Psychologie
Oui, la techno change nos vies!
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- Un Canadien sur deux possède un téléphone intelligent.
- Les ventes de tablettes ont doublé entre 2012 et 2013.
- 41 heures: temps moyen que les Canadiens passent en ligne par semaine.
- Plus de 80% des Canadiens naviguent sur Internet.
- Les médias sociaux n'ont jamais été aussi populaires, 69% de la population ayant visité au moins un site de réseautage au cours de l'an dernier.
«On est constamment branchés et ça ne changera pas dans l'avenir, bien au contraire, dit Geoffroi Garon, conseiller Internet et médias sociaux. C'est évident que ça change nos comportements sur à peu près tous les plans de notre vie.» De quelle manière? Pour Nicolas Saucier, un socio-anthropologue versé dans les nouvelles technologies, il est difficile de le dire précisément. «L'impact des nouvelles technologies dans nos vies est un peu comme celui qu'a eu la création de l'écriture. Ça a façonné notre façon d'interagir avec les autres, de voir le monde même. Je pense que les nouvelles technologies auront des répercussions tout aussi importantes.» Jusqu'où les technos influencent-elles notre quotidien? On fait le point.
Couple et famille: garder le contact
On n'a qu'à penser aux sites de rencontres en ligne pour réaliser que la technologie a définitivement marqué notre vie amoureuse. On peut aussi songer aux infidélités «virtuelles» qui entraînent dans leur sillage des difficultés bien réelles pour plusieurs couples. Mais un des principaux effets des technologies sur le couple et la famille semble être relié à la communication, à la présence de l'autre. Car s'il est très pratique de pouvoir envoyer un texto à notre conjoint pour qu'il achète un pain en rentrant du bureau, trop de temps passé à l'écran ou en ligne par l'un ou l'autre peut devenir problématique. Selon un sondage américain paru en 2013, 23% des répondants estimaient que leur partenaire passait trop de temps à son ordinateur ou son téléphone intelligent. «Rester en contact avec l'autre, entretenir nos liens affectifs avec les gens qui comptent pour nous, est sans doute l'un des plus grands défis qu'imposent les nouvelles technologies», soutient Nicolas Saucier.
«À la maison, on a dû établir certaines règles, comme celle de fermer notre téléphone durant les repas et de ne pas passer plus d'une heure à l'ordinateur le soir, explique Rachel, 34 ans. Mon chum et moi avons pris cette décision quand, un jour, ça m'a frappée de nous voir tous les deux penchés sur nos téléphones pendant un souper au restaurant. On était tout simplement ridicules!» Depuis, leur couple ne s'en porte que mieux, bien qu'ils doivent régulièrement se ramener à l'ordre...
Tout comme doivent le faire bien des parents avec leurs enfants. Une étude réalisée par la Kaiser Family Foundation en 2010 révélait que les enfants âgés entre 8 et 18 ans passaient sept heures par jour à utiliser la technologie pour se divertir (jeux vidéo, médias sociaux, etc.). «Depuis qu'elles ont trois ans, mes jumelles sont irrésistiblement attirées par Internet, dit Josiane, 43 ans. On en a un peu réglementé l'utilisation, par exemple en plaçant l'ordinateur dans une pièce commune, mais on a surtout essayé de les inciter à développer d'autres intérêts, comme les sports et la musique. Aujourd'hui, elles ont 8 ans et sont équilibrées. Elles aiment bien la technologie, mais je pense qu'elles préféreraient aller jouer au soccer plutôt que de passer une soirée devant un écran!»
Santé: ne pas perdre le contrôle
Certains chercheurs, comme la Dre Susan Greenfield de l'université d'Oxford, croient que tout ce temps passé par les enfants devant les écrans a une incidence sur la prévalence des cas d'autisme. D'autres pensent que ça favorise la dépression. D'autres encore avancent que les radiofréquences émises par nos cellulaires sont néfastes pour notre organisme... Autant d'impacts potentiels qui restent à être prouvés hors de tout doute.
