend un peu de moi, aussi. La profession change tellement vite. Je fais le suivi auprès de mes patients et j'interviens si la médication doit être ajustée. Nous vivons à une époque où la synergie est meilleure entre les professionnels de la santé, et c'est stimulant. Mon père demeure une référence et ensemble, notre équipe est plus forte. Mais je suis sa petite fille et cela ne changera jamais. Mon père est un homme de peu de mots, mais, quand je perçois la fierté dans ses yeux, ça me touche plus que tout. Il est mon inspiration.»
Clément Paré, 54 ans
«J'ai exercé un métier curatif. Ma fille est de l'ère du préventif. 90 % des médicaments que nous utilisons maintenant n'existaient pas à mes débuts, il y a 30 ans. Anciennement, on ne prévenait pas le cholestérol, et on traitait un ulcère d'estomac par la chirurgie, et non par la médication. Marianne est très proche de sa clientèle, et beaucoup plus accessible que moi à son âge. Elle a choisi ma profession, mais a façonné son chemin à sa façon. Par exemple, elle se prévaut de son droit d'émettre une opinion pharmaceutique au médecin, et n'hésite pas à rappeler le patient chez lui pour prendre de ses nouvelles! Je trouve sa pratique inspirante et j'ai appris d'elle. Elle me stimule et m'oblige à me renouveler continuellement. Ma profession m'a donné la satisfaction d'être utile à mes semblables. J'ai toujours encouragé Marianne à ne pas perdre de vue cet objectif. Ultimement, Marianne aurait pu pratiquer un autre métier; j'aurais été tout aussi fier d'elle. L'important, c'est de voir une professionnelle accomplie et heureuse. Marianne prend soin de nous, à la pharmacie. Elle est joyeuse, elle rit. Elle fait du bien aux gens. Pour un père, cela n'a pas de prix.»À la bibliothèque
Catherine Bernier, 32 ans
«Dans mes plus beaux souvenirs d'enfance, il y avait des livres partout sur le plancher du salon. Mon père, installé dans son fauteuil, lisait. De la poésie, un essai, un roman. À tout moment, il pouvait lire à haute voix une citation qui l'interpellait et qu'il notait de sa main dans ses carnets. Il en a rempli une dizaine. Je pensais alors que les bibliothécaires lisaient toute la journée! Plus tard, il m'amenait à son travail; il était directeur de la bibliothèque du Parlement, un lieu magnifique. Il y avait du bois partout. De petites lampes vertes. Et un silence empreint de respect. Les gens, sur place, avaient besoin de mon père. Ils lui parlaient parfois en chuchotant. Je le trouvais important. Dans le milieu, c'est une sommité et mes premiers congrès à titre de "fille de" m'intimidaient. Gaston est un être difficile à percer; il a une vie intellectuelle très riche, mais à quoi rêve-t-il? C'est un cadeau d'avoir pu le connaître dans son univers. Comprendre à fond ce à quoi il a consacré sa vie m'a permis de cerner un aspect inconnu de lui, mais aussi, à certains égards, de mieux comprendre qui je suis. Et même si nous sommes très différents -il a oeuvré en politique en 1960, 40 ans plus tard, j'oeuvre en littérature! -, nous nous ressemblons tout de même beaucoup. C'est ce que je me dis lorsque je pose les yeux sur la pile de livres qui repose sur le plancher de ma chambre à coucher.»
Gaston Bernier, 70 ans
«C'est peut-être l'exemple d'un homme heureux qui a inspiré ma fille. Romain Gary raconte que c'est toujours l'exemple qui contribue à l'éducation des enfants. J'ai eu le privilège d'apprendre toute ma vie. Il y avait certes la joie du chercheur, quand j'avais trouvé pour lui, mais c'était l'accès à toute cette information qui me rendait heureux. Je déplore que ce métier ne semble pas sexy aux yeux du monde et ne fasse pas plus d'adeptes. C'est une profession en retrait que j'aimerais voir dépoussiérée. Aux yeux de Catherine, le rayonnement de la profession est encore plus important. Elle se bat pour la relève. Moi, je dis que nous y serons encore dans 100 ans. Les changements technologiques ne m'énervent pas! J'ai appris de Catherine certains procédés nouveaux, et le fait que cet apprentissage vienne de ma fille me rend particulièrement heureux. En plus, elle travaille bien. Je suis toujours fier de la présenter aux gens de ma génération. C'est une enfant de la balle!»En patrouille
Marie-Claude Rivard, 37 ans
«Quand j'étais petite, mon père m'amenait au poste avec lui. J'adorais ça. Quand il su que j'avais postulé en techniques policières, il a essayé de me décourager. Il m'a dit que je me ferais insulter toute ma vie! Quand j'ai commencé mon cours, il s'est officiellement opposé. J'avais de la peine, mais je me disais que j'allais lui montrer de quoi j'étais capable. C'était devenu une mission: le convaincre que j'allais être une bonne policière. Mais il avait raison sur un point: c'est plus ardu pour moi que pour lui. Juste parce que je suis une femme. À l'école, ça allait bien mais, dans le milieu, ç'a été difficile. Mais mon arme, c'est le détachement. Pour qu'on me voie différemment, il m'a fait promettre de faire des études universitaires. Après deux certificats, je peux dire: "Mission accomplie!" Je suis fière du travail que je fais, et je considère que mon père a été utile à la société. Mon métier correspond tout à fait à ce que je suis, et les obstacles qu'il m'a fallu contourner m'ont rendue plus forte.»
