Psychologie

Surmonter le deuil de ses parents

Surmonter le deuil de ses parents

Auteur : Coup de Pouce

Il n'y a pas d'âge pour se sentir orpheline. Même si on est une adulte responsable et qu'il y a belle lurette qu'on ne dépend plus de nos parents, la douleur de les perdre n'en est pas moins vive ni moins longue à guérir.

Geneviève, 23 ans, a perdu sa mère alors que celle-ci n'avait que 57 ans. «En octobre 2009, elle s'est levée un matin avec une douleur au ventre, et en février 2010, elle est décédée des suites d'un cancer extrêmement ravageur. J'espérais que ma mère connaisse mes enfants, me voie m'accomplir dans mon nouveau travail... Je croyais qu'elle serait toujours là. Mais les choses n'ont pas été telles que je les avais imaginées. On ne sait jamais ce qui peut nous arriver. J'en ai vraiment la preuve.»

Devant la mort de nos parents, un seul dénominateur commun: le vide et la peine. À la puissance 1 000. S'il est toujours très difficile de perdre quelqu'un qu'on aime, dans le deuil d'un parent, tout est plus prononcé, plus vif. «Le lien sanguin est significatif. Nos parents sont souvent les seules personnes de qui on acceptait de se faire dire certaines choses, sans compter qu'ils ont été les principaux témoins de toute notre histoire», explique Josée Jacques, psychologue et auteure du livre Les Saisons du deuil.

Orpheline: se sentir toute petite tout en devenant adulte

Même si on est une adulte, le sentiment d'abandon au décès de nos parents est aussi présent que si on était devenue orpheline à un jeune âge. Plusieurs personnes ayant perdu un parent décrivent le même sentiment: celui de redevenir tout petit, démuni, sans défense. Comme Liliane, 62 ans, qui a perdu ses parents il y a 25 ans. «C'était comme être abandonnée par quelqu'un qu'on aime profondément. Lorsque j'y pense, les mêmes sentiments d'impuissance et de tristesse m'envahissent encore. Bien sûr, quand je parle de mes parents, j'ai le front haut, mais à l'intérieur de ma poitrine bat toujours le coeur d'une enfant qui cherche ses parents lorsqu'elle revient de l'école.»

Francine Laplante accompagne depuis quelques années des enfants en fin de vie par le biais de la Fondation des Gouverneurs de l'espoir, qu'elle a créée. Même si le deuil fait partie de sa vie, elle est catégorique: il est impossible de s'y habituer. Surtout pas quand sa mère est morte. «Elle avait 77 ans et son départ a été pour moi un coup de massue. Mon expérience en deuil ne m'a été d'aucune aide. Les deux mois où ma mère a été hospitalisée et pendant lesquels son état s'est détérioré, j'ai perdu tous mes acquis. Je n'étais plus la femme forte, la femme de carrière, la femme de décision; j'étais devenue une petite fille hyper fragile qui ne voulait qu'être protégée. Cela a été une des périodes les plus difficiles de ma vie.»

Paradoxalement, perdre nos parents peut en même temps nous faire sentir qu'on arrive à l'âge adulte. «On réalise qu'il n'y a plus de génération tampon entre nous et la mort. Sur le tremplin, ce sera bientôt notre tour de sauter. Inévitablement, la perte de nos parents nous ramène à notre propre mortalité», explique la psychologue Louise Handfield-Champagne. Dans la chaîne familiale, on est maintenant au sommet... parmi les prochains à partir! Pour Francine, le deuil de sa mère, si douloureux soit-il, a aussi été le départ d'une nouvelle étape de sa vie. «Malgré mes 40 ans, je devenais dans ma tête, pour la première fois, une adulte, une femme et une mère. Je n'étais plus l'enfant de quelqu'un.»

 

Orpheline: à chacune son deuil

De façon purement rationnelle, on pourrait dire que perdre son père ou sa mère alors qu'ils frôlent les 90 ans est plus facile à accepter. Il est vrai qu'il y a moins de sentiment d'injustice, mais le deuil et la douleur sont là quand même. «Un deuil n'est pas mathématique et, surtout, il n'existe pas de hiérarchie dans la souffrance», dit Christiane Lerhe, coordonatrice au service aux membres de la Société canadienne de la sclérose en plaques, qui a auparavant travaillé en soins palliatifs.

