Psychologie

L'ordinateur, un moyen de faire mal?

L'ordinateur, un moyen de faire mal?

Auteur : Coup de Pouce

France en est encore toute bouleversée. Un soir de septembre dernier, son fils de 12 ans la rejoint au salon, en larmes. Il vient de recevoir un courriel d'un ami avec lequel il est en froid. Un courriel très particulier. «J'ai été abasourdie par ce que j'ai lu à l'écran. C'était un message d'insultes avec des mots très durs. Et le garçon terminait en disant: "À ta place, je me suiciderais" c'est plus difficile puisqu'il y a eu un suicide dans ma famille. Mon fils, dont l'estime de soi est déjà faible, était démoli.»

Catherine, 13 ans, a elle aussi vécu une mauvaise expérience avec son moyen de communication favori. «Je "chattais" sur MSN avec ma meilleure amie et nous échangions des trucs très personnels sur les garçons, nos rêves, etc. Je ne sais pas pourquoi, mais elle a fait suivre mes réponses à plein d'autres jeunes de l'école. Après, tout le monde connaissait mes secrets. J'ai fait rire de moi dans la cour d'école, j'ai reçu des messages MSN insultants. Ça a duré deux mois. Je n'en pouvais plus.»

Il n'y a pas si longtemps, l'intimidation survenait à l'école ou au parc. Elle sévit maintenant dans le cyberespace, d'où le terme «cyberintimidation». Cette forme moderne d'intimidation implique l'utilisation de technologies comme le courriel, les messages textuels envoyés par cellulaire, la messagerie instantanée et les sites Internet, pour injurier, menacer, humilier quelqu'un ou répandre des rumeurs sur lui ou elle. La plupart du temps, elle est initiée par des «amis» ou des connaissances de la victime plutôt que par des étrangers.

Plus de 70 % des jeunes ayant répondu à un sondage en ligne mené en décembre 2006 et janvier 2007 par Jeunesse, j'écoute ont dit l'avoir subie (une statistique qui peut toutefois être gonflée par la tendance probable des victimes à répondre en plus grand nombre que les intimidateurs). Une enquête du Réseau Éducation-Médias réalisée en 2005 auprès d'élèves canadiens arrivait quant à elle à un résultat de 27 %, ce qui est vraisemblablement plus près de la réalité.

Difficile, cependant, de brosser un portrait de la victime type. Mais les filles font davantage l'objet d'humiliations en ligne que les garçons, selon une autre enquête, américaine cette fois. Et, contrairement à ce qu'on pourrait croire, les enfants du primaire sont davantage touchés par la cyberintimidation que ceux du secondaire. Le pic se situerait entre 11 et 13 ans. «À cet âge, ils ont peu de règles, ils expérimentent, note Emmanuelle Erny-Newton, conseillère au Réseau Éducation-Médias. Ils sont donc plus vulnérables.» Fait à noter, ils sont non seulement victimes, mais aussi agresseurs.

La messagerie instantanée (ex.: MSN), qui permet de communiquer simultanément et en temps réel, arrive au premier rang des moyens qu'ils utilisent. «Les méthodes qui demandent plus de connaissances, comme la création d'un site haineux, sont le fait des plus vieux», précise la spécialiste.Les professeurs sont bien placés pour constater l'ampleur du phénomène. Élaine, une enseignante de 6e année qui préfère taire son nom, rapporte que des cas sont survenus dans sa classe au cours des deux dernières années. «La dernière fois, une élève de 11 ans qui venait d'arriver dans l'école a été un peu maladroite dans ses tentatives d'intégration. Elle a été prise en grippe par un groupe de garçons qui se sont mis à la bombarder de messages d'insultes à caractère sexuel.» La jeune fille s'est confiée à Élaine, qui est intervenue auprès des garçons pour qu'ils cessent leur manège.

