Travail
Faites-vous du présentéisme?
Un employé qui fait tout ce qu'on lui demande et qui, dès qu'il le peut, décroche pour planifier sa prochaine soirée ou rêver au roman qu'il aimerait écrire. Il fait ce qu'on appelle du présentéisme: physiquement présent au boulot, il n'est pas aussi productif qu'il pourrait l'être parce qu'il a l'esprit ailleurs. Un exemple parmi tant d'autres d'un phénomène auquel les spécialistes du travail commencent à s'intéresser.
On pourrait dire qu'on est toutes présentéistes à un moment ou un autre. Personne n'est productif à 100 % cinq jours par semaine. De plus, qui n'a jamais eu du mal à se concentrer sur son travail à cause d'une grippe, d'un lunch copieux ou d'une nuit passée auprès d'un enfant malade? La différence: le malaise et l'improductivité des présentéistes sont répétitifs et chroniques. Avec eux, ça ne se produit pas une fois de temps en temps, mais souvent. À partir de quelle fréquence peut-on parler de présentéisme? «C'est difficile de dire combien de temps on doit être moins présent mentalement pour être taxé de présentéiste, mais ça doit être au moins quelques jours», répond Éric Gosselin, professeur au département de relations industrielles à l'Université du Québec en Outaouais.
Qui fait du présentéisme?
Parfois, le présentéisme est dû à la démotivation ou la frustration causées par de mauvaises conditions de travail: surcharge ou manque de travail, mésentente avec nos supérieurs, participation jugée insuffisante aux décisions, etc. Dans d'autres cas, c'est une cause psychologique extérieure au bureau qui nuit au travail: une grosse peine d'amour ou le décès d'un proche, par exemple, peuvent rendre la concentration difficile pendant des jours ou même des semaines. Finalement, il y a les malaises physiques, chroniques (mal de dos, arthrite) ou passagers (grippe, indigestion). «Les maux physiques comme l'arthrite affectent directement l'attention et la capacité de travail, tandis que les facteurs psychologiques, comme une surcharge de travail, entraînent du stress et une légère dépression, ce qui conduit au présentéisme», commente Éric Gosselin.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ces employés qui regardent plus la fenêtre que leurs dossiers ne sont pas des paresseux qui se tournent les pouces. «Au contraire, ils aiment généralement ce qu'ils font et ont une solide éthique», dit Jean-Pierre Brun, professeur au département de management de l'Université Laval.
On ne doute pas non plus du dévouement de ceux qui viennent travailler alors que leur état de santé exigerait qu'ils restent au lit. Les infirmières et les enseignants du primaire et du secondaire seraient particulièrement nombreux dans cette catégorie. «Ces métiers comportent déjà un niveau de stress élevé. De plus, à cause des coupures de postes, il est difficile de remplacer les absents. Et puis, ces gens se soucient de leurs élèves ou de leurs patients: c'est pourquoi ils rentrent même quand ils ne sont pas bien», explique Nathalie Houlfort, qui enseigne à l'École nationale d'administration publique et s'intéresse notamment à la passion au travail.De façon générale, certains secteurs se prêtent mieux que d'autres à ce mal moderne. Ainsi, les cols blancs y seraient plus sujets que les cols bleus. «Si un ouvrier ralentit son rythme sur une chaîne de montage ou ne termine pas le trou qu'on lui a demandé de creuser, son contremaître va s'en rendre compte assez vite. C'est plus difficile de mesurer la productivité de quelqu'un qui tape à l'ordinateur», explique Florent Francoeur, président-directeur général de l'Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec.
Un nouveau phénomène
Le présentéisme aurait augmenté depuis les fusions et rationalisations du début des années 1990. Comme les emplois sont moins sûrs qu'avant, on se sent moins à l'aise de rater une journée de travail. De plus, comme les boulots sont rares et les prestations de chômage, refusées à ceux qui quittent volontairement leur emploi, on n'est pas non plus tentée de laisser un travail dans lequel on ne se sent pas bien. Donc, on vient travailler même si, en toute logique, on devrait rester chez soi ou regarder ailleurs.
Certains s'obligent à rentrer pour des raisons financières, surtout s'ils occupent un emploi précaire où les journées de maladie ne sont pas rémunérées. D'autres encore veulent soit bien paraître afin d'obtenir une promotion, soit simplement ne pas mal paraître aux yeux du patron et des collègues: on remarque moins un employé absent d'esprit qu'absent tout court. Et puis, quand on sait que les dossiers et les messages urgents s'accumulent sur notre bureau et que notre absence cause un surcroît de travail à nos collègues, on n'a pas envie de s'éterniser à la maison.
