Psychologie

Quand la dépression entre dans la maison

Quand la dépression entre dans la maison

Auteur : Coup de Pouce

5 questions à un expert
Le Dr Yves Lambert soigne la dépression depuis près de 25 ans.

Qui est touché par la dépression?
L'âge, le sexe, le statut social ou la scolarité n'entrent pas en ligne de compte, mais il reste que les catastrophes (une perte d'emploi, par exemple) n'ont pas la même ampleur pour tous: ultimement, l'impact est plus dévastateur chez un pigiste que chez un employé de l'État, chez une mère monoparentale qu'au sein d'une famille unie, et un haut salarié a plus de moyens de guérir qu'un travailleur au salaire minimum.

Comment aide-t-on un conjoint qui en souffre?
Il faut s'armer de patience. La maladie peut durer des mois, voire des années. Il faut aussi bien s'entourer, en identifiant des proches sur qui compter. Des alliés bien choisis vont faire toute la différence pour un conjoint qui tente de garder la tête hors de l'eau.

Quels sont les comportements à éviter?
Il ne faut pas le nier: notre bien-aimé est malade et il souffre. Mais il ne faut pas non plus le materner et le déresponsabiliser: il a besoin de soutien, mais, si on le met en situation de dépendance, il va devenir un enfant au sein de la famille, et la situation risque de perdurer une fois la maladie résorbée. Finalement, quand on a l'impression d'être à bout de ressources, il est normal d'avoir envie de brasser le conjoint malade, de crier: «Aide-toi!» Mais plus on dit ça, plus on blesse. Il faut se souvenir que le jugement de l'autre est altéré pendant la dépression. Sa souffrance est tellement grande qu'il veut parfois mourir. Douceur et patience sont de mise.

À quoi peut-on se raccrocher?
L'humour est une stratégie réellement efficace. Si on arrive à désamorcer des situations graves, on peut trouver la force d'en rire! Le conjoint malade aura certes de la difficulté à s'esclaffer, mais la personne saine va garder un pied dans une zone proche du bonheur. L'autre bouée, c'est l'espoir: continuer d'avancer en sachant dans son coeur qu'il y aura des jours meilleurs.

Y a-t-il des moments où tout ce qu'il reste à faire, c'est partir?
Si on se sent en danger et qu'on n'a plus rien à donner. Le pire, c'est partir et revenir. La décision doit donc être éclairée et réfléchie parce que le manque de constance peut être un coup fatal à la personne dépressive. Par contre, si le patient fait son bout, si le conjoint se réseaute et le soutient, le couple s'en sort plus fort. Chaque individu devient plus solide, et les enfants développent une sensibilité à la souffrance qui peut les aider dans la vie.Comment parler aux enfants?
  • « Le pire, c'est le silence», prévient Anton Chow, travailleur social à la Clinique de l'humeur de l'Institut universitaire Douglas en santé mentale. On leur explique, en mots faciles à comprendre, que papa ou maman est malade, que cela n'est surtout pas de leur faute et que la guérison sera sans doute très longue.

  • On déresponsabilise les enfants. Ils ont tendance à se sentir coupables et peuvent facilement croire que maman est «triste» parce qu'ils lui ont fait de la peine. «Si on se tait, ils vont tout prendre sur leurs épaules», cautionne le Dr Lambert.

  • On leur explique qu'on est leur allié devant la maladie de papa ou maman. «S'il ou elle crie ou se fâche, viens m'en parler, je vais régler ça.»

  • Si un enfant s'emmure et qu'on n'arrive plus à l'atteindre, il faut aller chercher de l'aide.

    Gare à la dépression psychotique
    Si notre conjoint entend des voix ou se sent persécuté, coupable de tout ou carrément indigne de vivre, il souffre peut-être de dépression psychotique. Il s'agit d'un cas d'urgence: les sentiments que cette maladie engendre sont si intenses que la personne peut devenir dangereuse pour elle-même ou les autres. Il faut la convaincre d'aller consulter. En situation extrême, on compose le 911 pour obtenir l'aide d'un policier, la seule personne autorisée à amener quelqu'un dans un hôpital contre son gré.


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    4 conseils pour soutenir un conjoint dépressif

     

    • Écouter. C'est une erreur de croire qu'on sait ce que l'autre traverse. Plus que tout, la personne dépressive a besoin d'écoute.
    • Respecter son rythme. On l'encourage sans jamais le forcer. Même si on pense qu'une balade lui ferait le plus grand bien, on respecte un refus.
    • Encourager l'action. La moindre participation à une activité est bénéfique, même si on n'en voit pas les effets immédiats. Chaque initiative, même la plus petite, comme dresser la table, est une victoire. On laisse toutefois tomber le «fais-le pour moi».
    • S'aérer l'esprit. On ne se laisse pas couler avec son conjoint: il faut continuer à rire et s'amuser! C'est l'autre personne qui est malade, pas nous.

