Psychologie
Savoir lâcher prise
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Il était une fois un homme qui voulait attraper un papillon. Il courait, courait inlassablement après ce magnifique spécimen, lorsque soudain, essoufflé, il s'arrêta pour respirer. Il s'assit dans le champ et s'enivra de la beauté de ce jour d'été, humant avec délice le parfum des fleurs sauvages, admirant les montagnes qui se dessinaient au loin. Soudain le papillon se posa sur son épaule. Fin de l'histoire.
« Ah, si ça pouvait être comme ça dans la vie! » soupirez-vous. « Mais c'est exactement comme ça... ou presque! » s'exclame Chantale, 40 ans, qui vient de découvrir les merveilles du lâcher prise après avoir tenté pendant des mois de faire revenir son amoureux à la maison. « Quand on lâche prise, quand on décroche de notre idée fixe, on a le bonheur de vivre l'instant qui, lui, nous apporte son nectar. Et on s'ouvre à tous les possibles. Bien sûr, ce ne sera pas le "papillon" que l'on souhaitait qui viendra se poser sur notre épaule, mais ce sera autre chose. »
Chantale raconte qu'elle a d'abord refusé totalement la séparation, s'accrochant désespérément à Antoine, avec qui elle avait vécu 12 ans.
« J'étais prête à tout pour le reconquérir, même à devenir l'ombre de son chien, comme dit la chanson. Je ne pensais qu'à ça, jour et nuit: il fallait qu'Antoine me revienne! Je n'avais plus envie de manger, ni d'aller travailler: plus rien n'existait que cette idée fixe. Je donnais des rendez-vous à mon ex - que je me refusais à nommer ainsi, bien sûr -, j'utilisais mon charme, ma persuasion, je lui parlais du passé, de la tristesse de notre fille, de son devoir de père; d'autres fois je devenais dure, agressive. Il ne bronchait pas. Le pire affront était de recevoir son regard neutre, comme si j'étais devenue une étrangère pour lui. »
S'abandonner à l'instant présent
« Un jour, je me suis absentée de mon travail et je suis allée m'asseoir au bord du fleuve. J'ai beaucoup pleuré. Puis j'ai regardé l'eau qui coulait librement. Je me suis abandonnée à l'instant présent. J'ai aussi prié. Une image s'est dessinée dans mon esprit: celle de deux mains qui s'ouvraient lentement. Et j'ai tout accepté: la rupture, sa place vide dans mon lit et à notre table, sa vie avec sa nouvelle compagne, mes faiblesses, mes erreurs, le passé... Tout doucement, désir, jalousie, peur, regret, colère, panique ont fait place à une paix intérieure. Et la boule que j'avais en travers de la gorge depuis le départ d'Antoine a disparu. » Chantale avait lâché prise. Ses mains n'agrippaient plus. Elles étaient ouvertes. Ouvertes à la vie, qui nous donne exactement ce dont on a besoin, si on la laisse faire.
Accepter ses limites
« Lâcher prise, c'est accepter ses limites, c'est arrêter de se battre au détriment de son équilibre, de son intégrité et de sa liberté, commente la psychologue Nathalie Dinh. C'est bien de vouloir faire durer l'amour, garder une amitié, économiser pour s'acheter une maison, terminer une thèse de doctorat, comme de vouloir être enceinte, désirer trouver l'homme de sa vie, souhaiter que son mari cesse de boire... Mais quand cet entêtement devient obsessif, quand toute notre existence est envahie par cette idée fixe au point qu'on n'apprécie plus la vie et ceux qui nous entourent, il faut se rendre à l'évidence et réaliser qu'on est allé au bout de ses capacités. Continuer serait nocif. On risquerait de s'effondrer, de tomber malade, de sombrer dans la dépression ou même de se suicider. »
Ainsi Chantale, qui vient de perdre son amour, a un deuil à vivre, et du temps à se consacrer afin de se redécouvrir et de s'apprécier. Se lancer tout de suite à la recherche d'un amoureux gâcherait tout. Ses priorités: s'ouvrir aux bonheurs du quotidien et faire confiance à la vie. Tout viendra en temps voulu.
