Psychologie

L'amie dont on rêve

L'amie dont on rêve

Auteur : Coup de Pouce

De collègues à amies

Audrey, 35 ans, et Véronique, 34 ans

C'est au travail qu'elles se sont connues, lorsqu'Audrey a embauché Véronique comme traductrice. «Mon amie Audrey a une personnalité flamboyante, dynamique, spontanée, raconte Véronique. Et moi, je suis plutôt introvertie, posée, réfléchie. Si on ne s'était pas rencontrées dans un contexte professionnel, on ne se serait sans doute jamais parlé. Audrey adore s'habiller à la dernière mode, fréquenter les 5 à 7 et rencontrer des tonnes de gens. Je suis plutôt du genre casanier, tranquille, et je préfère passer inaperçue. Pourtant, malgré ces différences, nous vivons une amitié mature, lucide, et précieuse.»

«Je l'ai aimée tout de suite, se souvient Audrey. Et, comme on fait parfois en amour, j'ai voulu la changer!» Trouvant Véro un peu trop introvertie à son goût, Audrey entreprend de la pousser à socialiser, lui présente ses amis personnels et l'encourage à prendre plus de place. «Même si elle était ma patronne, on avait une relation très égalitaire, se souvient Véro. J'étais ouverte à ce qu'elle m'aide à m'ouvrir aux autres, mais elle me mettait beaucoup de pression.»

Les deux filles sont passées avec brio de patronne-employée à associées lorsque Véro a eu l'idée de créer Fusion Traductions. Elles ont d'abord ouvert leurs bureaux dans la maison d'Audrey. «Véro était partout dans mon quotidien, raconte Audrey. C'était trop! À 17 h, quand mon chum rentrait de travailler, j'avais le goût de me retrouver avec lui, mais elle restait au "bureau" pour terminer du travail. Du coup, j'ai dû lui dire que je ne voulais plus la voir en dehors du 9 à 5!»

Les deux ont eu de la peine. Véro comprenait la situation, mais elle se sentait devenue une amie «à limites». «C'était très dur pour moi, mais c'était le signe d'un déséquilibre dans ma vie. Je vivais dans un petit trois-pièces, sans amoureux. Le soir, je n'avais pas envie de rentrer. J'ai compris qu'au même titre qu'un amoureux une amie ne peut pas être tout pour moi.»

Les filles ont alors entrepris de sauver leur amitié. Elles ont trouvé des solutions, et un équilibre. «J'ouvrais trop grand les valves, avoue Audrey. Je demandais à Véro d'être partout, et j'en souffrais. J'avais besoin de plus d'intimité, j'ai dû le comprendre et le dire. Véro m'a appris à pondérer, en affaires comme dans la vie, et je suis devenue une meilleure personne.» Quatre ans plus tard, les deux amies regardent leur parcours avec le sourire de celles qui savent à quel point elles ont évolué.

Désormais, deux jours par semaine, les traductrices travaillent chacune de son côté. Véro a emménagé dans un logement plus grand, et toutes deux ont des vies personnelles et amoureuses - en somme, une bulle qu'elles protègent et qui leur est essentielle. «J'ai l'impression que notre amitié a atteint une belle maturité, constate Véro. On n'est plus inséparables comme autrefois, mais on sait que l'autre sera là pour nous, quoi qu'il arrive. On s'épaule dans nos malheurs comme dans nos joies. On se soutient dans les projets qu'on entreprend. On s'encourage quand la business ne fonctionne pas tout à fait comme on le voudrait. On est simplement là, l'une pour l'autre.»

«En affaires, elle a eu raison de me faire patienter. Côté social, j'ai eu raison de la brasser. En fin de compte, au moment où je m'y attends le moins, elle vient toujours me surprendre.» Audrey

«Audrey m'a longtemps encouragée à prendre plus d'initiatives. Aujourd'hui, elle a compris que, lorsqu'elle est dans l'action, je suis dans la réflexion. Elle n'exige plus de moi, je n'attends plus d'elle. On se fait confiance.» Véro  

Des mamans au coeur d'or

Claudie, 34 ans, et Suzie, 44 ans

En mars 2006, dans une salle d'attente de l'hôpital Sainte-Justine, Suzie Raymond et Claudie Verreault tiennent dans leurs bras leurs bébés de 8 mois. Youri et Vincent souffrent notamment de reflux chronique, d'allergies alimentaires multiples et de la maladie coeliaque. De plus, Vincent, le fils de Claudie, est atteint d'un déficit immunitaire. En jasant de leur quotidien tout en attendant d'être appelées, les deux femmes découvrent qu'elles allaitent et qu'elles suivent toutes deux, à cet effet, un régime pour tenter de déceler les allergies alimentaires de leur enfant.

