Psychologie
Sectes: quand un proche tombe dans le piège
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Il y a vingt-cinq ans, un de mes meilleurs amis est devenu membre d'une secte apocalyptique. Il abandonne alors ses études ainsi que ses rêves professionnels. En dehors de la secte, s'était-il convaincu, il ne trouverait plus de salut. Il était persuadé que la fin du monde allait survenir très bientôt. Selon lui, il ne restait plus grand temps avant que la colère divine n'éclate et laisse derrière elle une immense mare de sang: le sang des infidèles, le sang des impurs. Votre sang, le mien.
Que dois-je faire?
Je n'avais aucune idée de ce qu'il fallait faire. Ce n'était qu'une lubie, pensais-je, sa nouvelle croyance n'allait pas faire le poids devant son intelligence et son esprit critique. Pourtant, les semaines passèrent, puis les mois. Il devenait de plus en plus convaincu, plus coercitif dans ses attentes. Je devais moi aussi, pour le salut de mon âme, tout quitter pour préparer la fin du monde. Nos discussions devenaient de plus en plus difficiles, se chargeaient d'émotions crues, d'une communication déconstruite. Son insistance frôlait franchement l'intolérance.
Ne pouvant plus supporter ses longs discours destinés à me rallier à ses croyances, je pris alors une décision: le forcer à choisir entre sa secte et notre amitié. Mon ami choisit ainsi de mettre un terme à notre amitié pour demeurer fidèle à la secte. Tout un choc! La fin du monde avait précipité la fin d'une amitié!
Rien ne m'avait préparé à un tel événement. Aujourd'hui, les familles qui voient un de leurs proches devenir adepte d'une secte ne sont pas plus préparées que je ne l'étais il y a vingt-cinq ans. Les familles qui me consultent sont souvent sous le choc. Jamais elles n'auraient pensé qu'un jour un des leurs les renierait pour suivre un gourou charismatique. Souvent, elles éprouvent un mélange de colère et de peur. Elles en veulent à la secte de s'être immiscée dans la famille et, parmi toutes leurs appréhensions, craignent plus que tout que le «berger» n'entraîne la nouvelle recrue dans un suicide collectif.
Éviter la brisure
La dernière chose que l'on puisse souhaiter dans pareille situation, c'est la perte de contact, la brisure, par exemple la fin d'une amitié. Restez donc autant que possible aux cotés de la victime. Seul l'adepte peut expliquer ce qui l'a conduit à devenir adepte d'une secte et il ne peut le faire qu'à une personne de confiance, un ami ou un parent, comme vous. Votre oreille demeure donc le fil conducteur entre sa secte et notre monde, peu importe si ce qui sort de votre bouche n'a pas l'air d'être entendu. Le dialogue, aussi superficiel qu'il puisse être, ouvre une fenêtre sur le vécu de l'adepte et sur la secte, sur les croyances et les activités de celle-ci. Le tête-à-tête est essentiel et doit être maintenu.
Heureux d'avoir découvert la Vérité, votre proche tentera sans doute de vous convertir à votre tour. Il faudra alors vous montrer à la fois ferme et respectueux de son cheminement. L'adepte ne doit jamais avoir l'impression que vous êtes d'accord avec son choix. Il doit, par contre, sentir votre respect, votre ouverture d'esprit. Dans ce dialogue, chacun doit trouver son compte.
Il faut retenir que l'adepte a une image brouillée de ses relations avec autrui. «Le discernement est ombragé par ce mal à l'aise intérieur», a déjà dit l'auteure Gabrielle Lavallée, dont un gourou lui avait coupé un bras, justement pour la soulager de son «mal». Se sentant jugé, désapprouvé, l'adepte peut facilement être précipité dans la honte. Son estime de soi déjà fragilisée, il risquera alors de s'enfoncer dans un désarroi tel que seul un gourou pourra le soulager.
