Psychologie

Relations frères-soeurs: pour le meilleur et pour le pire

Relations frères-soeurs: pour le meilleur et pour le pire

istockphoto.com Photographe : istockphoto.com Auteur : Coup de Pouce

Les relations entre frères et soeurs sont tout sauf simples! Autant elles peuvent être empreintes d’affection, de solidarité et de complicité, autant elles peuvent aussi être sources de conflits et de rivalité. Pourquoi? Voici quelques pistes.

«On a longtemps négligé l'importance de la fratrie, de son rôle, de son impact, estime Lisbeth Von Benedek, psychanalyste et auteure de Frères et soeurs pour la vie. L'empreinte de la fratrie sur nos relations adultes. Pourtant, nos frères et soeurs sont nos premiers alter ego. C'est beaucoup grâce à eux qu'on apprend à entrer en relation avec les autres.»

Comment se tissent nos relations fraternelles

Si nos rapports avec nos frères et soeurs sont rarement limpides, c'est d'abord parce qu'ils débutent souvent sur une note discordante, à tout le moins un peu grinçante. «Dès qu'un deuxième enfant arrive dans une famille, l'aîné a le sentiment de perdre sa place et l'attention de ses parents, peu importe son âge», dit André Renaud, psychologue. Simon, 34 ans, avait 9 ans à la naissance de son frère. Il se souvient très bien des sentiments qui l'habitaient: «J'étais partagé entre la joie d'avoir enfin un frère et la peur de perdre ma place. Je me rappelle avoir été très jaloux, car tout le monde était aux petits soins avec lui. Je me sentais rejeté, comme si j'étais soudainement devenu un fantôme.» Par contre, Simon aimait s'occuper de son petit frère et avait souvent une attitude protectrice à son égard. «Je l'aimais, mais je lui en voulais aussi, car j'avais l'impression que mes parents le préféraient à moi.»

Selon Lisbeth Von Benedek, les relations fraternelles impliquent souvent l'apprentissage de l'ambivalence. «Très jeune, on apprend qu'on peut à la fois aimer une personne et la détester. » Malheureusement, le sentiment d'injustice que Simon éprouvait a marqué son rapport avec son frère. «Aujourd'hui, je sais que ce n'est pas sa faute, mais je n'ai pas été capable de développer une bonne relation avec lui. Ni avec mes parents, d'ailleurs.» Car si tout se passait bien avant, cela s'est gâté après la naissance de son frère. «Je faisais beaucoup de mauvais coups et j'étais agressif, raconte-t-il. Pas tant envers mon frère qu'avec mes parents, pour attirer leur attention.» Résultat: beaucoup de punitions et une relation tendue, difficile. «Au lieu de me rassurer, mes parents me chicanaient et me comparaient constamment à mon frère.»

Jeanne Safer, psychothérapeute et auteure de Cain's Legacy, explore ces relations complexes et leur impact sur nous. Selon ses recherches, plus du tiers des gens ne se sentent pas proches de leurs frères et soeurs, parfois même jusqu'à éprouver un sentiment d'inconfort auprès d'eux. Et la compétitivité, voire l'hostilité, souvent présentes dès l'enfance, dominent ces liens difficiles. «La solidarité entre frères et soeurs est une belle idée romantique. La réalité l'est souvent moins», affirme la spécialiste.

«Les conflits sont inévitables dans une fratrie, affirme André Renaud. Les enfants se disputent l'attention de leurs parents, ils apprennent à socialiser - ce qui ne se fait pas sans heurts -, ils doivent partager, s'accommoder, tenter de se comprendre. Même si les conflits finissent souvent par se régler ou se résorber, il en reste généralement des résidus. » De petites vexations, des frustrations, des désaccords demeurés en suspens.

Bien entendu, nombre de relations fraternelles sont malgré tout positives et plutôt harmonieuses. Une étude menée par des chercheurs des Universités de Californie et de l'Illinois, publiée en 2009, montre que ces conflits offrent souvent aux enfants l'occasion d'apprendre à résoudre les différends, à trouver des solutions, à faire des compromis, etc. L'étude avance également que l'influence de nos frères et soeurs est aussi importante que celle de nos parents: ces derniers nous ont fourni les premiers outils pour socialiser, nos frères et soeurs nous ont permis de les mettre en pratique quotidiennement. D'où la nécessité pour les parents d'encourager leurs enfants à être ensemble, à se respecter, à coopérer et à développer des habiletés pour faire face aux conflits. Laurence, 32 ans, se rappelle des jeux qu'elle a partagés avec sa soeur aînée et son frère cadet, de la complicité qui unissait ces trois mousquetaires davantage portés à rigoler ensemble et à faire les 400 coups qu'à s'arracher les cheveux sur la tête. «Évidemment qu'on se chamaillait, très souvent même! dit-elle. Et par moments, je détestais ma soeur, car mes parents lui permettaient certaines choses du fait qu'elle était plus vieille. Ça m'énervait royalement! Mais je l'admirais beaucoup. Aujourd'hui, c'est ma confidente, ma meilleure amie.»