Une chose est sûre, cependant: les nouvelles technologies sont en train de modifier peu à peu notre cerveau. Par exemple, une étude de l'Université de Columbia publiée en 2011 avançait que le fait de savoir qu'une information est accessible nous pousserait à ne pas la mémoriser. En revanche, notre mémoire spatiale, c'est-à-dire notre capacité à analyser et mémoriser les objets dans notre environnement, à déterminer où ils se situent et où on se situe par rapport à eux, serait meilleure à grâce au temps passé en ligne. De plus, d'après certaines études, les jeux vidéo favoriseraient, tant chez l'adulte que l'enfant, l'intelligence déductive et l'esprit d'analyse. «C'est vrai que notre mémoire à court terme peut être affectée et il se peut que notre façon d'apprendre soit en train de changer, dit Nicolas Saucier. Mais est-ce mauvais en soi? Tout dépend de notre façon de voir les choses.»
Bref, tous ne sont pas d'avis que les technologies nuisent à la santé. Ainsi, si certains estiment que le temps passé devant les écrans incite à la sédentarité et aux problèmes de santé qui y sont reliés, d'autres y perçoivent des effets bénéfiques: «Moi, la technologie m'a véritablement aidée à retrouver la forme, dit Geneviève, 40 ans. J'ai gagné en motivation grâce à certaines applications qui m'aident à faire un suivi de mes progrès à la course.» Un bénéfice déjà confirmé par des chercheurs de la Northwestern University en 2012: selon ces derniers, l'utilisation d'une application destinée à calculer les dépenses énergétiques avait véritablement contribué à la réussite des personnes souhaitant perdre du poids.
Et notre santé mentale? On ne s'en inquiète pas si notre usage des technologies est adéquat. Comment le savoir? «Si notre utilisation des technologies a un impact négatif dans l'une ou l'autre sphère de notre vie, cause une diminution de notre rendement au travail, des conflits dans notre couple, un sentiment d'isolement, etc., il faut se questionner et réévaluer notre utilisation, solliciter une aide extérieure même, dit la psychologue Marie-Anne Sergerie, fondatrice du site cyberdependance.ca et psychologue spécialisée sur les aspects psychologiques des nouvelles technologies. Une mauvaise utilisation d'Internet peut entraîner beaucoup de détresse et de souffrance.» Dépendance à la pornographie, aux jeux ou au magasinage en ligne, aux médias sociaux... La cyberdépendance inclut différentes dépendances, et chacune d'elles n'a pas nécessairement les mêmes causes. «Ça peut être par ennui, pour combler des lacunes affectives, etc. C'est du cas par cas», explique Mme Sergerie.
La dépendance aux jeux en ligne du conjoint de Sylvie a presque ruiné leur mariage. «J'ai compris peu à peu qu'il avait un problème, car il se couchait aux petites heures. En plus, ça n'allait pas très bien à son boulot parce qu'il prenait du temps de travail pour jouer, raconte Sylvie. Je lui ai demandé ce qui se passait. Je ne l'ai pas jugé, mais je lui ai dit qu'il devait demander de l'aide, sinon notre couple n'allait pas le supporter.» Heureusement, croit Marie-Anne Sergerie, la plupart d'entre nous faisons bon usage des technologies. «On doit surtout avoir conscience du temps qu'on passe devant les écrans, dit-elle. Car souvent, on ne s'en rend même plus compte tellement la nouvelle technologie fait partie intégrante de nos vies.»
Travail: des règles à inventer
«Sans l'Internet, je pense que je n'aurais pas pu partir avec mon chum et mes enfants en vacances au printemps dernier, raconte Patricia, 37 ans. J'avais un travail à terminer, mais j'ai pu le faire à distance et l'envoyer par courriel à mon patron.» En revanche, cette réviseure pigiste admet qu'il est très facile, surtout quand on travaille à la maison, de se laisser distraire par l'Internet et toutes ses tentations à la procrastination! «Je pense qu'il faut se fixer des règles, dit la jeune femme. Je me permets 15 à 20 minutes le midi pour aller sur les médias sociaux, puis je me concentre à nouveau sur mon travail.» (À savoir: une étude menée par des chercheurs de l'Université de Melbourne a montré que les gens qui naviguaient sur Internet pour le plaisir pendant moins de 20% de leur temps, alors qu'ils se trouvaient au travail, étaient 9% plus productifs que les ceux à qui leur employeur empêchait l'accès au Web!)