Cesser de s'accrocher
Lâcher prise veut dire laisser aller, ne plus s'accrocher coûte que coûte à nos rôles, à nos souvenirs et à nos projections. C'est accepter les choses telles qu'elles sont. Et s'abandonner à l'instant présent, comme l'eau coule dans la rivière, comme le jour succède à la nuit. Quand on s'acharne, on n'a plus de perspective: on ne voit qu'une seule chose. On perd le sens de la réalité. Et on se perd soi-même. Lâcher prise ne veut pas dire cependant délaisser une chose pour en agripper une autre! « Il faut faire attention à ce piège, souligne Mme Dinh. Lâcher prise, c'est cesser de s'agripper à un élément extérieur à soi afin de reprendre possession de soi-même. »
Pas facile de lâcher prise
Céline, elle, désirait avoir un enfant. Pendant huit ans, elle s'est acharnée à vouloir être enceinte. Elle a tout tenté pour que son projet réussisse. Hélas, sans succès! L'idée fixe minait lentement sa santé et son couple. Puis Céline a fini par dire oui à l'adoption après avoir écouté les conseils d'une amie, mère adoptive d'une petite fille. « J'aurais dû lâcher prise bien avant, dit-elle. J'ai bousillé plusieurs années de ma vie à m'acharner ainsi. »
Mais lâcher prise n'est pas facile. « L'acharnement est une caractéristique de notre culture de superman, observe Nathalie Dinh. On vit dans une société qui encourage le dépassement de soi à outrance. On admire les winners, les battants, ceux et celles qui ne s'avouent jamais vaincus. On met l'accent sur la réussite avant tout. Comment ça va dans tes études?, demande-t-on. Et non pas: Es-tu heureux? Les signes extérieurs de richesse sont très valorisés. Les enfants en font leur credo très tôt. Pas étonnant qu'une fois adultes, certaines personnes travaillent à s'en rendre malades. Elles n'ont plus le temps de s'amuser avec leurs enfants et leurs amis, de créer, ni même de prendre des vacances. Elles ont perdu pied: elles ne sont plus dans le présent. Pour elles, lâcher prise serait une défaite. S'abandonner? Une perte de leur liberté. Pourtant, s'abandonner n'est pas la perte de notre liberté, mais la conquête de cette liberté. »
Selon Mme Dinh, à partir du moment où l'on s'abandonne, on laisse venir à nous ce qui nous est nécessaire, mais, surtout, on reçoit ce qui est l'émanation de notre être, de notre énergie, de notre plus profonde identité. « On s'ouvre totalement à soi, en dehors des idées reçues et d'habitudes de fonctionnement qu'on avait souvent prises dans la crainte de l'avenir. Lâcher prise permet à nos talents, à nos capacités de s'épanouir et de nous ouvrir à d'autres expériences. On ne peut être libre tant que l'on se conforme à un modèle sans lien avec nos besoins réels. Et quels sont nos besoins réels? Aimer et être aimé. »
Mylène, 29 ans, mère d'un bébé de 15 mois, n'a qu'une idée en tête: obtenir son doctorat avant ses 30 ans. L'arrivée «pas tout à fait prévue» de fiston Joël est venue brouiller son plan de carrière. Aujourd'hui, Mylène est stressée: elle doit s'occuper de Joël, enseigner et, en même temps, terminer la rédaction de sa thèse de doctorat!
« Je me sens continuellement coupable, dit-elle. Coupable d'avoir mis Joël à la garderie à huit mois, coupable de ne pas lui accorder toute l'attention dont il a besoin, coupable aussi de ne plus avoir le temps de parler avec mon compagnon ni de faire l'amour avec lui. Je suis comme une marionnette. Plus de place pour la tendresse. Je sens venir la séparation », avoue-t-elle. Lâcher prise? Et reprendre la rédaction de la thèse dans quelques années? «Jamais!» répond Mylène, l'oeil fixe.
Les pièges à éviter
Vous avez du mal à lâcher prise? Nathalie Dinh suggère de vous donner des balises qui vous signaleront les pièges à éviter, les risques qu'il y a à vous aventurer trop loin dans tel désir, telle tocade, telle expérience, à vous enthousiasmer trop vite pour un projet déraisonnable, à mettre toute vos énergies dans un seul projet de vie ou une seule personne.