«À moins de collaborer régulièrement avec lui, ce n'est pas évident de détecter un présentéiste, notamment parce qu'on n'aime pas se mêler de la vie privée des autres au bureau», note Nathalie Houlfort. «Mes collègues voyaient bien que mes résultats n'étaient pas forts, mais c'est peut-être parce que nous étions une petite équipe, croit Alexandra. Dans une organisation plus grande, ça doit être plus facile de passer inaperçue.» S'ils réalisent qu'il y a quelqu'un d'un peu trop rêveur parmi eux, les autres peuvent se montrer compatissants et cacher son improductivité au patron ou... lui en vouloir parce qu'il ne fait pas sa part.
Au final, le présentéisme coûterait beaucoup plus cher aux entreprises que l'absentéisme, déjà chiffré à 16 milliards par année par Statistique Canada. En fait, jusqu'à quatre fois plus cher, selon une étude américaine sur la dépression et la productivité réalisée en 2003. La raison en est bien simple: les malaises qui causent le présentéisme sont à la fois plus courants et moins soignés. «S'ils ne s'absentent pas du bureau, tous ceux qui sont présents ne sont pas des jovialistes au top de leur forme!» résume Jean-Pierre Brun.
Cette détermination à aller bosser envers et contre tout peut avoir des conséquences désastreuses et mener, à terme, à un diagnostic d'épuisement professionnel ou de dépression. «Le présentéisme est alors un symptôme de quelque chose de plus grave, comme la fièvre précède une grippe», illustre Jean-Pierre Brun.Renverser la vapeur
La relative invisibilité des présentéistes et les coûts importants qu'ils engendreraient doivent pousser les gestionnaires à aller chercher des façons de les débusquer et de les aider à retrouver leur entrain. «Les sondages internes sont assez courants dans les grandes entreprises. Ça ne coûte rien d'y ajouter des questions du type: "Vous êtes-vous senti(e) obligé(e) de venir travailler ces derniers mois alors que vous étiez malade et, si oui, pourquoi?" Cela permet de mieux cerner la prévalence du présentéisme dans son organisation, ainsi que ses causes, et de développer des solutions adaptées», propose Nathalie Houlfort.
Certaines entreprises prennent d'ailleurs déjà certaines mesures pour prévenir le présentéisme. L'entreprise où travaille Carole, par exemple, oblige ses employés malades à rester chez eux. «C'est logique parce que, au final, mes patrons y gagnent: je suis malade moins longtemps et je ne contamine pas tout le monde! dit-elle. Et mon travail ne prend pas de retard parce que mes supérieurs se sont assurés que d'autres peuvent me suppléer.»
Les présentéistes doivent, eux aussi, prendre leurs responsabilités pour se remotiver. «Si on va travailler de reculons, il faut se demander pourquoi, dégager les trois ou quatre raisons principales et voir quels moyens on a pour changer la situation», dit Jean-Pierre Brun. En fonction des maux détectés, on en parle à notre patron, au département des ressources humaines, au programme d'aide aux employés, à un médecin ou à un psychologue. «C'est sûr que cela prend du courage, admet Jean-Pierre Brun, mais il faut prendre le taureau par les cornes avant que la situation ne se détériore jusqu'à l'épuisement professionnel.»
«La tendance va peut-être s'inverser et le monde du travail, gagner en chaleur», prédit Éric Gosselin. «Quand les baby-boomers vont prendre leur retraite, il y aura une pénurie de main-d'œuvre et les entreprises n'auront pas le choix d'offrir de bonnes conditions de travail pour retenir leurs employés», note-t-il. D'ici là, à nous de trouver la solution la plus aédquate pour notre situation.
Êtes-vous présentéiste?
Cochez les énoncés qui s'appliquent à votre situation.
• Je vais souvent travailler même si je suis malade.
• J'ai fréquemment du mal à me concentrer sur mes tâches.
• Je suis plus lente et moins productive qu'avant.
• Je pense souvent à mes problèmes personnels.
• J'arrive souvent en retard.
• Mes conditions de travail m'empêchent de fonctionner aussi bien que je le pourrais.
• J'ai rarement du plaisir au travail.
• Je me sens dépassée par les événements et cela m'empêche de fonctionner.
