Psychologie

La dépression, à visage découvert

La dépression, à visage découvert

Auteur : Coup de Pouce

Quand le pilier de la famille s'écroule

Linda, 38 ans

«Je suis celle qui ne dit jamais non, qui évite la chicane à tout prix et qui encaisse. L'aînée, la médiatrice, l'épaule réconfortante. Enfin, je l'étais jusqu'au jour où tout a déboulé.

«En 2003, au moment où j'accepte un poste d'infirmière au bloc opératoire, une transition qui exige une importante formation d'un an, mon chum perd son emploi. Quand il retrouve du travail, on apprend que sa mère est atteinte d'Alzheimer avancé. Comme je suis infirmière, c'est vers moi qu'on se tourne pour comprendre et savoir quoi faire. Je suis tout le temps malade: bronchites, pneumonies, blessure au travail. Tout cela dure des années, jusqu'en 2010. Ma belle-mère ne va plus du tout. Je n'arrive plus à dormir et on me prescrit des somnifères. Puis, à la fin de l'hiver, en l'espace de trois petites semaines, ma belle-mère, la mère de ma belle-soeur, de qui je suis très proche, et ma grand-mère décèdent. Le plancher me glisse sous les pieds. Je continue à travailler, mais je ne dors pas plus de trois ou quatre heures par nuit. Je suis épuisée, j'ai souvent les larmes aux yeux. À la mi-mai, je craque. Je me présente à la clinique plutôt qu'au travail. Je pleure sans arrêt depuis 24 heures. Je me dis que je prendrai une ou deux semaines de congé, je dormirai un bon coup et je serai guérie. Le médecin me prescrit des antidépresseurs et me renvoie à la maison, en arrêt de travail. Et là, je sombre vraiment: dormir est encore plus difficile, je suis nauséeuse, je perds rapidement 15 livres, je pleure tout le temps, j'ai des idées noires. Je passe un temps fou à l'épicerie, incapable de choisir une pinte de lait! Je roule à 80 sur l'autoroute. Certains jours, je ne me souviens même plus d'être rentrée à la maison. Je pense souvent: si je fais un accident de voiture, au moins j'arrêterai d'avoir mal!

«Dans les premières semaines, je passe une batterie de tests pour confirmer qu'outre la dépression je suis en santé. Là, je suis confrontée à tous mes préjugés face aux personnes dépressives: elles sont faibles et il faut les brasser un peu! Au début, j'ai trop honte pour dire aux gens que je suis dépressive. On ne le dit même pas aux enfants. Mais un jour, mon fils de 9 ans, qui me voit depuis des semaines assise dans la cour à regarder le ciel, me demande: "Maman, est-ce que c'est ça, la dépression? - Oui, je lui réponds, mais maman va revenir." Je lui dis ça pour le rassurer, mais je suis loin d'en être certaine.

«Après trois ou quatre mois, les downs durent moins longtemps. C'est alors que je commence à en parler autour de moi. C'est fou, le nombre de personnes qui ont vécu ça sans que je le sache! Je suis soulagée, moi qui avais tant de préjugés! Fin septembre, mon médecin change ma médication: c'est la rechute. En janvier, finalement, je prends du mieux. Je ne pleure plus, je dors la nuit, je n'ai plus d'idées noires. Un psychiatre mandaté par mon employeur me somme de retourner au travail. Je ne tiens que six jours... Au final, j'ai été surprise du temps que ça m'a pris pour me sentir mieux: je pensais avoir besoin de deux semaines; ça m'aura pris un an.

«Qu'ai-je appris de cette année de grande noirceur? Que je dois être plus à l'écoute de moi-même. J'essaie de prendre la vie avec un grain de sel. Au travail, je dis non au temps supplémentaire. À la maison, nous sommes une famille plus unie: on se parle plus, j'apprécie le temps que je passe avec eux. Et je me suis retrouvée, mon énergie, ma joie de vivre. La dépression est la pire douleur que j'ai vécue, pire qu'accoucher même! Car c'est invisible et les antidépresseurs, c'est long avant que ça agisse. Aux proches d'une personne dépressive, je dis: Osez! Osez demander à la personne comment elle se sent. Et laissez-la parler, sans la juger. Et proposez une sortie. Parfois, j'y allais à reculons, mais ça faisait du bien quand même.»