     

    Pour trouver de l'aide

     

    • Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale, 1-800-323-0474.
    • Revivre, Association québécoise de soutien aux personnes souffrant de troubles anxieux, dépressifs ou bipolaires. Ligne d'écoute au 514-738-4873 ou 1-866-REVIVRE entre 9 h et 21 h, du lundi au vendredi, ou par courriel à revivre@revivre.org.
    • Association québécoise de prévention du suicide, 1-866-277-3553.  

    «"Si le juge ne te permet pas de me voir, je vais me suicider." Pendant des semaines, mon fils de 12 ans a gardé dans son coeur ce secret traumatisant que son père lui avait confié. Louis, son papa, souffrait de dépression psychotique depuis trois ans et refusait de se faire soigner. Son rapport à la réalité était distordu. Il était agressif, se réfugiait dans son monde et communiquait de plus en plus mal avec sa famille et son entourage. Il s'était disputé avec ses deux meilleurs amis et les avait mis à la porte. «Je voulais croire que Louis allait bien, même s'il se levait la nuit pour discuter avec les voix dans sa tête pendant que je faisais semblant de dormir. J'avais honte. Je ne me disais pas qu'il allait guérir, je refusais plutôt de voir qu'il était malade. C'est la soeur de Louis qui a sonné l'alarme. Elle a remarqué que notre garçon était taciturne. Son entrée au secondaire était un désastre, il était devenu renfermé et ne voulait plus aller à ses pratiques de hockey. J'étais tellement prise par la situation que je ne voyais pas mon fils piquer du nez. J'ai alors compris que si moi, j'étais prête à souffrir, il était hors de question que je laisse mon fils dépérir. J'ai expliqué à mon conjoint avec beaucoup de douceur que je devais le quitter. Il m'a répondu que j'étais dangereuse pour notre enfant et qu'il devait le protéger... J'ai eu peur. J'ai fait intervenir les policiers. J'ai vu les voisins aux fenêtres. Je ne l'oublierai jamais. Ils l'ont amené à l'hôpital cette nuit-là. J'ai eu recours à la loi pour protéger mon fils de son père. Je suis séparée depuis 6 mois, Louis est en cure, et ses contacts avec notre fils sont supervisés.


    «Le plus difficile dans la dépression de l'autre, c'est accepter nos propres limites à l'aider. Je lui en ai voulu de briser notre couple et notre famille. Je consulte une psy et j'apprends la compassion, car la dépression est une maladie, et non un élan de méchanceté. Mon fils est suivi en psychologie pour qu'il puisse parler librement de sa propre colère. Chacun doit ventiler sa peine. La dépression est un deuil du bonheur, c'est un naufrage pour la famille. Mais surtout, c'est une maladie qui doit être diagnostiquée et soignée.» Louise, 44 ans

     

    «Charles, mon conjoint, a souffert de dépression majeure à l'âge de tous les possibles. Nous venions d'acheter notre première maison, après trois ans de vie commune. J'étais enceinte de notre premier enfant. Il venait d'avoir une promotion et moi, mon premier emploi dans mon domaine. La vie s'annonçait parfaite. Et je lui en ai gravement voulu d'être malade. Pendant trois mois, des gestes aussi banals que manger ou se raser lui apparaissaient comme une montagne. J'étais toujours en colère contre lui, mais il ne réagissait même pas. Le diagnostic est tombé à 31 ans: dépression majeure. Si mon chum avait eu un cancer, j'aurais été beaucoup plus compatissante, mais j'associais sa maladie à une forme de paresse. Je n'avais qu'une envie: lui mettre mon pied au derrière pour qu'il avance! «Je sais aujourd'hui que la dépression est un cancer de l'âme. Il a mis deux ans à s'en sortir et j'ai dû accepter de ne pas être en parfait contrôle de ma vie pendant cette période. J'ai eu recours à une aide psychologique, notamment pour lui pardonner de m'avoir laissée accoucher seule. J'ai fait un grand travail d'introspection pour revoir mes propres valeurs. Une amie m'a dit un jour: "Sylvie, ce n'est pas toi qui es malade, c'est lui!" Pourtant, je sais maintenant que, s'il pleut sur ton conjoint, il ne peut pas vraiment faire soleil sur toi. Mais j'ai aussi utilisé cette période pour apprendre d'autres notions de plaisir en sa compagnie: l'écoute véritable, la compassion, la patience. J'ai fait un voyage au coeur de mon amour pour lui. Maintenant, je peux dire que les gens qui traversent une dépression peuvent devenir de meilleures personnes. Je suis plus sensible à la détresse, plus empathique, plus ouverte à ce que vivent mes semblables, et mon chum aussi. Notre couple est plus fort: nous avons démoli le piédestal imaginaire sur lequel nous avions érigé un combo belle maison-belle carrière-enfants parfaits.