• Je me sens moins engagée qu'avant.
• Je ne me sens pas en contrôle de mes tâches.
Si vous avez coché plusieurs de ces énoncés, il faudrait peut-être réfléchir à ce qui se passe dans votre vie, à la fois personnelle et professionnelle.
On pourrait dire qu'on est toutes présentéistes à un moment ou un autre. Personne n'est productif à 100 % cinq jours par semaine. De plus, qui n'a jamais eu du mal à se concentrer sur son travail à cause d'une grippe, d'un lunch copieux ou d'une nuit passée auprès d'un enfant malade? La différence: le malaise et l'improductivité des présentéistes sont répétitifs et chroniques. Avec eux, ça ne se produit pas une fois de temps en temps, mais souvent. À partir de quelle fréquence peut-on parler de présentéisme? «C'est difficile de dire combien de temps on doit être moins présent mentalement pour être taxé de présentéiste, mais ça doit être au moins quelques jours», répond Éric Gosselin, professeur au département de relations industrielles à l'Université du Québec en Outaouais.
Qui fait du présentéisme?
Parfois, le présentéisme est dû à la démotivation ou la frustration causées par de mauvaises conditions de travail: surcharge ou manque de travail, mésentente avec nos supérieurs, participation jugée insuffisante aux décisions, etc. Dans d'autres cas, c'est une cause psychologique extérieure au bureau qui nuit au travail: une grosse peine d'amour ou le décès d'un proche, par exemple, peuvent rendre la concentration difficile pendant des jours ou même des semaines. Finalement, il y a les malaises physiques, chroniques (mal de dos, arthrite) ou passagers (grippe, indigestion). «Les maux physiques comme l'arthrite affectent directement l'attention et la capacité de travail, tandis que les facteurs psychologiques, comme une surcharge de travail, entraînent du stress et une légère dépression, ce qui conduit au présentéisme», commente Éric Gosselin.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ces employés qui regardent plus la fenêtre que leurs dossiers ne sont pas des paresseux qui se tournent les pouces. «Au contraire, ils aiment généralement ce qu'ils font et ont une solide éthique», dit Jean-Pierre Brun, professeur au département de management de l'Université Laval.
On ne doute pas non plus du dévouement de ceux qui viennent travailler alors que leur état de santé exigerait qu'ils restent au lit. Les infirmières et les enseignants du primaire et du secondaire seraient particulièrement nombreux dans cette catégorie. «Ces métiers comportent déjà un niveau de stress élevé. De plus, à cause des coupures de postes, il est difficile de remplacer les absents. Et puis, ces gens se soucient de leurs élèves ou de leurs patients: c'est pourquoi ils rentrent même quand ils ne sont pas bien», explique Nathalie Houlfort, qui enseigne à l'École nationale d'administration publique et s'intéresse notamment à la passion au travail.De façon générale, certains secteurs se prêtent mieux que d'autres à ce mal moderne. Ainsi, les cols blancs y seraient plus sujets que les cols bleus. «Si un ouvrier ralentit son rythme sur une chaîne de montage ou ne termine pas le trou qu'on lui a demandé de creuser, son contremaître va s'en rendre compte assez vite. C'est plus difficile de mesurer la productivité de quelqu'un qui tape à l'ordinateur», explique Florent Francoeur, président-directeur général de l'Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec.
Un nouveau phénomène
Le présentéisme aurait augmenté depuis les fusions et rationalisations du début des années 1990. Comme les emplois sont moins sûrs qu'avant, on se sent moins à l'aise de rater une journée de travail. De plus, comme les boulots sont rares et les prestations de chômage, refusées à ceux qui quittent volontairement leur emploi, on n'est pas non plus tentée de laisser un travail dans lequel on ne se sent pas bien. Donc, on vient travailler même si, en toute logique, on devrait rester chez soi ou regarder ailleurs.
Certains s'obligent à rentrer pour des raisons financières, surtout s'ils occupent un emploi précaire où les journées de maladie ne sont pas rémunérées. D'autres encore veulent soit bien paraître afin d'obtenir une promotion, soit simplement ne pas mal paraître aux yeux du patron et des collègues: on remarque moins un employé absent d'esprit qu'absent tout court. Et puis, quand on sait que les dossiers et les messages urgents s'accumulent sur notre bureau et que notre absence cause un surcroît de travail à nos collègues, on n'a pas envie de s'éterniser à la maison.
