Psychologie
Porter un masque pour cacher son vrai visage
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Nathalie écoute chacun attentivement, ne se fâche jamais. Ses propos, toujours mesurés, ne font pas de vagues. C'est la gentille, la douce Nathalie qui, partout, fait l'unanimité. Un jour cependant, au cours d'une réunion de professeurs, alors qu'elle est la seule de tout le groupe à ne pas critiquer l'attitude tyrannique de la directrice, une consoeur lui lance au visage: « Dis-le, toi aussi, que tu ne peux pas la sentir, la directrice! »
Et, après un silence, d'ajouter: « Toi, Nathalie, tu es une hypocrite! Toujours cette voix et ce sourire mielleux! On ne sait jamais ce que tu penses réellement. »
Nathalie en a été estomaquée. Mais l'attitude de cette collègue fut, pour elle, le début d'une prise de conscience. Nathalie porte un masque depuis son enfance. Son rôle de fille gentille, elle le joue à la perfection. Mais à l'intérieur, la vraie Nathalie se sent traquée, bâillonnée... comme le sont souvent les personnes qui portent un masque.
Peur de dire ou de vexer
« On ne porte pas un masque sans raison, observe la psychologue Claire Bélanger. On le fait parce qu'on a peur de vexer, peur de dire non, peur de l'autorité, peur de la façon dont on sera perçu. On veut se faire aimer. Et on se coupe de soi-même pour être avec les autres. « Si je me montre tel que je suis, on va peut-être me rejeter. Et je ne serai pas capable de le supporter », se dit-on en soi-même. Alors, avec le temps, à force de dissimuler ce qu'on est et ce qu'on veut, de ne pas montrer ce qui nous habite, on en vient à ne plus savoir qui on est vraiment. On s'est perdu en chemin. On s'est rejeté soi-même. C'est une sorte d'automutilation. Vouloir se faire accepter, admirer, aimer est un désir légitime. Mais jamais au prix de sa liberté, de sa vérité. »
Prendre soin de soi
Lyne, médecin dans la quarantaine, avait été surnommée par ses pairs « maman Lyne ». À la maison, à l'hôpital et dans les associations où elle oeuvrait comme bénévole, elle avait une réputation de femme protectrice, toujours prête à réconforter les autres. « C'est la reine des docs! » « Une vraie mère pour nous! » s'exclamait-on autour d'elle. On pouvait appeler Lyne à trois heures du matin, elle était toujours disponible. Puis Lyne a commencé à se sentir écrasée par sa réputation de femme forte au grand coeur. Un jour, elle a craqué. Elle est tombée malade. « Je n'en pouvais plus! », dit-elle.
Du plus loin qu'elle se souvienne, Lyne s'est toujours occupée des autres, dont sa mère, atteinte de schizophrénie. « Et moi, s'est-elle enfin demandé, quand est-ce que je m'occupe de moi? Quand est-ce que j'ose montrer que j'aimerais moi aussi être portée de temps en temps? Au fait, ai-je déjà été portée? »
Un jour, Lyne, en fouillant dans une boîte de photos, a mis la main sur un cliché d'elle, bébé naissant, endormie dans les bras de sa mère. « J'ai glissé la photo sous mon oreiller. Je la regardais avant de m'endormir. Je me disais: « Moi aussi, j'ai déjà été portée. » Cette photo a été pour moi le commencement d'une lente mais belle transformation. J'ai appris à prendre soin de moi comme je le faisais des autres. »
Arracher son masque et dire ce qu'on pense
À 15 ans, Dominique, garçon unique, comblé, réussissant bien à l'école, a voulu mourir. Son père l'a sauvé in extremis de la mort par asphyxie. Quelques heures après sa tentative de suicide, il s'est ouvert à son père. « J'ai voulu mourir parce que je n'étais plus capable de tout cacher... »
« Cacher quoi? », a demandé le père, surpris. « Cacher ce que je pense... Ce que je suis. Je garde tout en dedans de moi. Je suis toujours gentil. Je prête tout. Je dis toujours oui à ce que la gang suggère. Je ne me fâche jamais. Tout le monde m'aime. Mais au fond, je ne suis pas cool du tout. J'ai l'estomac noué. Des fois, j'ai du mal à respirer. Je suis coincé, papa. C'est pour ça que j'ai voulu mourir. » Le vrai Dominique venait d'arracher son masque, de dire sa vérité.
Aujourd'hui, Dominique, étudiant au cégep, suit une thérapie qui l'aide à mieux répondre à ses besoins. Il a aussi une amoureuse formidable qui l'aide à être lui-même, à dire ce qu'il pense.
Un long chemin
Se réapproprier ce qu'on est vraiment, après avoir pris conscience que l'on porte un masque, ça peut être long. « Cela se fait par étapes, dit Claire Bélanger. Au début, on est un peu gauche, parfois brusque, et les autres sont surpris du changement. Mais il est important de persévérer tout en se protégeant et en se donnant le temps qu'il faut. »
Il est même parfois nécessaire de déranger, de contrarier, pour exister vraiment. On a le droit de ne pas sourire, de ne pas toujours être performant et même de décevoir parfois les autres. Cela ne veut pas dire que l'on ne tient plus compte de nos interlocuteurs: le sens de l'écoute demeure une qualité rare et bénéfique. Donner un peu de notre temps aux autres et leur être agréable, cela reste un des grands plaisirs de la vie. Mais on comprend qu'il n'est pas question de le faire à notre détriment...