Psychologie

Petit creux ou grosse émotion?

Petit creux ou grosse émotion?

Auteur : Coup de Pouce

Il nous arrive toutes:

  • de tendre irrésistiblement la main vers un pot de crème glacée double chocolat les soirs de déprime;
  • de saliver à l'idée de croquer dans nos pâtisseries préférées après une journée frustrante;
  • d'avoir une envie incessante de grignoter tout ce qui nous tombe sous la main quand on est angoissée.

«Je sais ce que c'est, confie Kristina. Quand je me sens contrariée, j'ai toujours envie de manger et je ne peux pas m'en empêcher.» C'est une situation commune. «Ça arrive vraiment à tout le monde, assure Catherine Dubé, professeure à l'École de psychologie de l'Université Laval. L'automne est une période stressante au travail, et j'ai toujours tendance à manger davantage. Mais, dès que le stress tombe, tout rentre dans l'ordre. On vit toutes ces situations à un moment ou à un autre.»

Qu'on se remonte le moral avec quelques morceaux de chocolat n'a rien de dramatique, surtout si on se sent mieux par la suite. «C'est un comportement tout à fait sain et normal, explique Marie Watiez, psychosociologue de l'alimentation et formatrice à l'organisme Équilibre. Manger apaise, soulage et réconforte. Ça nous procure du plaisir et du bien-être.» «La nourriture comble un besoin physique, mais aussi émotionnel», soutient Josée Guérin, nutritionniste et psychothérapeute. Par exemple, lorsqu'on mange un grand bol de soupe chaude en hiver, cela calme notre faim et répond à nos besoins nutritionnels, mais aussi, la soupe nous réchauffe et nous réconforte. «C'est une solution facile et à notre portée pour se faire du bien», ajoute-t-elle.

Se faire du bien, oui, mais...

Si tout le monde mange ses émotions de temps en temps, certaines personnes - surtout des femmes, constatent les experts - ont davantage tendance à se tourner vers la nourriture lorsqu'elles vivent des situations difficiles et des émotions intenses, comme de la frustration, de l'anxiété, de la solitude, de l'insatisfaction ou de l'ennui. «Il y a des gens qui ont plus de difficulté à gérer leurs émotions, constate Josée Guérin. Ils tentent de trouver des moyens pour les étouffer, les refouler et les fuir au lieu de les vivre. Pour enfouir leurs émotions, certains choisissent la nourriture.»

Karine le sait trop bien. «J'avais 11 ans quand mes parents ont divorcé, raconte-t-elle. Ma mère s'est remariée, et la situation est devenue plus difficile à la maison. J'étais toujours triste, frustrée et malheureuse. Je me sentais seule au monde. Alors, je me suis mise à manger, tout le temps, n'importe quoi. Je me réfugiais dans la nourriture pour ne pas penser au reste. À l'adolescence, j'avais déjà un surplus de poids de 60 lb.»

Quand les émotions deviennent envahissantes, manger permet en effet de les apaiser pour un moment ou d'oublier nos malheurs. «La nourriture peut servir d'analgésique, explique Catherine Dubé. Par exemple, si on est en colère et qu'on mange de façon rageuse, on le fait souvent rapidement et en grande quantité pour se sentir pleine; on enfouit l'émotion. Pendant qu'on mange, on porte notre attention sur autre chose que nos émotions. Quand on s'est calmée, toutefois, on n'est pas toujours fière de nous.»

C'est bien là le hic: l'effet est souvent temporaire. La nourriture soulage et apaise sur le coup, mais après, les émotions refont généralement surface, parfois avec plus d'intensité, car on ne règle pas le problème à la source. Et si on prend l'habitude de se servir de la nourriture comme d'un baume pour l'âme, ça risque d'engendrer d'autres émotions et conséquences: prise de poids, culpabilité, faible estime de soi. «On en vient à cumuler encore plus d'émotions négatives et on mange plus pour les soulager, estime Marie Watiez. On entre alors dans un cercle vicieux.»

 

Quand doit-on s'en préoccuper?

«La plupart d'entre nous mangeons davantage en période de stress ou de déprime, par exemple, dit Catherine Dubé. Ensuite, la situation se règle d'elle-même et on se remet à manger normalement, souvent sans même y penser. Parfois, on s'en sert comme indicateur: quand on s'aperçoit qu'on mange plus, on sait que quelque chose ne va pas, on cherche le problème et on le règle autrement. Toutefois, quand la situation est récurrente et omniprésente et qu'on n'a pas développé d'autres stratégies que manger pour faire face à nos émotions ou pour les éviter, c'est plus problématique. Quand on s'en rend compte, l'habitude est souvent déjà prise. Il est plus difficile de trouver d'autres solutions.»

Si manger nous apporte à l'occasion l'apaisement et le soulagement recherchés, on ne devrait pas trop s'en inquiéter. «Par contre, si, après avoir mangé, l'émotion est toujours présente, qu'elle nous tiraille encore plus et qu'elle nous amène à manger tout le temps, on doit réagir», estime Marie Watiez. Surtout lorsque le fait de manger nos émotions commence à avoir un impact négatif sur notre vie: prise de poids importante, problèmes de santé, obsession pour la nourriture, sautes d'humeur, culpabilité, anxiété, souffrance, impression de perte de contrôle. «Il y a un réel problème lorsque la nourriture devient le centre de notre vie et que la situation nous fait souffrir», dit Josée Guérin.