«À moins de collaborer régulièrement avec lui, ce n'est pas évident de détecter un présentéiste, notamment parce qu'on n'aime pas se mêler de la vie privée des autres au bureau», note Nathalie Houlfort. «Mes collègues voyaient bien que mes résultats n'étaient pas forts, mais c'est peut-être parce que nous étions une petite équipe, croit Alexandra. Dans une organisation plus grande, ça doit être plus facile de passer inaperçue.» S'ils réalisent qu'il y a quelqu'un d'un peu trop rêveur parmi eux, les autres peuvent se montrer compatissants et cacher son improductivité au patron ou... lui en vouloir parce qu'il ne fait pas sa part.
Au final, le présentéisme coûterait beaucoup plus cher aux entreprises que l'absentéisme, déjà chiffré à 16 milliards par année par Statistique Canada. En fait, jusqu'à quatre fois plus cher, selon une étude américaine sur la dépression et la productivité réalisée en 2003. La raison en est bien simple: les malaises qui causent le présentéisme sont à la fois plus courants et moins soignés. «S'ils ne s'absentent pas du bureau, tous ceux qui sont présents ne sont pas des jovialistes au top de leur forme!» résume Jean-Pierre Brun.
Cette détermination à aller bosser envers et contre tout peut avoir des conséquences désastreuses et mener, à terme, à un diagnostic d'épuisement professionnel ou de dépression. «Le présentéisme est alors un symptôme de quelque chose de plus grave, comme la fièvre précède une grippe», illustre Jean-Pierre Brun.Renverser la vapeur
La relative invisibilité des présentéistes et les coûts importants qu'ils engendreraient doivent pousser les gestionnaires à aller chercher des façons de les débusquer et de les aider à retrouver leur entrain. «Les sondages internes sont assez courants dans les grandes entreprises. Ça ne coûte rien d'y ajouter des questions du type: "Vous êtes-vous senti(e) obligé(e) de venir travailler ces derniers mois alors que vous étiez malade et, si oui, pourquoi?" Cela permet de mieux cerner la prévalence du présentéisme dans son organisation, ainsi que ses causes, et de développer des solutions adaptées», propose Nathalie Houlfort.
Certaines entreprises prennent d'ailleurs déjà certaines mesures pour prévenir le présentéisme. L'entreprise où travaille Carole, par exemple, oblige ses employés malades à rester chez eux. «C'est logique parce que, au final, mes patrons y gagnent: je suis malade moins longtemps et je ne contamine pas tout le monde! dit-elle. Et mon travail ne prend pas de retard parce que mes supérieurs se sont assurés que d'autres peuvent me suppléer.»
Les présentéistes doivent, eux aussi, prendre leurs responsabilités pour se remotiver. «Si on va travailler de reculons, il faut se demander pourquoi, dégager les trois ou quatre raisons principales et voir quels moyens on a pour changer la situation», dit Jean-Pierre Brun. En fonction des maux détectés, on en parle à notre patron, au département des ressources humaines, au programme d'aide aux employés, à un médecin ou à un psychologue. «C'est sûr que cela prend du courage, admet Jean-Pierre Brun, mais il faut prendre le taureau par les cornes avant que la situation ne se détériore jusqu'à l'épuisement professionnel.»
«La tendance va peut-être s'inverser et le monde du travail, gagner en chaleur», prédit Éric Gosselin. «Quand les baby-boomers vont prendre leur retraite, il y aura une pénurie de main-d'œuvre et les entreprises n'auront pas le choix d'offrir de bonnes conditions de travail pour retenir leurs employés», note-t-il. D'ici là, à nous de trouver la solution la plus aédquate pour notre situation.
Êtes-vous présentéiste?
Cochez les énoncés qui s'appliquent à votre situation.
• Je vais souvent travailler même si je suis malade.
• J'ai fréquemment du mal à me concentrer sur mes tâches.
• Je suis plus lente et moins productive qu'avant.
• Je pense souvent à mes problèmes personnels.
• J'arrive souvent en retard.
• Mes conditions de travail m'empêchent de fonctionner aussi bien que je le pourrais.
• J'ai rarement du plaisir au travail.
• Je me sens dépassée par les événements et cela m'empêche de fonctionner.
• Je me sens moins engagée qu'avant.
• Je ne me sens pas en contrôle de mes tâches.
Si vous avez coché plusieurs de ces énoncés, il faudrait peut-être réfléchir à ce qui se passe dans votre vie, à la fois personnelle et professionnelle.