    «Nous attendons maintenant un deuxième enfant et, à 36 ans, nous savons que nous sommes des êtres vulnérables. Le savoir nous a rendus plus forts. La dépression est un passage dans un long tunnel gris. Mon chum et moi, on ne s'est jamais lâché la main, et la vie a tellement plus de goût maintenant. Mon chum m'a dit, dernièrement, qu'il ne souhaitait la dépression à personne, mais qu'il savait que cette expérience l'avait rendu meilleur. Je l'ai embrassé langoureusement. Et je recommence chaque jour, comme si c'était notre ultime baiser!» Sylvie, 36 ans

    «J'ai marié un beau grand bonhomme, charmeur, dynamique, entrepreneur et plein de vie. C'était il y a 18 ans. Dernièrement, j'ai compris que notre fille de 17 ans avait honte d'amener son premier amoureux à la maison. "Papa est toujours évaché sur le divan et il a l'air d'un vieux zombie, m'a-t-elle lancé. Il ne se lave même plus!" Dans ma tête, je l'ai giflée! Pourtant, elle avait raison. «Depuis un an, l'homme que j'aime a disparu pour faire place à quelqu'un qui ne pense plus, ne me touche plus, ne participe plus à la vie familiale, parle à peine et se néglige à fond. Et je commence à trouver difficile de continuer à l'aimer. Après trois mois de dépression, j'ai réussi à le traîner chez le médecin, qui lui a prescrit des antidépresseurs. Il refuse de les prendre et refuse le suivi médical. Je crois qu'il nie en bloc ce qui lui arrive. Travailleur autonome, il ne met plus les pieds dans son bureau. Depuis plusieurs mois, c'est moi seule qui supporte tous les besoins de la maisonnée. Cet hiver, sentant que j'allais craquer, j'ai consulté. La psy m'a expliqué qu'il fallait que j'arrive à lui communiquer ma détresse, sinon j'allais sombrer avec lui.

    Elle m'a expliqué qu'il ne faut pas materner la personne dépressive ni l'implorer de faire les choses par amour pour soi, ce qui lui mettrait une pression indue sur les épaules. Elle m'a aidée à trouver les mots: "J'observe que tu n'es plus la même personne. Je ressens beaucoup de difficulté à vivre avec toi. J'ai besoin de savoir si tu t'en rends compte." Il fallait le faire participer, au minimum, au plan de match pour s'en sortir. À ma grande surprise, il a embarqué. On y est allés pas à pas. Je garde en tête que je ne suis ni sa thérapeute ni sa mère. Je sais que l'homme que j'aime est emprisonné dans un esprit malade. La clé importante, c'est l'espoir.» Jasmine, 46 ans

     

    «Notre fils de 15 ans s'est suicidé l'été dernier. Ce jour-là, mon mari, Claude, est un peu mort avec lui. Il est retraité et vit à notre maison de campagne. Je travaille et passe plusieurs jours par semaine en ville. Quand j'arrivais à la campagne, les toiles étaient baissées, la maison était à l'envers. Parfois, John n'était pas sorti depuis des jours. Il fixait le vide, ne parlait que très peu, avait perdu le goût de l'effort. Lorsque je lui ai demandé s'il voyait une lumière au bout du tunnel, il m'a répondu avec ironie que la seule lumière qu'il voyait, c'était celle du train qui fonçait sur lui à vive allure. Il refusait de consulter. Même ma menace de le quitter ne le faisait pas réagir. C'est là, justement, que j'ai saisi l'ampleur de la maladie. Claude avait perdu son jugement et sa capacité de prendre une décision juste et éclairée. J'ai usé de patience pour le convaincre de voir notre médecin. Les antidépresseurs qu'il prend aujourd'hui l'aident à se rattacher à une certaine hygiène de vie. Il vient de joindre un groupe de discussion pour les parents ayant vécu le suicide de leur enfant. Il pose des gestes concrets, et chaque jour, il fait des efforts. Ouvrir les toiles pour laisser entrer la lumière, ou lire une seule page d'un livre, sont de grands efforts pour la personne dépressive.

    Je m'efforce de poursuivre ma vie, de me rattacher à ceux que j'aime et de garder la tête hors de l'eau pendant qu'il est submergé. Je me sens assez forte pour le faire. J'essaie de tirer des enseignements de vie du destin tragique de notre fils. Mon mari, lui, a sombré dans la culpabilité et il doit dénouer ses sentiments et faire la paix avec le destin. Je l'aime, mais sa maladie n'est pas la mienne. Il est présent physiquement, mais son âme est en voyage. Une fois sa dépression guérie, je garde espoir de le retrouver pour des jours heureux.» Manon, 45 ans

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