Parler du réel
Dans vos conversations avec l'adepte, tentez de l'éloigner un peu de son expérience sectaire en lui parlant de la vie familiale, des activités qu'il pratiquait avant d'adhérer à la secte, des amis qu'il voit moins souvent. Parlez-lui du réel, quoi. Rappelez-lui les événements heureux qu'il a partagés avec des proches ou des camarades. Les sectes aiment bien enseigner que la vie passée de l'adepte n'a pas vraiment d'importance puisque en ce temps-là il ne possédait pas la Vérité. Parler des bons moments passés en famille ou avec des amis l'aidera à prendre un peu de distance avec la secte. Des émotions positives surgiront, se concrétiseront, voire se verbaliseront. L'adepte aura alors de la difficulté à adhérer complètement à l'affirmation de son gourou voulant que les gens du monde, ceux qui ne sont pas dans la secte, soient mauvais.
Ne pas brusquer l'adepte
Lors de vos rencontres, attention de ne pas brusquer l'adepte. Il ne faut surtout pas lui reprocher d'être dans une secte et d'être manipulé par un gourou! Personne n'admet entrer dans une secte! Votre proche aura plutôt l'impression d'avoir déniché un mouvement et un guide spirituel qui possèdent la Vérité. Mais il ne s'agit pas non plus de le conforter dans son choix. Il ne faut pas avoir peur de le confronter et même de le contredire, mais toujours avec respect. «Tu sais combien je t'aime, mais je ne suis pas d'accord avec...» est une manière plus habile d'entretenir la flamme que «Ça n'a pas de bon sens». L'important n'est pas d'avoir raison à tout prix, mais de trouver des points de rencontre avec votre proche pour renforcer sa confiance ébranlée.
Poser des questions
Posez des questions qui lui permettront de réfléchir. Il est capable de réflexion, mais son accès au jugement et à la logique est noyé dans un océan de crainte et de confusion. Demandez-lui, par exemple, s'il a consulté d'autres mouvements avant d'arrêter son choix. Essayez de lui faire dire pourquoi il est convaincu que ce groupe possède la Vérité. Demandez-lui de vous parler de son guide spirituel. Cherchez à savoir ce qu'il sait vraiment de cette personne, de ses antécédents. Habituellement le nouvel adepte ne sait pratiquement rien de l'historique de la secte, ni de son gourou. Faites-le lui remarquer. Demandez-lui s'il ne vaudrait pas mieux prendre un peu de recul afin de connaître plus en profondeur leurs histoires.
Lorsque vous lui poserez ce genre de questions, votre proche aura tendance à citer les écrits ou les discours de la secte. Lorsque vous sentirez qu'il ne fait que répéter ce que dit le gourou, demandez-lui de vous répondre dans ses propres mots. Ce petit exercice l'obligera à se distancer de la secte et de son langage. Faites-lui remarquer qu'il a tendance à s'exprimer d'une manière stéréotypée. Cela lui permettra peut-être de se rendre compte que son indépendance a été érodée par la secte. Du moins, cela ouvrira une porte.
Demandez-lui aussi s'il est moins à l'aise avec certaines croyances de la secte. Souvent, le nouvel adhérant, et même les plus anciens, n'osent pas critiquer leur maître spirituel.
Il peut être également très utile de lui poser des questions hypothétiques. Et si le gourou lui interdisait tout contact avec des personnes opposées à son cheminement? Accepterait-il? Quittera-t-il son emploi si son gourou l'exige?
Opter pour la compassion
Le désillusionnement, c'est à l'ami, au frère, à la soeur ou au parent de le mener pour lui-même et non de le balancer à l'adepte. La responsabilité du confident est de reconduire avec force et compassion l'adepte vers l'indépendance. C'est tout, et déjà bien assez.
Sources
Info-secte, Montréal, Québec. Canada
Lavallée, G. L’alliance de la brebis, France Loisirs, 1993
Casgrain, Y. Les sectes: Guide pour aider les victimes, L’Essentiel, 1996