« Quand on connaît ses limites, on se protège, dit-elle. On ne risque pas de se brûler pour une cause ou un but, puis d'être submergé par la peine venant de la non-réalisation de ses souhaits. Les limites ne sont pas les mêmes pour tous cependant: chacun a son propre seuil critique au-delà duquel il y a danger! Apprendre à être mesuré amène à garder pied dans la réalité. On est alors capable de s'abandonner à l'instant présent. On construit ainsi son quotidien en fonction de soi-même et de ses propres besoins, une façon sûre de connaître le bonheur. »
Nos idées sur la vie
On s'accroche parfois à des idées sur la vie, à des principes que l'on s'est imposés très tôt et sur lesquels on fonde sa conduite. Et l'on n'en démord pas. C'est le cas de Violaine, 46 ans, certaine qu'elle doit être riche si elle veut être admirée, respectée. Elle raconte: « Toute mon enfance, j'ai été pauvre. À l'école, j'aurais tellement voulu être bien habillée, comme cette Carole qui portait toujours les derniers vêtements à la mode! Alors maintenant que je suis propriétaire d'un gros restaurant, que je fais enfin beaucoup de sous, je prends ma revanche. »
Violaine travaille très fort. Elle ne compte pas les heures. Présente au restaurant de l'ouverture à la fermeture, elle n'arrive pas à déléguer. « Je ne veux pas me faire voler et je veux voir moi-même à la bonne marche de mon entreprise. Hélas, je n'ai plus de temps pour ma famille ni pour moi. Je n'ai, en fait, aucune activité culturelle ou de plein air. » Son mari? « Il est parti! Il s'est fait une amie qui a du temps à lui consacrer. » L'amour? « Pas le temps. Mais ça me manque beaucoup. Je ne me souviens pas de la douceur d'une caresse sur la peau, ni ce que les mots "ma chérie" font au coeur lorsqu'on les entend... »
Violaine est accrochée à sa peur de sombrer dans la misère. Une peur irraisonnée, bien sûr. Elle commence toutefois à s'interroger sur son idée du bonheur. C'est sa fille qui lui a mis la puce à l'oreille. « Maman, tu ne vis plus, lui a-t-elle dit. Ça me fait de la peine. Je t'en supplie: lâche un peu avant de faire un burnout! »
Lâcher prise au quotidien
Nous nous acharnons souvent à vouloir tout maîtriser: non seulement notre vie, mais aussi celle de notre entourage. Nous avons peur de l'avenir. Alors nous nous accrochons à nos idées, nos biens, nos amours. « Chacun de nos chagrins découle du fait que nous croyons à tort posséder un pouvoir ou un bien », écrit Guy Finley dans Lâcher prise, livre stupéfiant de vérité.
Voici quelques moyens pour arriver à lâcher prise et à faire confiance à la vie:
- Vous arrêter quand tout en vous crie «Dépêche-toi». Vous vous éveillerez intérieurement.
- Vous étirer. Puis respirer lentement, profondément.
- Vous détendre. Comment? En relâchant d'abord tous vos muscles. La natation est une bonne façon d'y arriver, de même que la marche en forêt - et non dans des rues achalandées -, l'écoute d'une musique relaxante, de chants d'oiseaux ou encore de bruits de vagues.
- Méditer. Assis à l'indienne, à la maison ou dans la nature, détendu, yeux ouverts, vous êtes attentif à votre respiration. Ne vous en faites pas si votre mental marche à plein régime et si des pensées virevoltent tandis que vous tentez de méditer. Le calme viendra à un moment donné, surtout si vous respirez lentement et profondément.
- Prier. Sans formule toute faite. Vous demandez simplement à Dieu - ou tout autre terme qui désigne l'Infini ou une force supérieure - de vous aider, de faire descendre en vous la paix et la vérité. D'être bien dans votre peau. Vous répétez cette demande calmement, de tout votre coeur, à tout moment du jour.
Lire aussi: Le journal intime, un pèlerinage à l'intérieur de soi
Suggestions de lecture
Savoir lâcher prise 1 et Savoir lâcher prise 2, de Melody Beattie, Sciences et culture. Des méditations quotidiennes qui nous rappellent que chaque jour est une occasion de croissance et de renouveau.
Lâcher prise, Vaincre l'ennemi en soi et Prier pour lâcher prise, de Guy Finley, les Éditions de l'Homme.