Psychologie
Je vieillis, et c'est tant mieux!
Jacques Migneault Photographe : Jacques Migneault
Des mini-jupes... et du cheddar!
«Wow! Tu vieillis bien!» S'il y a une phrase à laquelle je ne sais jamais quoi répondre, c'est bien celle-là. D'abord, on ne sait pas trop s'il s'agit d'un compliment ou d'une vacherie. Le ton peut nous donner des indices, c'est vrai. L'identité de la personne qui vous balance ça aussi. Mais quand même, de mon côté, le mystère demeure entier: je vieillis bien comparée à quoi? À celle que j'étais il y a 20 ans? 10 ans? la semaine dernière? Seule certitude: je sais faire la différence entre un vin qui vieillit bien et une piquette imbuvable. Ou entre un Ficello et un bon cheddar bien fort. Pour le reste...
Je me souviens précisément de la première fois où je me suis questionnée sur le fait de vieillir. Ma mère, une femme splendide, célébrait son quarantième anniversaire. L'ado de quinze ans que j'étais n'avait absolument aucune opinion sur le chiffre 40. D'aussi loin que je me souvienne, maman m'est toujours apparue comme une bombe à la vue de laquelle tous les hommes se retournaient.
Ce jour-là, pourtant, elle s'est levée, est allée dans sa chambre pour revenir avec une pile de vêtements qu'elle a déposée devant moi. Toutes ses mini-jupes et ses mini-robes. «Tiens, prends ça. Je suis trop vieille pour les porter.» Je fus à la fois ravie - l'aubaine! - et déconcertée. À partir de ce jour, la quarantaine est devenue à mes yeux symbole du début de la fin. Je ne me doutais pas que ce serait tout le contraire.
Je ne vous raconterai pas d'histoires: le début des rides, le genou moins souple et la fesse qui tire vers le bas, il n'y a rien de particulièrement réjouissant là-dedans. Mais rien de dramatique non plus. Un p'tite crème dont on fait semblant de croire les promesses, un peu de sport et on passe à autre chose! D'autant plus que j'ai la «chance» d'avoir, à l'occasion, quelques boutons sur le menton qui me rappellent les grands bouleversements de l'adolescence. Ça me suffit.
«Pis, tu fais quoi, maintenant?» Voilà une question à laquelle j'aime répondre! Je résume en disant que je me réinvente constamment et que, pour moi, c'est le truc pour vieillir avec le sourire. Fini, les années de «J'aurais donc dû». Désormais, c'est: «J'aurais pu, ouais, pis après?» Pour mes quarante ans, je me suis offert la liberté d'écrire deux romans. J'en. Avais. Envie. Est-ce que ça fait de moi une écrivaine à vie? Aucune idée. Et là réside la beauté du temps qui passe. À 45 ans, je sais désormais que je ne me «caserai» jamais puisque c'est contre ma nature. La seule stabilité à laquelle j'aspire, c'est celle que procurent amour et enfants. Pour le reste, j'aspire au déséquilibre enivrant, à l'étonnement perpétuel et aux projets qui me surprennent et font battre mon coeur plus vite. C'est ma recette anti-âge. Ça, et le fait de continuer à porter des mini-jupes à l'occasion. Même ma mère trouve ça parfait ainsi.
Ex-avocate, journaliste culturelle et blogueuse, Nathaly Dufour est l'auteure du roman Sous la toge (2 tomes, Stanké, 2009 et 2010, 176 p., 24,95$ ch.), dont le premier volume est actuellement en adaptation pour le grand écran. Un joli projet en chantier, une série de polars avec, comme personnage principal, une avocate de la défense mordue de bingo. Tout ça, à condition qu'elle ne décide pas de se présenter aux prochaines élections!
