Psychologie
Témoignage: La pandémie m'a fait changer de vie
Photographe : Lucila Perini | agoodson.com
Je me prénomme Sarah-Émilie. J’ai 43 ans. Durant le confinement, j’ai fait un virage à 180 degrés, passant de journaliste voyage (trop occupée pour l’amour, le vrai!) à jeune fiancée épanouie dans une vie professionnelle et personnelle plus stable.
Pour rien au monde, je ne changerais mon nouveau cocon douillet.
Avant la pandémie, j’étais toujours entre deux valises, entre deux fuseaux horaires pour mon emploi. J’avais à peine le temps de faire ma lessive que, déjà, je repliais bagage. Animée par la FOMO (l’acronyme de fear of missing out), j’avais tellement peur d’«événemanquer» ou de déplaire que j’acceptais tous les contrats de rédaction sans jamais me questionner sur mes véritables envies.
Un jour, sur un banc d’aéroport, je me suis effondrée en larmes en constatant que je n’arrivais plus à coordonner mes nombreux engagements. J’étais épuisée.
Puis, le confinement m’a littéralement clouée au sol, réduisant mon terrain de jeu à mon appartement de Montréal, qui me semblait si inconnu. J’étais temporairement sans travail, avec à peine l’envie de pianoter sur mon téléphone pour répondre aux textos de mes amis. Après avoir cherché mes repères pendant quelques jours, j’ai finalement pris goût à la solitude.
«Du jour au lendemain, la pandémie a bousculé nos certitudes et notre rythme de vie: nos vendredis soirs étaient pareils à nos mardis soirs, observe la psychologue Geneviève Lemelin. Elle a agi comme un reset sur notre façon d’organiser notre vie sociale, ce qui a fait en sorte que le respect de soi a triomphé sur la performance.»
À l’intérieur et à l’extérieur de ma petite «cage de verre», j’ai pratiqué des activités qui me faisaient du bien – soit l’écriture et le vélo de route – sans sentir une pression de devoir être constamment en mouvement ou de monétiser mon temps. La tête aussi légère que le cœur, j’ai fait l’espace nécessaire pour rencontrer un homme qui est nouvellement mon fiancé. En emménageant avec lui, j’ai découvert une autre facette de moi-même: moins éparpillée et plus ancrée dans l’instant présent.
Je pensais qu’avec le déconfinement, j’aurais eu envie de retourner dans les bars et de courir le monde comme avant. Quel leurre! Aujourd’hui, je n’éprouve plus de plaisir à me retrouver coincée dans une foule ni même à jaser entre amis dans un resto bondé et bruyant. Ma nourriture intellectuelle et affective se trouve maintenant ailleurs: dans les bras de mon amoureux, dans la sage lenteur de la nature et dans mon nouvel emploi à temps plein — beaucoup plus stable — comme journaliste culturelle pour un quotidien. Je rêve même d’un chez-moi sur le bord de l’eau, peut-être à Kamouraska, où je pourrais m’évader et écrire en silence.
«Certaines personnes ne sont tout simplement pas encore prêtes à affronter le stress social. Leur tolérance à l’inconfort et aux bruits environnants a diminué, ce qui est tout à fait normal dans ce contexte de grands bouleversements», nous rassure Geneviève Lemelin.
Sans gêne ni tabou, j’embrasse ma nouvelle vie sociale minimaliste. J’en ai parlé à mes amis qui, bien que surpris, ont accueilli ma décision avec respect et ouverture. Désormais, nous nous voyons autour d’un repas ou d’un verre quand nous le voulons, quand nous le pouvons et, surtout, quand nous nous sentons en forme. Cela diminue la pression d’un cran.
«C’est comme si la pandémie nous avait rendus plus indulgents face à l’autre, observe Mme Lemelin. Nous ne nous sentons plus aussi coupables qu’avant de décliner des invitations et d’exprimer notre point de vue. Ce n’est pas égoïste d’être centrés sur nous-mêmes si cela fait écho à nos véritables envies et besoins. Cela le devient, par contre, si nous oublions les besoins des autres ou en faisons fi.»
Je pense que ma transformation intérieure sera viable à long terme, et ce, pour deux raisons: je me sens pleine à l’intérieur même si je me coupe d’un amas de stimulations extérieures. Je n’ai plus besoin d’être hyper occupée pour me sentir épanouie. Pour l’une des premières fois, j’ai fait des choix qui résonnent réellement avec mes convictions personnelles, mes nouvelles priorités, mes valeurs et mes besoins du moment. Au fond, less serait-il devenu more?