Les circonstances entourant le décès influencent tout de même la façon dont on vit notre deuil. Par exemple, si on a su à l'avance que notre mère allait mourir, on peut trouver du réconfort dans la pensée qu'on l'a accompagnée, qu'on a fait tout ce qu'on pouvait et qu'on a eu le temps de se parler et de partager ce qu'on voulait se dire. «Durant une longue maladie, on découvre qu'on a du temps privilégié avec nos parents pour dénouer des noeuds. Vivre ensemble ces dernières phases permet même, dans certains cas, d'avoir enfin une bonne relation avec eux», note Louise Handfield-Champagne. Ce que confirme Geneviève: «Grâce à sa maladie, j'ai pu vivre avec ma mère les derniers "meilleurs" moments. Malgré sa souffrance et bien que les rôles mère-fille aient été inversés, ce qui a été très difficile à accepter, je sais que j'ai tout donné et qu'elle en a été extrêmement reconnaissante.»

Après une longue maladie, on peut aussi ressentir une certaine délivrance. Si on a accompagné notre parent malade de longues heures par semaine, frôlant parfois le surinvestissement, on peut ressentir du soulagement, toutefois souvent empreint de culpabilité. «J'ai perdu ma mère à l'âge de 30 ans, après une très longue série de cancers, raconte Éric, 47 ans. J'étais enfant unique et j'ai porté ma mère à bout de bras à travers ses cancers pendant 10 ans environ. Au dernier cancer, j'avais deux enfants en très bas âge et une situation financière ultra-précaire. J'ai dû couper dans l'énergie que je consacrais à ma mère. Je lui ai dit: "Maman, je t'ai sortie deux fois du fond du baril, en mettant mes jobs et mes études en veilleuse pour m'occuper de toi, mais cette fois, je dois choisir ma femme et mes enfants." Elle est décédée quelques mois après. Elle avait abandonné», se rappelle Éric, qui précise qu'elle était ce qu'il avait de plus cher et qui, encore aujourd'hui, voudrait tant lui parler et surtout lui demander son avis sur les petites choses de la vie qui le tracassent parfois.

Quand la mort frappe rapidement, c'est évidemment différent. «Devant une mort subite, on n'a pas pu se préparer. La situation devient plus complexe, car il peut rester des choses non réglées entre nous et notre parent», explique Josée Jacques. On reste avec des non-dits, des questions sans réponse et souvent une tonne de regrets et de remords. «Le choc dure souvent plus longtemps, le déni aussi», constate Christiane Lerhe.

La relation qu'on entretenait avec nos parents influence aussi beaucoup notre deuil. «Plus on a vécu une relation saine et remplie d'affection, plus le deuil devrait se faire sainement. On a l'impression d'avoir bien vécu tout notre cycle ensemble», constate Louise Handfield-Champagne. Notre relation avec nos parents a été difficile et on croit que leur décès nous apportera du soulagement? Erreur! Plus une relation a été mauvaise, plus le deuil est compliqué et difficile. «Tout est complexifié par ce qui reste en suspens et n'est pas réglé», dit Josée Jacques. Désormais, plus rien ne pourra être rectifié même si, au fond de soi, on continue longtemps à espérer que cela se produira.

Orpheline: continuer malgré la perte

Faire le deuil de ses parents est un long processus. Il faut se donner le temps de vivre toute une gamme d'émotions, parfois difficiles. Un jour, la lassitude nous étreint, d'autres fois, on est surprise de sentir la colère nous envahir. «Il n'y a pas juste une façon de vivre un deuil. L'important est de suivre son rythme. Pour vider la maison ou pour être simplement capable de regarder une photo sans pleurer, il n'y a pas de temps fixe. Le seul indicateur à suivre: si ça nous fait du bien. Si on a de la misère, on attend. On ne se bouscule pas», conseille Josée Jacques.

Fabienne, qui a perdu sa mère à 40 ans, se rappelle quelle tristesse elle a ressenti la première fois où elle n'a pas reçu de carte ni de coup de fil de sa maman le jour de son anniversaire. En effet, beaucoup d'émotions nous secouent tout au long des 12 premiers mois. Une succession de premières fois sans elle, sans lui, sans eux qui ravivent chaque fois la perte.

«La première année est la plus difficile. Puis, inconsciemment, la deuxième année, on se dit qu'on a passé au travers. On s'appuie sur le marchepied de la première année pour continuer», dit Agathe Beaudry, qui a fondé, il y a 16 ans, Deuil-Amis-Jo, un organisme qui offre du soutien aux personnes vivant un deuil. Inutile de vouloir courir et aller plus vite; un deuil se vit lentement. «Il serait plus facile parfois de "garrocher" sa peine et faire comme si tout allait bien, mais accepter l'émotion du moment permet ensuite de vivre pleinement nos joies», constate Josée Jacques.

Et parce qu'il faut continuer, on continue. Souvent autrement. Il n'est pas rare de se remettre en question et de faire des changements dans notre vie après la mort de nos parents. «Même si on ne le comprend pas aisément, un deuil est un exercice de croissance personnelle. Il nous apprend à mieux nous connaître et à nous réapproprier qui on est vraiment», conclut Christiane Lerhe.