Chantal Gendron, qui enseigne en 5e et 6e année dans une école montréalaise, juge dorénavant nécessaire d'aborder le sujet lors de sa première rencontre avec les parents en début d'année scolaire. «La plupart n'ont aucune idée de ce que leurs enfants font sur Internet. À plus forte raison lorsque ceux-ci ont un ordinateur dans leur chambre! C'est d'ailleurs le pire endroit pour le placer, car l'utilisation d'Internet doit être encadrée.» L'enseignante sait de quoi elle parle. L'an dernier, six élèves de sa classe clavardaient entre eux le soir. Malheureusement, leurs échanges se résumaient à des insultes. «Le matin, certains élèves entraient en classe en pleurant. Je devais régler les disputes de la veille! Cela rongeait du temps de classe en plus de miner le climat du groupe.» Chantal Gendron a dû également venir en aide à une fillette, terrifiée par des messages menaçants envoyés par un ado qu'elle ne connaissait pas. «Il lui promettait de venir dans la cour d'école lui casser les deux jambes.»

Se cacher derrière l'écran
«On dit des choses par le biais d'Internet qu'on n'oserait jamais se dire en personne», a réalisé France après la mésaventure de son fils. Cela découle sans doute de l'absence de contact direct, principale différence entre la cyberintimidation et l'intimidation classique. «L'intimidateur ne voit pas la peine qu'il cause, dit Bernard Desrochers, directeur des services cliniques de Jeunesse, j'écoute, à Montréal. Cela lui paraît irréel. Il a moins l'impression de blesser.» L'intimidateur peut même rester anonyme ou prétendre être quelqu'un d'autre. Cette distance fait en sorte qu'il peut frapper sa cible sans éprouver aucune empathie. Elle rend aussi le harcèlement plus accessible: des jeunes, qui n'intimideraient pas en personne, n'ont aucun scrupule à le faire via un clavier d'ordinateur.

Une autre particularité de la cyberintimidation, son potentiel multiplicateur, la rend particulièrement dévastatrice. L'intimidation, en effet, n'est plus limitée dans le temps et dans l'espace. En un rien de temps, les images compromettantes ou les mots haineux peuvent être vus par des milliers de personnes. Résultat? Les victimes peuvent se sentir encore plus accablées et impuissantes. On se rappellera peut-être une affaire qui a fait grand bruit en 2003. Un adolescent québécois de 15 ans s'était filmé en train d'imiter un chevalier Jedi. Des camarades de classe ont mis la main sur le clip, l'ont numérisé et mis en ligne. Cette performance a fait le tour du monde et a été vue par des millions d'Internautes. Le jeune homme, surnommé le Star Wars Kid, est devenu la risée de tous et a dû quitter l'école. Dépressif, il a eu besoin de soins psychiatriques.

Plus récemment, des ados de 13 ans de Gatineau, en Outaouais, ont été suspendus de leur école pour avoir diffusé sur le site YouTube une vidéo d'un enseignant engueulant vertement sa classe. Il semble que le coup avait été planifié. Les élèves avaient fait exprès de pousser le professeur à bout et l'avaient filmé avec un cellulaire. La cyberintimidation envers les enseignants serait d'ailleurs en progression au Québec.L'exclusion, la vulnérabilité, le sentiment d'impuissance, la trahison, la peur et la frustration sont autant d'effets de l'intimidation en ligne, d'après le rapport de Jeunesse, j'écoute. «Presque tout le monde me détestait à l'école à cause des menteries racontées à mon sujet, écrit l'un des répondants. Ils ont essayé de m'enlever tous mes amis et ils ont pas mal réussi. Je me suis senti sans défense, tout seul et bon à rien...»

Un autre témoignage troublant: «Ma supposée amie avait une page Haine sur son site et j'étais dedans. Les autres ont commencé à rire de moi à l'école et j'ai complètement perdu confiance en moi. J'ai commencé à me mutiler... J'ai pensé à me suicider.» La violence morale est aussi lourde de conséquences que la violence physique. «Ce n'est pas parce que la victime ne reçoit pas de tape sur la gueule qu'elle a moins mal», rappelle Richard Gagné, un psychologue à la retraite qui donne des conférences sur l'intimidation. Malgré son désarroi, un enfant vivant de la cyberintimidation hésite souvent à en parler. «C'est honteux d'être une victime, dit Richard Gagné. Ce n'est pas facile à dire.» Il faut donc être à l'affût des indices pouvant signifier que notre jeune est en détresse: fatigue, perte d'appétit, diminution du rendement scolaire, perte d'intérêt pour l'école et les activités sociales, changement dans les habitudes d'utilisation d'Internet ou d'autres technologies, maux de ventre, etc.