 

Apprivoiser l'imperfection pour accepter la vie

Julie, 31 ans

«Après avoir vécu une dépression, on reste toujours fragile. C'est en accouchant, en avril 2010, que je l'ai constaté. Pourtant, après avoir consulté une psychologue en 2006 pour m'outiller et travailler sur moi, je me pensais capable de surmonter n'importe quoi. J'ai vécu une grossesse idéale et j'ai accouché d'un bébé en pleine santé. Les premiers moments avec ma fille, mon chum ému à nos côtés, étaient pleins de promesse. Mais dès le lendemain, confrontée à ses premiers pleurs, aux premières difficultés liées à l'allaitement, je vis un volte-face émotif. Moi, l'hyper-performante, la première de classe, l'enfant unique de qui le meilleur était tout le temps attendu, celle qui réussissait sa carrière, ses amours, ses amitiés, comment pourrais-je ne pas "réussir" l'allaitement et la maternité? Je vois tout trop grand, trop nouveau pour moi. La petite, qui fait une jaunisse, est gardée en incubateur et rien qu'à la regarder, mon chum et moi en avons des sueurs froides. Nous pleurons pendant une semaine, tellement qu'on ne souhaite avoir aucun visiteur. À travers mes larmes, je me demande même: Pourquoi j'ai souhaité avoir un enfant?

«De retour à la maison, je suis complètement désemparée. Je veux que mon bébé retourne d'où elle vient, je ne veux simplement pas qu'elle soit là. Minute par minute, je me demande si je fais ce qu'il faut, je suis désarmée et paniquée par ses pleurs. Je n'ose même pas sortir avec elle, de peur qu'elle pleure dans l'auto. La pression est trop lourde à porter. J'ai peur que ma fille ne m'aime jamais, qu'elle se rende compte de mon incompétence et de mon mal-être. J'ai peur, comme toujours, de ce que les autres vont penser de moi si je ne suis pas une mère parfaite. Je ne suis pas capable de profiter de la beauté de ce qui m'arrive et je me sens immensément coupable. Le soir, dans mon bain, je pleure. J'ai des idées noires, je me dis: "Si je n'étais plus là, la douleur arrêterait."

«Pourtant, je ne pense pas à consulter. J'ai une amie que je peux appeler, cinq fois par jour s'il le faut. Elle m'épaule dans mes questionnements et mon chagrin. Un soir, environ un mois après la naissance, elle me dit que j'ai besoin de plus d'aide qu'elle peut me donner. C'est le déclencheur qu'il me faut: mon médecin, au rendez-vous postnatal de six semaines, me confirme que c'est la chose à faire. Avec ma psychologue, je cherche à retrouver confiance en moi et mes habiletés. Je me sens comme si on m'avait enlevé le volant de ma voiture et que je devais réapprendre à conduire. Je vis des petits succès, comme faire des sorties, être seule avec elle le soir alors que mon conjoint travaille. Dès que j'ai commencé à consulter, j'ai vu une amélioration de mon état. Mais il a fallu attendre un bon six mois avant que je me sente mieux, avant que je sente que je suis une maman. Je suis plus forte, plus en confiance. Et tout me paraît moins gros. La petite pleure et je n'y arrive pas? J'appellerai quelqu'un! Plutôt que de m'isoler dans mon sentiment, je n'ai plus honte de demander de l'aide.

«Depuis ma dépression, je comprends que rien n'est insurmontable. Et après avoir vécu le pire, je banalise les petits tracas du quotidien et je suis immensément reconnaissante pour l'aide des autres. Maintenant, je trouve que les mamans, ce sont des déesses! J'ai trouvé des ressources inestimables auprès d'elles au centre de périnatalité de ma ville. J'ai été tellement rassurée par leur vécu et leurs expériences, les bonnes comme les mauvaises. Et je dis à celles qui se sentent désemparées de ne pas s'isoler et d'accepter d'être la maman qu'on est. Ma merveilleuse petite fille me le confirme maintenant avec chacun de ses sourires.»