Ici, maintenant
Octobre de cette année. Je viens de fêter mes 49 ans. Je dis mon âge parce qu'une femme qui cache son âge est une femme qui dit au monde entier qu'elle a peur. Peur d'être rejetée, oubliée, négligée. Peur d'être écartée des autres, de l'amour et des conseils d'administration (ah non! ça, on n'y est déjà pas - rien à voir avec l'âge). Dans notre société où la norme compresse si brutalement ceux qui sont différents, il faut se faire alchimiste et transformer ses peurs en forces. Dire son âge et l'assumer, c'est une riposte au bullying. Vous ne me faites pas peur.
Histoire de célébrer, je participe à une course organisée par le Collège Brébeuf. Devant la jeunesse victorieuse de la majorité des coureurs, la mémé en running que je suis se bidonne. Vieillir, c'est se foutre de sa propre gueule. Souvent. Y compris quand on se rend compte que ça monte à pic sur toute la première moitié du parcours. Eh boy.
Une légende urbaine veut qu'on devienne plus sage en vieillissant. Je n'y crois pas une seconde. On devient enfin fou, raide dingue de la vie, kamikaze du moment présent. Je veux tout, tout de suite, car demain est incertain. Cours, mémé, cours!
Devant moi, un gamin d'une douzaine d'années se retourne aux dix secondes pour voir où j'en suis. À son air, je vois bien que son orgueil ne supporterait pas d'être dépassé par une fille. Rectification, d'être dépassé par une madame, quelle horreur! Il sue, il souffle et, tout à son anxiété, il n'a aucun plaisir. J'ai envie de lui dire: «Relaxe, petit, tu as toute la vie pour dépasser les autres, et pour te faire dépasser par eux. Profite donc de ta course au lieu d'être obsédé par la mienne.»
Pareil comme j'ai envie de dire aux filles plus jeunes que l'accouchement, ça fait mal en chien, qu'allaiter, c'est pas forcément la joie, et que la conciliation travail-famille est un leurre qu'on paiera cher d'un côté comme de l'autre. Que trahir une amie pour arriver plus vite et se justifier en la blâmant, cela ampute notre victoire et nous déprécie.
Je ne le dirai pas. Vieillir, c'est se rendre compte que notre expérience est intransmissible. Ils comprendront un jour. Peut-être trop tard. Peut-être jamais. C'est la vie. J'insisterai quand même pour leur répéter qu'à travers le chaos, la gastro et le prix exorbitant de l'orthodontie, les enfants, c'est du grand bonheur. Juste ça, du grand bonheur? Juste ça. En vieillissant, la mémoire ayant tendance à foutre le camp, on s'exprime plus simplement.
Patrice Roy (oui, le présentateur du journal télévisé), me sert de «lapin» pendant toute la (dure) montée de la côte Polytechnique. Un lapin, c'est quelqu'un qui court plus vite que toi et qui te sert d'inspiration pour te dépasser. Vieillir, c'est mettre joyeusement son ego de côté et accepter avec gratitude que ceux qui sont meilleurs nous ouvrent le chemin. Il y a toujours des côtes à monter, autant profiter de l'inspiration.
Et puis, au dernier kilomètre, ayant couru lentement mais sûrement, portée par l'euphorie des endorphines, je dépasse mon jeune concurrent et je passe le fil d'arrivée avant lui. J'imagine déjà votre réprobation. «Mon dieu, Geneviève, un gamin de douze ans! Tu aurais pu le laisser gagner.»
Non. Vieillir, c'est cesser de contraindre nos réussites de peur de «faire de la peine». C'est ma course. C'est ma vie. Et c'est maintenant que ça se passe.
Je vieillis et c'est tant mieux.
Réalisatrice, productrice, scénariste et auteure, Geneviève Lefebvre a fait de l'écriture son métier, toutes plateformes confondues: télévision, cinéma, théâtre, web, presse écrite et littérature. Je compte les morts, qu'elle adapte présentement pour le cinéma, est son premier roman. Pionnière de la fiction sur le Web, elle écrit, produit et réalise chezjules.tv et blogue sur chroniquesblondes.com depuis 2006. Elle vient d'obtenir l'aval de TVA pour une série télé dont elle assure aussi la production au contenu. Quand elle n'écrit pas, elle court avec Maggie, sprinteuse canine, et passe du temps avec son amoureux et son fils, les hommes de sa vie.