 

Pour reprendre le contrôle

Que faire si les émotions nous poussent trop souvent vers la nourriture? Voici cinq stratégies à essayer.

1. Identifier les déclencheurs. Plusieurs sentiments peuvent nous porter à manger davantage: la frustration, l'anxiété, le stress, la peur, l'ennui, la solitude, la faible estime de soi. «On commence par identifier les émotions et les situations qui nous donnent envie de manger en tenant un journal de réflexion, suggère Catherine Dubé. Chaque jour, on y inscrit ce qu'on mange, à quel moment de la journée, les raisons qui nous portent à manger, les sensations et émotions ressenties avant et après.» «Cela nous permet de porter un regard sur nous et sur notre alimentation, d'identifier les émotions les plus difficiles à vivre et les périodes les plus critiques, explique Josée Guérin. L'important est de s'observer sans se juger. Quand on comprend mieux nos comportements, il est plus facile de changer nos habitudes et de trouver des solutions.»

Si les émotions sont très intenses, on peut aller plus loin: sur une feuille, on inscrit pour chaque sphère de notre vie (travail, famille, amitiés, relation de couple ou amoureuse, vie sexuelle, loisirs, santé, etc.) une liste des points positifs et négatifs, de nos pensées, de nos sentiments et de nos désirs. On prend alors davantage conscience de nos émotions refoulées et de nos insatisfactions.

2. Apprendre à reconnaître les signes d'une faim provoquée par les émotions. Plusieurs indices nous aident à distinguer une faim réelle d'un besoin émotionnel. «Quand on a faim, on ressent une sensation physique: un creux dans l'estomac, des gargouillis, un inconfort et une baisse d'énergie, explique Marie Watiez. Une faim provoquée par les émotions est plutôt une envie de manger.» Voici quelques signes pour repérer les fausses faims.

  • Je dois satisfaire ma faim sans attendre.
  • J'ai envie d'un aliment en particulier, et rien d'autre ne pourra me satisfaire.
  • Je mange parfois en cachette ou dans des lieux inusités.
  • Je ne peux jamais refuser si on m'offre de la nourriture, ou m'empêcher d'arrêter quand je passe devant une pâtisserie.
  • Je mange rapidement, en grande quantité ou sans y porter attention.
  • Je ne m'arrête pas de manger quand je suis satisfaite physiquement ou que je me sens «pleine».
  • Après avoir mangé, j'ai souvent un sentiment de regret ou de culpabilité.

 

3. Prévenir le coup. Pour réduire les risques de succomber aux fringales:

  • On mange trois repas équilibrés par jour. Si on se nourrit bien, on résistera mieux aux tentations.
  • On évite de garder à portée de la main les aliments réconfort: s'ils ne sont pas facilement accessibles, on en mangera moins.
  • On essaie de bien dormir et de faire de l'exercice régulièrement. Si on se sent en forme, on fera face plus facilement aux événements et à nos émotions.

4. Se changer les idées. Quand les émotions nous envahissent, on doit essayer de trouver diverses solutions pour se distraire, se calmer ou se remonter le moral. On s'y prend d'avance en préparant une longue liste d'activités simples et facilement accessibles qu'on peut faire quand la pression de manger est trop forte. Par exemple, lire un livre, écrire notre journal ou une lettre, faire des mots croisés ou un jeu de patience, tricoter, aller marcher, appeler une amie, exécuter quelques exercices de relaxation, écouter de la musique, ranger la maison, etc. On peut aussi boire un verre d'eau et attendre une dizaine de minutes avant de satisfaire une fringale soudaine. Parfois, la sensation de faim s'estompe ou disparaît d'elle-même en quelques minutes.

5. Faire face à nos émotions. «On doit en venir à utiliser nos envies de manger comme un indicateur ou un baromètre, un signe que quelque chose ne va pas, soutient Catherine Dubé. On doit en chercher la cause et régler la situation.» Les experts le reconnaissent: ce n'est pas nécessairement la solution la plus facile, surtout si on a pris l'habitude depuis longtemps d'enfouir nos émotions et de fuir nos problèmes en mangeant. Mais, chose certaine, on ne perd rien à essayer et on pourrait se sentir beaucoup mieux en apprenant à reconnaître et à vivre nos émotions. «Certaines personnes y arrivent par elles-mêmes, explique Catherine Dubé. Mais, quand les émotions sont très profondes, il peut être difficile de faire cette démarche seule. On peut avoir besoin d'aller chercher de l'aide et de se faire accompagner.»

Pour aller plus loin

Mangez!, par Guylaine Guevremont et Marie-Claude Lortie, Les Éditions La Presse, 2006, 248 p., 26,95 $.

Équilibre. Groupe d'action sur le poids.

 

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