C'est tout ce qui unit les deux femmes, mais c'est déjà beaucoup. Pour le reste, une décennie les sépare. Suzie est maman à la maison et mariée depuis 22 ans à Serge, avec qui elle a cinq enfants. Claudie est trentenaire, mène une carrière et vit seule avec Vincent. Mais elles connaissent les mêmes nuits blanches, les mêmes angoisses, la même fatigue éternelle et la même impuissance devant un enfant qui souffre. C'est la maman de Claudie, qui l'accompagnait ce jour-là, qui joue les bonnes fées et note pour sa fille le numéro de téléphone de Suzie. «Ma mère a tout de suite vu que nous avions besoin l'une de l'autre», raconte Claudie. Le reste relève d'une histoire d'amour comme seule la vie peut en fabriquer.

«Claudie est devenue un membre de ma famille, raconte Suzie. Mes enfants, âgés de 2 à 20 ans, trouvent en elle une grande soeur, mais c'est avant tout ma soeur à moi. Chacun sait que la présence de Claudie dans ma vie est non négociable. Ça prendrait des pages rien que pour vous raconter tout ce qu'on doit organiser simplement pour se voir, mais on le fait.» Faire une heure de route pour être ensemble, devoir s'arrêter quatre fois en chemin parce que son enfant est malade, ne pas savoir si on va se rendre, tout cela après avoir parfois passé une nuit blanche, relève de l'exploit. Mais les deux femmes ont créé entre elles un pont inébranlable.

«À mes yeux, Suzie n'a pas d'âge, avoue Claudie. Avant d'être une épouse ou une mère de cinq enfants, elle est mon amie. Je la trouve belle et forte. C'est une femme pour qui j'ai de l'admiration et une fille que je peux appeler à 6 h 30 le matin pour partager la nuit d'enfer que je viens de passer ou lui confier que j'ai levé le ton sans raison. Sur son île, pas de jugement. Jamais. Juste la certitude qu'elle m'écoute, qu'elle comprend, qu'elle peut me prendre dans ses bras n'importe quand.» Claudie tient à transmettre un message à celles qui sont déçues de l'amitié féminine. «Je veux leur dire que ça existe, une femme qui peut te voir dans tes pires moments, laide et en pyjama, défaite, fatiguée, et qui t'aime quand même. C'est comme l'amour, ça se trouve, il faut garder espoir, on en a besoin. Je veux rendre hommage à mon amie Suzie. Je n'ai pas une vie facile, mais j'ai une vie riche, qui comporte de grandes beautés, comme la présence de cette femme d'exception.» Les lèvres de Suzie ont prononcé: «Moi aussi, ma Claudie.» Mais il n'y avait pas de son.

«La première année, elle m'a invitée à son jour de l'An, et je me suis sentie accueillie. Je venais de gagner une famille! Nos fils ont saisi notre lien et sont devenus de petits jumeaux cosmiques. À 4 ans, ils affirment qu'ils seront amis comme nous, quand ils seront grands.» Claudie

«À notre première sortie de filles, on a marché pendant des heures dans ma ville. On a même parlé de notre goût commun pour la lavande. Quand tu peux partager une chose aussi banale sans t'ennuyer, tu peux partager n'importe quoi! C'est là que j'ai su que, dans toute ma vie, jamais je n'allais vouloir me passer d'elle.» Suzie

Survivre à la guerre

Véronique et Valérie, toutes deux 29 ans

Les filles étaient des «veuves du mercredi» depuis que leurs chums, tous deux militaires, se retrouvaient entre amis dans un resto de Sainte-Foy. Un soir, elles sont venues. Entre Val et Véro, ce fut le coup de foudre. «Valérie m'a rebranchée avec ma vraie nature. J'étais devenue trop sérieuse, trop rangée, alors que vit en moi une folie qu'elle a su réanimer.»

Les deux filles ont pourtant des parcours de vie bien différents. Val est en couple depuis 10 ans et maman de deux fillettes de 10 et 7 ans. Véro est mariée depuis 2 ans à peine et ne se voit toujours pas devenir maman. «Chez nous, raconte Valérie, on est capables de se faire une soirée déguisée avec un thème, et je sais que ma Véro va s'amener et qu'on va s'amuser. Mais il y a aussi une dimension beaucoup plus profonde entre nous.»

Les deux conjointes de militaires ont notamment vu tour à tour l'homme de leur vie partir en mission en Afghanistan. «C'est extrêmement dur à vivre. La solitude amoureuse, d'abord, qui amène des périodes léthargiques où même se lever le matin, c'est difficile. Il y a parfois aussi la peur qu'il arrive quelque chose.» Quand Véro était lasse, je l'appelais et je prenais soin de lui proposer une sortie sans mon chum, se souvient Valérie, question qu'elle n'ait pas un couple amoureux en plein visage!»

Mais, au retour d'Afghanistan, la relation entre Véro et son conjoint connaît des vagues. «Mon chum et moi, on s'en est mêlés, lance Valérie. Oui, on aurait pu se dire que ce n'était pas de nos affaires, mais, quand tu vois des gens que tu aimes se faire du mal, tu peux leur parler avec ton coeur. C'est ce qu'on a fait. On leur a dit de mettre leur orgueil de côté. Après tout, ils nous avaient choisis pour être témoins de leur mariage, l'année précédente. Alors, on a fait notre job!» Véro sourit: «Je pense que c'est un geste d'amour que Val a posé. Une mère aurait fait ça pour sa fille.»