Le rôle des parents

Récemment, la mère de Laurence lui a avoué que son père avait toujours éprouvé quelque chose de spécial pour elle, qu'elle était sa préférée. «Ça m'a étonnée, dit-elle, car ça n'a jamais paru. Mes parents nous ont traités tous les trois de la même manière, ils ont toujours fait preuve d'équité.» Anne, 43 ans, aurait souhaité que ses parents fassent davantage preuve d'impartialité envers sa jeune soeur et elle. «Il y a eu beaucoup de rivalité entre nous. Je pense que mes parents l'ont encouragée, peut-être sans s'en rendre compte», estime-t-elle. Plus douée à l'école, plus sportive, plus sérieuse, Anne aurait dû se sentir privilégiée. Elle a au contraire souffert de ces avantages. «Mes parents nous comparaient toujours. Ils disaient à ma soeur de se forcer à l'école, d'être plus persévérante, plus active, etc. Elle a développé une réelle aversion à mon égard», s'attriste Anne.

Lisbeth von Benedek croit que les relations que nos parents ont eues avec leurs propres parents déterminent en partie nos relations avec nos frères et soeurs. «Par exemple, si les parents de notre mère ont toujours encouragé la compétitivité dans la fratrie, il y a des chances qu'elle fasse la même chose avec nous.» La responsabilité des parents est également importante quant à l'évolution des rapports entre leurs enfants. «Le rôle des parents est d'offrir un cadre pour permettre à leurs enfants de se développer à leur rythme, affirme Lisbeth von Benedek. Ils doivent se montrer justes et capables de reconnaître l'unicité de chacun.»

La psychanalyste croit aussi qu'il est essentiel que les parents passent du temps seul à seul avec chacun de leurs enfants afin que ceux-ci sentent qu'ils sont importants et uniques à leurs yeux. «Il est normal pour un parent d'éprouver plus d'affinités avec l'un de ses enfants, dit-elle. Il ne doit pas culpabiliser, mais en prendre conscience et faire en sorte que cela ne paraisse pas.»

Simon a encore du mal à accepter ce qu'il perçoit comme une injustice de la part de ses parents. «Ils ont désiré mon jeune frère tellement longtemps qu'il a instantanément été le chouchou!» «On garde longtemps en mémoire ce qu'on a vécu enfant», rappelle Jeanne Safer. André Renaud nuance toutefois: «Il est vrai que les parents y sont pour beaucoup dans le développement des relations au sein de la fratrie, mais la personnalité des enfants compte également. Par exemple, un enfant peut être plus sensible, plus vulnérable à l'insécurité; un autre sera plus indépendant, extraverti, etc.» Résultat: l'un fera preuve d'assurance et prendra sa place dans la fratrie tandis qu'un autre sera en retrait ou incapable de faire face aux conflits.

L'importance de faire la paix

Laurence, sa soeur et son frère ont toujours formé un trio bien soudé. «Si on ne peut pas se voir une semaine, ma soeur et moi, on va au moins se téléphoner. Mon frère habite à Vancouver. On se voit plus rarement, mais c'est toujours un plaisir de se retrouver!» Simon, lui, a pratiquement coupé les ponts avec son frère et même avec ses parents. «On se voit à Noël et encore, pas toujours. Ça fait tellement longtemps que notre relation est pratiquement inexistante que je ne saurais pas comment changer les choses.» Il n'est certainement pas le seul.

Jeanne Safer suggère de se demander si nos frères et soeurs sont nos amis. «Dans la plupart des cas, la réponse sera non, et je trouve ça tragique. Pensez à tout le temps passé avec eux, à tout ce qui a été partagé et vécu ensemble. Il s'agit de relations uniques. Je trouve dommage qu'on néglige souvent de s'y attarder et de travailler pour les améliorer quand c'est possible.»

Anne n'aurait jamais cru la réconciliation avec sa soeur possible puisque, depuis le départ de cette dernière de la maison familiale, il y a plus de 20 ans, elles s'étaient revues tout au plus une dizaine de fois. «C'est le décès de notre mère, il y a six ans, qui nous a rapprochées, explique Anne. Ma mère a été malade pendant quelques mois avant de mourir, et ma soeur et moi étions à son chevet. Cela a donné lieu à de belles discussions. On a réglé des choses, on a fait la paix.» Depuis, Anne et sa soeur sont très proches et se voient régulièrement. «Il est vrai que certains événements, comme le décès d'un parent, peuvent favoriser un rapprochement, confirme André Renaud. Mais ça peut aussi raviver des conflits demeurés latents.»