Une longue, longue descente

Philippe, 55 ans

«J'ai 37 ans, en 1993, quand le mal-être commence à m'habiter. Tous les matins, je me réveille la tête remplie d'idées noires et il est 10 h avant que je m'en sorte. Je suis à la tête d'une importante entreprise à Bruxelles qui va très bien, mais je ne m'y intéresse plus. Je cherche le bonheur par d'autres moyens. J'ai toujours aimé les belles choses, alors je m'achète une voiture de luxe qui m'apportera satisfaction et bonheur. Erreur. Mon mal-être me rattrape à la maison, malgré la présence d'une femme que j'aime et de mes deux enfants. Nous partons tous les week-ends à la mer du Nord, je m'évade en catamaran, seul endroit où je respire vraiment.

«Je suis en équilibre précaire, je cherche encore ce qui pourrait me rendre heureux. En mai 1994, je passe à l'action: je vends mon entreprise, qui, je le crois, me mine. Je transpose mon mal-être et je deviens très insécure face à nos économies, placées en Bourse pour le meilleur et pour le pire. Le pire, surtout: j'essuie des pertes de 20%. Je ne suis jamais heureux, pas même lorsque naît mon troisième enfant. Claire, ma femme, me lance un jour: "Pourquoi on ne retournerait pas au Canada (un pays que nous avions déjà visité) pour y voyager et s'y installer pour de bon?" Le projet m'emballe. Nous arrivons en 1995. Mais rapidement, les coups de grisaille se succèdent. Je suis contre les médecins et la médication, alors je ne consulte pas. Et pour Claire, qui se sent démunie face à un mari fragile et amoindri, le stress est lourd à porter.

«Le temps passe et, plusieurs fois, j'ai des idées noires. Je suis des séances de groupe de psychothérapie. Mais mon thérapeute prend des allures de gourou et je le quitte. De toute façon, j'ai trouvé un nouveau projet: un domaine abandonné sur l'île d'Orléans, avec verger, cuisine de transformation et cidrerie. J'y travaille pendant deux ans, sans relâche, jusqu'à y avoir investi la totalité de mes économies. Puis, la grisaille me rattrape. C'est fini, la part du rêve, je veux vendre! Mais il n'y a pas d'acheteurs... Je vis un stress immense. Je m'accroche, ne pouvant faire autrement.

«L'éclaircie ne vient que beaucoup plus tard, en 2006, lors-que je trouve le Centre de relation d'aide de Montréal (CRAM). À la rencontre initiale, après avoir écouté mon récit, la thérapeute me dit, pleine d'empathie et de sollicitude: "Philippe, je suis profondément désolée pour tout ce que tu as vécu." Là, je me suis effondré, comprenant enfin que j'étais malade, dépressif, même si je hais ce mot qui, je crois, catalogue les gens. Après tant d'années à chercher les réponses dans le travail, les apparences, l'argent, je reconnais. Et la reconnaissance, c'est l'acceptation! La formation de 1 200 heures au CRAM va changer ma vie. Enfin, je me tourne vers moi. Et pour la première fois, je me responsabilise face à mon vécu souffrant. Je ne rends plus les autres - les situations, mes proches, mon travail - responsables de ce que je vis et ce que je ressens. Et cela a fait toute la différence. Aujourd'hui, à 55 ans, après tant d'années de grisaille, je vois la vie en couleur et en haute définition. Et je comprends Gerry Boulet lorsqu'il chante: "Je vois la vie avec les yeux du coeur." Depuis tout ça, je sais qu'on ne peut pas s'en sortir seul. Il faut au moins une personne autour de soi qui soit réceptive et prête à écouter. Et il faut cesser de chercher ailleurs les réponses qui ne se trouvent qu'à l'intérieur de soi.»