Quand ce fut le tour de Valérie de voir son homme partir en mission, le stress et les émotions ont été difficiles à gérer, et son corps a réagi. Gravement malade, elle doit être hospitalisée. C'est Véro qui l'amène à l'urgence... et qui prend la famille en charge. «À 29 ans, quand tu n'as pas d'enfants, c'est une très grosse charge d'en prendre deux d'un coup, sans réfléchir. Mais Zoé et Marie-Fay sont de petits soleils. Pour nous, elles faisaient partie de la famille. On les a prises sans hésiter.»

«Peu importe ce que je vis, Véronique arrive à me donner de l'espoir. Elle est forte et généreuse. Je peux m'appuyer sur elle.» Valérie confirme. «Mais Véro a toute une tête! C'est une fille qui a des convictions et cela fait naître mon respect. C'est un plus, dans la vie d'une femme, de pouvoir regarder une autre femme et dire "Wow!" Non seulement je suis fière d'elle, mais je suis privilégiée: elle est là, dans ma vie.»

«Ce sont nos conjoints qui ont fait l'Afghanistan, mais Véro et moi, à la fin de notre vie, on va pouvoir dire qu'on aura été de toutes les guerres. C'est une fière combattante, ma chum!» Valérie

«Dans mes silences, c'est la seule personne capable de venir me chercher. Je sais que, quoi qu'il m'arrive, je ne serai jamais seule.» Véronique

Contre vents et marées

Louise, 50 ans, et Huguette, 58 ans

Rien, dans le parcours ou la personnalité de Louise et d'Huguette, n'indiquait que ces deux-là, ça allait être pour la vie. «J'ai connu Huguette, il y a 25 ans, raconte Louise. Elle était mariée à l'oncle de mon conjoint de l'époque. Techniquement, c'était ma tante par alliance.»

Huguette a été happée par l'énergie de Louise et cette dernière, séduite par le côté aimant et enrobant d'Huguette. Elles se sont repérées dès le premier party de famille. Leurs couples respectifs se sont défaits depuis, mais elles ne se sont jamais lâchées. «Huguette a tout fait pour moi, raconte Louise. Elle aimait mon énergie, mais elle en a vite compris l'origine: un jour, elle m'a surprise à consommer de la cocaïne. C'est elle qui m'a amenée en désintox.» Quand Louise est sortie de la clinique, elle était transformée. Exit la fille qui dansait sur les tables! Il n'émanait d'elle que le calme et la sérénité. «J'ai dû faire un deuil de la fille de party, avoue Huguette. Mais j'ai vu naître sous mes yeux une grande femme.»

Louise a refait sa vie et a, à son tour, connu le bonheur de la maternité. À l'accouchement de sa fille, comme dans tous les moments importants, c'est Huguette qui était là. Figure de mère? «Peut-être, avoue Louise, puisque la mienne n'était pas présente dans ces moments-là! Mais pas uniquement. Huguette et moi avons une relation équilibrée, où chacune a été là pour l'autre, dans les moments difficiles.» Quand Louise a traversé les affres de la dépression, Huguette est restée, sans juger. Quand Huguette s'est séparée de son mari, elle a, du coup, annoncé qu'elle était en amour... avec une amie d'enfance. «Un coming-out à 40 ans, ce n'est pas évident, avoue Huguette. S'il est vrai que je ne me suis pas tournée immédiatement vers Louise, peut-être pour la protéger, je me suis appuyée sur son épaule au moment où j'ai eu besoin d'elle... et elle était là! Elle m'a réconfortée maintes fois en attendant que ma propre famille accepte mes choix de vie. J'ai toujours su, surtout dans ces moments-là, que j'avais une amie. Ça m'a souvent sauvé la vie.»

«Elle sait tout de moi; je sais tout d'elle. On a vu le jardin de l'autre dans des moments où il n'est pas nettoyé. On a relevé nos manches, désherbé, arrosé, attendu, mis du soleil. C'est tout ça qui rend l'autre si précieuse, justement.» Louise

«Elle, c'est mon phare, ma lumière. Et même lorsqu'elle a connu la tempête, mon sentiment n'a jamais changé.» Huguette

Pour penser à son amie, les soirs d'été

  • L'Amie, c'est le récit exceptionnel d'une amitié de 30 ans entre deux écrivaines, Michèle Manceaux et Marguerite Duras (par Michèle Manceaux, Robert Laffont, 2010, 230 p., 29,95 $).
  • Dans L'Amitié revisitée: de Platon au village global, Patrick Snyder se penche sur les auteurs qui, depuis Platon, ont réfléchi sur l'amitié. Il fait le pari de s'adresser surtout à celles qui croient tout savoir de l'amitié. À celles-là, il promet des surprises (Fides 2008, 210 p., 24,95 $).

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