L'entreprise d'édition pour laquelle travaille Catherine, 36 ans, a quant à elle émis un règlement selon lequel on ne peut consulter Internet pour son usage personnel. «Je pense que ça vient du fait que certaines personnes avaient tendance à abuser, dit-elle. Personnellement, ça ne me dérange pas trop, mais je sais que certains collègues sont très frustrés de ça!» Plusieurs entreprises ont émis de telles politiques et rien ne les empêche, légalement parlant, d'exercer une forme de surveillance à cet égard. Cela dit, si certaines compagnies doivent composer avec le fait que des employés «perdent» du temps sur Internet, elles profitent aussi souvent des technologies: communications plus rapides, outils favorisant l'autonomie des travailleurs, etc.
«La ligne entre vie privée et vie professionnelle est de plus en plus floue, commente André Mondoux, professeur à l'École des médias de l'UQAM, spécialisé dans les nouvelles technologies. Et la pression est souvent forte sur les employés, car l'idéologie dominante de performance et de rentabilité est encore plus présente qu'avant, à cause justement des nouvelles technologies et de la connexion sur le monde qu'elles permettent.» Sans compter tous les nouveaux outils avec lesquels les employés doivent se familiariser constamment. «Il y a toujours de nouveaux logiciels avec lesquels on doit apprendre à travailler, dit Catherine. Ce n'est pas toujours évident, mais ça peut aussi être très stimulant. Disons que, comme employé, on doit rester ouvert et être toujours prêt à apprendre!»
Société: un équilibre à trouver
«Un impact assez évident sur le plan social est l'hyper-individualisation qu'entraînent certaines technologies comme les médias sociaux», affirme André Mondoux. De fait, selon plusieurs experts, des technologies comme les médias sociaux ou YouTube, où il est désormais possible d'exposer tout ce qu'on veut, rendent les gens particulièrement narcissiques, surtout les jeunes, les plus grands utilisateurs de ces technologies (voir notre reportage Facebook nous rend-il méchant?). Autre reproche: des chercheurs comme l'Américain Howard Rheingold, spécialisé dans les nouvelles technologies et ses impacts, sont d'avis qu'Internet favorise la superficialité et la distraction.
«Lorsqu'une technologie voit le jour, elle génère depuis toujours les mêmes réactions: il y a ceux qui sont emballés et voient ça d'un oeil très favorable, et il y a ceux qui croient que ça aura un impact négatif sur la société», souligne toutefois Nicolas Saucier, qui ne croit pas, quant à lui, que les technologies, dont les médias sociaux, aient un effet antisocial. Au contraire. «Certains voient l'ado dans son sous-sol, face à son ordinateur, isolé et coupé du monde, dit-il, mais cet adolescent a peut-être une discussion intéressante avec un garçon en Chine! Tout dépend de la façon dont on voit les choses.»
Le spécialiste est toutefois convaincu qu'il est essentiel de garder un équilibre entre nos relations virtuelles et nos relations réelles, et qu'on ne doit surtout pas se couper de notre famille et de nos «vrais» amis. On garde à l'esprit que très peu de nos 389 amis Facebook répondraient à un appel d'urgence lancé à 2 h du matin.
Pour Geoffroi Garon, les médias sociaux contribuent à faire de notre société une société plus participative. «Même si plusieurs s'expriment encore n'importe comment et si bien des niaiseries circulent, les médias sociaux incitent les gens à s'exprimer, ce qui est une bonne chose en soi. Le fait de s'exprimer de plus en plus favorise à mon avis le tissu social, un atout pour une société quand vient le temps de défendre de grands enjeux, par exemple sur le plan environnemental.» Un constat avec lequel Marianne, 38 ans, est tout à fait d'accord: «On diabolise souvent les médias sociaux ou même l'Internet en général, dit-elle. Moi, grâce au financement participatif, j'ai réussi à amasser des fonds pour une cause qui me tenait à coeur. Et je connais beaucoup de gens qui profitent de telles plateformes.»
Éducation, voilà, selon Nicolas Saucier, le mot d'ordre pour les années à venir. «Les nouvelles technologies sont à l'adolescence, dit-il. On est en train d'apprendre à s'en servir. Mais il faudra une génération pour qu'elles soient mieux adaptées à nos besoins et que leur utilisation devienne plus naturelle et appropriée. » Même vision chez Geoffroi Garon: «Je crois qu'il y aura toujours des abus, des gens qui utiliseront mal et trop les technologies, dit-il. Mais je crois aussi au gros bon sens des humains. Je ne pense pas que les gens laisseront se perdre leur humanité au profit du virtuel.»
Notre journaliste a testé une semaine sans technologie. Cliquez ici pour lire son récit.
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