Quand soigner un bobo entraîne le pire

Véronique, 37 ans

«On est en 1998. Je suis toujours fatiguée, je ne m'intéresse à rien, je pleure tout le temps. Il me faut une prescription d'antidépresseurs et une psychanalyse pour comprendre que je ne suis pas bien à Sherbrooke, où je suis déménagée pour le travail. J'amorce une recherche d'emploi et je déménage en Outaouais, où je suis tout de suite bien. Il me faudra quand même un bon deux ans pour me sortir de cette dépression, qualifiée de modérée par mon médecin. Ma vie suit son cours, je rencontre un homme merveilleux, mon futur mari. En 2006, je tombe enceinte. Mais dans ma famille, grossesse égale vomissements. Hyperémèse sévère, que ça s'appelle, et ça se traduit par 12 ou 13 vomissements par jour. À deux occasions, on doit m'hospitaliser pour déshydratation. On craint même pour ma santé et celle du bébé. Le médicament habituellement prescrit pour ce problème n'a aucun effet sur moi. En dernier recours, mon obstétricien, vers ma quatorzième semaine de grossesse, me prescrit un médicament habituellement réservé aux personnes souffrant de nausées suite aux traitements de chimiothérapie.

«À peine quelques jours après le début des traitements, je cesse de vomir, mais ma vie devient noire, toute noire. Je deviens insécure, je passe mon temps collée sur mon mari, ne voulant même pas qu'il s'éloigne pour passer aux toilettes! Je fais même euthanasier mes chats que j'aime, me disant que je n'arriverai pas à les soigner en même temps que mon bébé. Je me promène tel un fantôme dans la maison, plus rien ne me plaît, j'ai le goût de mourir. Au travail, je passe mon temps à demander à mon collègue, un ami proche, pourquoi la vie vaudrait la peine d'être vécue. Mon mari, terriblement inquiet, décide de consulter un psy pour savoir comment m'aider à travers ce nouvel épisode dépressif. Et malgré que je ne sente plus aucune attirance pour la vie, une voix me dit: "Je n'ai que 33 ans, je ne peux pas en finir, car j'ai un bébé qui s'en vient." Je m'accroche.

«Un soir, au travail, je me sens un petit peu mieux, juste assez pour ne pas avoir envie de mourir. Je me rends compte que j'ai oublié de prendre mon médicament. Je le prends et dans l'heure qui suit, je retrouve mes idées noires. Je décide de faire des recherches sur ce médicament. J'apprends qu'il ne doit pas être prescrit à des personnes ayant des antécédents de dépression, car il peut en déclencher une autre... J'arrête tout de suite la médication. Déjà, après quelques jours, je n'ai plus d'idées suicidaires. Je suis encore triste, mais enfin, je n'ai plus envie de mourir. Je vais voir une psy, qui me confirme que je suis en dépression sévère.

«Je recommence à vomir sans arrêt, mais déjà, je me sens tellement mieux! Au début, je vois ma psy deux fois par semaine. Je prends du mieux et j'arrive en fin de grossesse avec un bon moral. Un matin, je me réveille et j'ai le goût d'être vivante. Je suis légère, je suis revenue. Mon fils Zachary naît et le lendemain, j'arrête de vomir, enfin. Aujourd'hui, je constate à quel point j'ai toujours eu des préjugés face à la dépression. Il en persiste énormément dans le domaine médical, où je travaille. Pourtant, c'est une maladie et il n'y a pas de honte à l'avoir. Il faut absolument aller chercher de l'aide, car ça ne se guérira pas tout seul! La pire chose qu'on puisse dire à une personne dépressive, c'est: "Botte-toi le derrière!" Ça ne marche pas. Ça prend du temps. Je pense que mon mari a fait le mieux en acceptant ma maladie et en consultant pour la comprendre et s'outiller. Je suis aujourd'hui une meilleure personne pour avoir traversé cette épreuve. Je suis plus patiente, surtout avec mes patients, mon conjoint et nos trois beaux garçons. Je suis plus compréhensive, empathique, douce. Et je ne veux plus JAMAIS vivre une dépression. Jamais.»

 

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