Que faire pour l'aider? D'abord, on reste le plus calme possible. Une réaction trop vive peut le décourager de se confier. Il craindra de se faire blâmer et, surtout, qu'on ne lui coupe l'accès à Internet et à son cellulaire. Cette solution radicale est à éviter, croit Emmanuelle Erny-Newton. «Internet fait partie de la vie sociale des jeunes. Se voir interdire son utilisation, c'est la même chose pour eux que de se faire couper le téléphone pour nous!» Il faut toutefois exercer une supervision plus étroite de son utilisation de ces technologies.

Attention: en outre, si on se laisse envahir par la colère, on est trop prise par notre propre souffrance pour s'occuper de celle de notre enfant. Or, cela doit être notre priorité. «Il a besoin d'être écouté et d'exprimer ce qu'il ressent, affirme Richard Gagné. Il ne faut pas qu'il s'isole.» On doit donc accueillir ses sentiments sans les juger ni les minimiser. Surtout on ne se limite pas à l'habituel conseil: «Ignore-les. Ne t'en occupe pas.» À l'oreille du jeune, cela sonne comme: «Ce n'est pas grave. Ne t'en fais pas.» Au contraire, cette histoire est énorme pour lui. Certains ont même des idées suicidaires. Mieux vaut préciser notre pensée: «J'aimerais que tu t'en fasses moins. Il y a plein de monde qui t'aime.» Si notre jeune est très affecté par ce qui lui arrive, il peut être judicieux de lui procurer un soutien psychologique professionnel. S'il a des idées suicidaires ou montre d'importants changements dans ses comportements ou ses habitudes, on n'hésite pas et on consulte un médecin sans tarder. Dans tous les cas, on reste vigilante et à l'écoute.L'enfant peut aussi avoir peur qu'on ne parte en guerre contre ses agresseurs. Il craint d'être ridiculisé davantage si on intervient directement auprès d'eux. L'expérience démontre que cela risque, en effet, d'envenimer la situation. «Les intimidateurs peuvent se solidariser encore davantage contre leur victime», dit Richard Gagné, qui a vu cette situation se produire à quelques reprises. En règle générale, donc, il est préférable de laisser à l'enfant le soin d'effectuer lui-même les démarches visant à régler le problème. Ce qui ne signifie pas qu'on le laisse se dépêtrer seul. Plutôt, on l'accompagne dans la recherche de solutions. Si ses intimidateurs fréquentent la même école, on l'incite, par exemple, à en parler à un adulte en qui il a confiance, que ce soit un enseignant, la directrice, le psychologue. Cette personne pourra organiser une rencontre entre les agresseurs et notre enfant. Bien sûr, on assure ensuite un suivi avec les intervenants de l'école.

On doit toutefois savoir que la dénonciation et la confrontation des intimidateurs ne fonctionnent pas à tous les coups. De fait, dans 35 % des cas, l'intimidation ne cesse pas, d'après l'enquête de Jeunesse, j'écoute. D'où l'importance de miser avant tout sur l'écoute et le soutien de notre enfant. Tout de même, il y a des mesures concrètes à mettre en place lorsqu'un cas de cyberintimidation survient.
  • Sauvegarder les messages et les commentaires des intimidateurs. On a ainsi une preuve à montrer lors d'une éventuelle confrontation.
  • Ne jamais répondre aux messages dénigrants. Les ignorer.
  • Quitter sur-le-champ l'environnement en ligne où a lieu l'intimidation (bavardoir, forum, jeux, etc.).
  • Bloquer les expéditeurs des messages offensants (à l'aide de la fonction destinée à cet effet).
  • Porter plainte à notre fournisseur de services Internet. La plupart ont adopté une politique de sanctions à l'égard de ceux qui utilisent leur serveur pour harceler.
  • Alerter la police en cas de menaces physiques ou si on craint pour la sécurité de l'enfant.