Des pistes pour nous aider à vivre notre deuil

On accepte les rites funéraires. «C'est aidant de voir que nos parents étaient aimés», souligne Josée Jacques. On crée un lieu de rassemblement où les gens peuvent, s'ils le veulent, prendre la parole ou laisser un petit mot ou un souvenir au sujet du défunt. «Les funérailles ont été une grande délivrance pour moi, confie Geneviève. Voir ma mère dans son lit, décédée, a aussi été extrêmement bénéfique. J'ai pu la serrer dans mes bras, l'embrasser, alors qu'elle était si sereine et exempte de douleur, enfin! Je l'ai sentie avec moi durant ces instants, son âme était réellement palpable dans la chambre. Et pour la cérémonie, je me suis permis d'écrire un mot pour tous les gens qui y étaient.»

On raconte notre histoire. «Chaque fois qu'on le fait, on libère des émotions différentes, qui finissent par devenir moins intenses», explique Christiane Lerhe. On trouve une oreille attentive pour raconter ce qu'était notre relation, nos bons (et mauvais) souvenirs, les derniers moments, les funérailles, etc. On craint de casser les oreilles de nos proches? On se joint à un groupe d'entraide pour endeuillés afin de pouvoir raconter notre histoire sans gêne. Si c'est plus facile pour nous, on peut tenir un journal dans lequel on note ce qu'on vit et où on peut aussi écrire directement au défunt. «Juste le fait d'écrire permet d'évacuer beaucoup d'émotions», dit Josée Jacques.

Dans nos rituels, on donne une place au défunt. Durant une fête de famille, par exemple, on se rappelle des souvenirs: «Maman aimait jouer à ce jeu de cartes.» L'évocation d'un souvenir peut nous faire du bien en nous rappelant combien notre parent a occupé une place importante. Les enfants sont très spontanés pour briser la glace et c'est tant mieux!

On découvre notre héritage. «On se rendra compte que nos parents nous ont légué des valeurs ou des rituels. Cela met un baume sur notre peine et donne un sens à leur passage sur terre», explique Josée Jacques. On peut, par exemple, s'approprier une qualité qu'on appréciait chez notre parent et travailler à l'appliquer dans notre vie.

On garde vivante la mémoire de nos parents. Cela peut prendre différentes formes.

  • Perpétuer une tradition familiale: faire la recette de tarte aux pommes de notre mère ou aller pêcher à la Saint-Jean comme le faisait notre père.
  • Garder sur soi, de façon discrète, un bijou ou un objet qu'ils aimaient: une bague en guise de médaillon ou une médaille dans notre portefeuille.
  • Instaurer des rituels qui font du bien: allumer une chandelle représentant nos parents à un souper de famille, par exemple. «Ma mère adorait passer par l'autoroute Bonaventure pour se rendre à son travail au centre-ville, raconte Éric. C'était un détour, mais elle disait que la vue en valait la peine et que ça lui rappelait les belles choses de la vie. Souvent, je fais comme elle. Je passe par cette autoroute et j'ai même élargi le rituel en passant par la piste cyclable. Inutile de dire qu'elle est avec moi en pensée chaque fois.»

Mort d'un parent: les conséquences sur la famille

Nos parents étant souvent le ciment de notre clan, leur mort entraîne inévitablement quelques remaniements de la structure familiale: nouvelle organisation autour de Noël, par exemple, ou encore, éclatement de chicanes latentes entre frères et soeurs. «Sans parents, la dynamique de la famille change complètement, dit Fabienne. On n'est plus "obligés de bien s'entendre" pour faire plaisir aux parents. On peut établir la relation qu'on veut les uns avec les autres, sans obligation.» Certains se rapprochent, d'autres s'éloignent.

On vivra donc une période de flottement avant de prendre ou non une nouvelle direction. Fabienne a ainsi resserré des liens avec la famille élargie. «Quand des cousins et cousines sont devenus orphelins à leur tour, je savais ce que c'était que de perdre un dernier parent survivant. Puis, peu à peu, il y a toujours eu quelqu'un pour prendre le leadership des fêtes de Noël, du jour de l'An, d'un brunch de Pâques, d'une épluchette de blé d'Inde, etc. Toute la famille s'est assurée que ces traditions perdurent.»

Pour en savoir plus

  • Les Saisons du deuil, par Josée Jacques, Quebecor, 2010, 224 p., 24,95 $.
  • Aimer, perdre et grandir, par Jean Monbourquette, Novalis, 2007, 168 p., 9,95 $.
  • La Dernière Leçon, par Mitch Albom, Pocket, 2004. 224 p., 11,95 $.
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