Marc Rivard, 65 ans
«J'ai grandi avec trois soeurs et j'ai élevé deux filles. Entouré de femmes, j'étais un protecteur dans l'âme bien avant de devenir policier. Ma fille Martine m'a souvent traité de père-poule. J'ai fini ma carrière au sein d'une escouade d'enquête, je travaillais en civil dans une voiture banalisée. Je parlais rarement du travail. Quand Marie-Claude a commencé à exprimer son intérêt, j'ai cru qu'elle fantasmait sur une image idyllique. Elle en parlait pourtant de plus en plus. J'ai alors entrepris de la décourager. J'étais témoin des horreurs que pouvaient dire certains policiers à l'endroit des policières. Jamais je ne voulais exposer ma fille à ce genre de traitement! Ma femme s'en est mêlée: elle voulait absolument que je permette à notre fille de poursuivre son rêve. C'est en voyant Marie-Claude réaliser un de ses premiers travaux d'étudiante que s'est fait le déclic: de retour du centre-ville de Montréal, où elle avait rencontré des itinérants et des prostituées, elle était fascinée. Là, j'ai vu ma fille heureuse. J'ai compris que c'était en elle. Elle a beau être policière, elle reste, pour moi, la petite fille qui venait se faire bercer à 2 ou 3 ans pour consoler un chagrin. J'aime ce qu'elle fait, je suis fier d'elle. Mais elle sera toujours ma petite Claudie.»Au salon funéraire
Mélanie Poirier, 20 ans
«À l'école primaire, je dessinais des cercueils et je profitais de chaque exposé pour apporter des outils et expliquer dans le détail comment on remplaçait le sang humain par un liquide spécial. J'étais passionnée, et tout cela me vient de mon mentor, mon inspiration: mon grand-père. Il a toujours été là pour m'écouter, et je l'ai toujours vu comme un homme doux, joyeux, plein de vie, même s'il côtoyait la mort quotidiennement. Il a tout vu et tout connu de son métier, et je veux apprendre tout ce qu'il sait. Un de nos projets est d'embaumer ensemble, afin qu'il me transmette son savoir. Il veut raffiner les méthodes de reconstruction faciale, des procédés qui ont très peu évolué en 40 ans et qui se pratiquent de moins en moins. Je trouve que c'est une excellente idée. Ça ne me dérange pas de travailler une nuit entière pour permettre à une famille de revoir un défunt tel qu'elle l'a connu, plutôt que de simplement fermer le cercueil. Le processus de deuil s'amorce mieux par la suite. Mon grand-père, par sa façon d'être, m'inspire à donner le meilleur de moi-même. Il me pousse à vouloir sans cesse m'améliorer. Comme lui, je suis joyeuse et pleine de vie. Ce qu'il m'a transmis m'appartient pour toujours.»
Nathalie Poirier, 40 ans
«Enfant, les cadavres faisaient partie de mon univers. Mon père nous répétait qu'ils étaient certainement moins dangereux morts que vivants! Mais je n'avais pas beaucoup d'intérêt pour aller embaumer. J'avais besoin de monde et de vie autour de moi. Mais je ne serais jamais partie travailler ailleurs: mon père a toujours parlé de "notre" entreprise, alors j'avais un sentiment d'appartenance. J'ai trouvé ma place en administration et auprès des familles en deuil. Après l'échec de ma première union, je suis retournée vivre chez mes parents. Mélanie a donc, elle aussi, grandi dans une maison funéraire. Quand j'allais chercher ses bulletins, ses professeurs me disaient: "Elle fonctionne très bien, il n'y a pas de soucis, mais pourriez-vous lui demander d'arrêter de parler de la façon dont on embaume les morts? Elle nous lève le coeur!" Mélanie, elle, prenait cela très au sérieux. Il était clair qu'elle marcherait dans les traces de son grand-père. Mon père et elle sont comme les deux doigts de la main. Petite, elle voulait tout savoir de lui et toujours être avec lui. Ça fait vingt ans que ça dure.»
Claude Poirier, 63 ans
«Comme dans la série Six pieds sous terre, j'ai grandi dans un salon funéraire. Si je voulais voir mon père, je descendais au sous-sol et discutais avec lui pendant qu'il embaumait. L'aider avec les familles en deuil était dans l'ordre des choses. Je dirais que c'est le métier qui m'a choisi, mais il m'a tout donné, aussi. Mes filles, Nathalie et Isabelle, représentent la première génération entièrement féminine. J'ai été épaté par leur volonté de se démarquer au sein d'une industrie masculine. S'imposer leur a demandé beaucoup de résilience, et je trouve que la venue des femmes est bénéfique. Grâce à elles, j'ai changé mes pratiques. Je suis très proche de Mélanie, première de la cinquième génération. Elle s'intéresse à tout. Par-dessus tout, elle possède les qualités essentielles pour atteindre les sommets; la chaleur humaine, l'altruisme, la sensibilité, le sens du travail bien fait, le talent et le besoin de s'engager. Au sein de la relève, cette enfant-là va faire des miracles.»