    Les moyens de cyberintimidation les plus utilisés
    1. Messagerie instantanée (ex.: MSN)
    2. Courriel
    3. Sites de réseaux sociaux (ex.: MySpace, Facebook)
    La cyberintimidation par téléphone cellulaire est de plus en plus présente. Le cellulaire échappe complètement à la surveillance des adultes. Son détenteur peut filmer une scène embarrassante et la mettre sur Internet, pour le plus grand malheur de sa vedette bien involontaire. Il peut aussi intimider en envoyant des messages textes à sa victime, qui, grâce à son propre cellulaire, peut être rejointe jusque dans sa chambre...

    5 conseils de prévention
    1. Discuter avec notre jeune des risques auxquels il s'expose en diffusant sur Internet photos, capsules vidéo ou renseignements personnels. Lui faire réaliser que le cyberespace est un espace public. Lui enseigner à ne rien afficher en ligne qu'il ne soit pas prêt à montrer au monde entier... et à nous.
    2. L'aviser de donner son adresse électronique uniquement aux personnes qu'il connaît personnellement. «L'échange de listes de contacts, une pratique courante, est à proscrire», souligne l'enseignante Chantal Gendron.
    3. Il ne doit pas divulguer ses mots de passe ou ses codes d'utilisateur à qui que ce soit: la personne pourrait usurper son identité.
    4. Dans le logiciel de messagerie instantanée, activer la fonction permettant de conserver l'historique des conversations.
    5. Pas d'ordinateur dans la chambre. Le placer dans un espace commun de façon à pouvoir jeter un coup d'oeil sur l'écran de temps en temps.Notre jeune ne ferait jamais cela, croit-on? Pourtant, 44 % des répondants à un sondage réalisé par Jeunesse, j'écoute sur les comportements des jeunes dans l'univers virtuel ont affirmé avoir intimidé quelqu'un en ligne au moins une fois. Les raisons les plus souvent invoquées: le manque de supervision des parents, la possibilité d'intimider de façon anonyme et la vengeance (l'intimidateur a lui-même déjà été intimidé).

    Les jeunes qui intimident disent éprouver un sentiment de puissance. Ils ont l'impression d'avoir de l'influence. Certains, heureusement, ressentent aussi des remords... L'encadrement de l'utilisation d'Internet est certes la première action à prendre pour prévenir cette situation. Mais aussi, «il faut dialoguer avec notre jeune pour développer son empathie envers les autres, recommande Emmanuelle Erny-Newton, du Réseau Éducation-Médias. On doit l'inciter à se mettre à la place de ceux qui se font harceler et lui faire réaliser que si ses commentaires offensants sont virtuels, la peine qu'il cause est bien réelle.» Enfin, on l'avise de ne pas relayer de vidéos, images ou messages qui peuvent blesser quelqu'un. «S'il reçoit par cellulaire une vidéo d'un élève qui se fait battre dans la cour d'école et qu'il l'envoie à son tour à ses contacts, il participe à l'intimidation», affirme la spécialiste.

    Des ressources
  • Jeunesse, j'écoute On trouve sur le site un outil de rédaction de lettre pour dénoncer une situation d'intimidation. Tél. : 1-800-668-6868
  • Réseau Éducation-Médias Fort bien fait, le tutoriel Devenir e-parent, particulièrement sa section «relations en ligne», permet de se familiariser avec l'univers virtuel dans lequel naviguent nos enfants.
  • Internet 101 Un site conçu par la Gendarmerie royale du Canada. On peut y visionner L'Histoire de Sarah, reconstitution d'un cas vécu où une intimidation dans le monde réel se poursuit sur Internet.
  • Web averti Un site du Réseau Éducation-Médias pour naviguer en toute sécurité sur Internet.
  • La collection «Attention! Intimidation» des Éditions Scholastic, pour les 5-8 ans. Chaque titre présente une courte histoire où un enfant vit une situation d'intimidation. Le lecteur est invité à imaginer la fin de l'histoire en songeant à ce qu'il ferait à la place de la victime, de l'agresseur ou du témoin, selon le cas (2007, 16 p., 5,99 $ ch.).
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