Quoi qu'il en soit, on ne peut pas ignorer nos frères et soeurs, même si nos relations avec eux sont bancales. «C'est souvent d'eux que sont venus nos premiers sentiments de reconnaissance et d'appartenance», observe Jeanne Safer. Si on ne s'entend pas, on doit comprendre pourquoi, se demander ce qui nous dérange. «Quand on a répondu à ces questions, on est en route, sinon vers la réconciliation, du moins vers la paix avec soi-même », croit Lisbeth von Benedek. Mais si on laisse nos relations fraternelles aller à la dérive sans tenter de comprendre les raisons de cette mésentente, on risque de voir le même pattern se reproduire avec d'autres personnes. «Par exemple, si on était sans cesse en conflit avec notre soeur, il y a de fortes chances que cela teinte nos rapports avec les autres femmes», explique André Renaud.

Toutefois, si les liens du sang sont importants, Jeanne Safer croit qu'ils ne le sont pas à n'importe quel prix. «Certaines relations sont carrément toxiques et il est impossible, voire inutile, de vouloir les rafistoler. Par exemple, dans les cas d'abus, de violence.» D'autant plus qu'on n'est pas condamnée à en souffrir éternellement. Parfois, d'autres personnes, sans le savoir, nous aident à passer au travers: un cousin qui nous estime, une bonne amie de qui on dit: «Elle est comme ma soeur.»

À voir ces difficultés relationnelles entre frères et soeurs, on pourrait croire que la solidarité fraternelle est utopique. Elle existe pourtant dans certaines familles, dont celle de Laurence. «Nos parents nous ont toujours encouragés à communiquer et à ne pas laisser s'envenimer la situation, explique-t-elle. Je sais que ma relation avec ma soeur et mon frère est privilégiée. Nos liens sont forts.»

De l'intimidation au sein de la famille?

Une étude menée auprès de 3 600 enfants de 17 ans et moins, parue dans le journal en ligne Pediatrics en juin dernier, révèle des résultats pour le moins troublants. Plus de 30% des enfants interrogés ont affirmé avoir été victimes au moins une fois de violence verbale ou physique de la part d'un frère ou d'une soeur. Et pour 15% d'entre eux, cela s'est répété. Agression physique, rejet, insultes, menaces: quelle que soit la nature de la violence subie, les chercheurs ont constaté que la santé mentale des victimes était plus fragile que celle des enfants qui n'ont jamais vécu cette situation. Ils étaient plus susceptibles de souffrir d'anxiété, d'accès de rage et de dépression. Bien que notre société soit plus consciente du phénomène de l'intimidation et mette en place davantage de moyens pour la prévenir, il semble que l'intimidation vécue dans la famille soit plutôt banalisée. Les chercheurs croient qu'on la considère un peu comme un passage obligé, comme normale et même bénéfique jusqu'à un certain point, y voyant une façon pour les enfants d'apprendre à gérer les agressions qui peuvent survenir avec d'autres personnes.

 

Réconciliation: 3 étapes essentielles

1. Assumer une part de responsabilité. Notre frère ou notre soeur n'est sans doute pas le seul responsable de la situation. «On doit être ouverte aux explications de l'autre, à sa façon de voir les choses, insiste Jeanne Safer. Ce n'est pas facile, car il faut changer une perception qu'on entretient sans doute depuis l'enfance.» Bref, un travail sur soi s'impose avant d'aller vers l'autre.

2. Faire les premiers pas. On laisse évidemment de côté les blâmes et les critiques. «Si l'autre personne est ouverte, on peut se donner rendez-vous et revenir sur ce qui ne marche pas entre nous, en parlant toujours de nos propres sentiments, sans jamais présumer des siens», dit la psychologue. Et on mise sur les solutions: que peut-on faire pour que cela aille mieux? Attention: on évite de le faire à Noël ou lors d'un autre événement important. On privilégie un tête-à-tête à un moment où chacun aura du temps pour une longue discussion.

3. Avoir des attentes réalistes. Si on pense que notre soeur deviendra notre meilleure amie du jour au lendemain, on risque d'être déçue. Personne ne changera soudainement et on devra sûrement gérer encore quelques accrochages. Mais si on arrive à échanger quelques mots de façon amicale ou à ne plus se déchirer, c'est une réussite. On arrivera peut-être à se rapprocher avec le temps. «Toutefois, il faut aussi s'attendre à ce que notre frère ou notre soeur ne soit pas prêt à se réconcilier, dit Jeanne Safer. Mais on ne laisse pas cette situation envenimer davantage nos relations. On réessaiera une autre fois.»

Pour aller plus loin

  • Frères et soeurs pour la vie. L'empreinte de la fratrie sur nos relations adultes, par Lisbeth von Benedek, Eyrolles, 2013, 194 p., 29,95$.
  • Quelle place dans la fratrie?, par Karin Jaques, de Boeck, 2008, 160 p., 31,95$.
  • Des soeurs et des frères, par Sylvie Angel, Marabout, 2002, 316 p., 10,95$

 

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