Confidences dans la baignoire
Je suis une femme vintage, mûre-mûre, soleil couchant... Vous trouvez qu'il s'agit là d'euphémismes? Bof... Peut-être. Je suis tout cela et je m'en glorifie.
J'écris en infusant dans ma baignoire. Aujourd'hui, ça grince un peu dans mon corps. Quel bonheur, ces petites douleurs! Dire qu'un jour je ne sentirai plus rien! Sentir son corps avec acuité, percevoir le travail des muscles, le roulement des articulations, le bruissement de l'épiderme, les roucoulades des petites cellules flottant, ou pas, dans la félicité... Vieillir, c'est cela. Et c'est tant mieux!
Je macère dans une eau laiteuse, onctueuse. Ça sent bon. De plus, on n'y voit rien dans ce liquide opaque. Être malvoyant... Je me demande où en seraient les critères de beauté si on ne voyait qu'avec le bout des doigts? Si on vivait dans le noir, les femmes auraient-elles encore une fracture du moi en perdant leurs courbes et leur nichons de jouvencelle? L'érotisme et le désir seraient-ils toujours une chasse gardée de la jeunesse? La chirurgie pathétique existerait-elle quand même? J'imagine un plasticien aveugle jaugeant des standards esthétiques de mon corps, avec les coussins de ses doigts, puis décidant des rénovations à apporter...
Je dérive et c'est bon. Je sors une jambe de l'eau, je la lisse et la masse depuis la cheville en remontant le mollet bien galbé jusqu'à la cuisse. Une cuisse sans cellulite, dorée, encore musclée. Moelleuse à l'intérieur, là où la chair est plus tendre que tendre. Vibrante aussi. Ma robe de peau me fait penser à celles de chez Rodier: relaxée, détendue.
Je ne vadrouille plus dans ma vie comme on s'affole sur un chantier, d'un secteur à l'autre. Je ne me tue plus au boulot, je m'y divertis. Je m'amuse à salir la maison plutôt qu'à la récurer. Je défais mon lit au lieu de le faire. Je désorganise mon agenda. Je me dédie à des activités nobles: rire aux larmes, flâner, faire des folies... Je suis déprogrammée. Chaque matin, je m'assure que ma programmation «par défaut» ne s'est pas réenclenchée. Il faut être déprogrammé pour accéder à l'imprévisible et à l'émerveillement. Comme j'ai moins de temps devant moi, je le prends à bras raccourcis, pour pouvoir en donner et accueillir l'inattendu. Vieillir, c'est cela. Et c'est tant mieux.
Je suscite moins de pulsions libidinales, moins de pamoisons amoureuses, plus d'élans admiratifs. Moi qui ai tant clamé que seule l'admiration peut éterniser le désir et l'amour, cela me sied. Délestée de ma valise de clichés, je me fiche de la performance. Je suis désirable et désirée parce que je suis désirante. Telle quelle, avec mes seins qui ne demandent qu'à vivre, mon clitoris qui continue de faire toc toc.
Ulysse, me regarde à l'oeil nu, sans s'aveugler, comme s'il contemplait un soleil couchant. Il dit que j'ai une saveur de petites baies bien mûres, mêlées à de la truffe du Périgord. Qu'il faut me déguster comme un cépage unique et éphémère... Vieillir, c'est cela. Et c'est tant mieux.
Jocelyne Robert est sexologue et auteure, mais c'est aussi une vulgarisatrice hors pair. Elle a signé une douzaine d'ouvrages traduits en plus de vingt langues et tient un blogue (jocelynerobert.com) suivi par des milliers d'internautes à travers le monde. Son dernier livre, Femmes vintage, directement relié à ses propos ici, est toujours en librairie (Les Éditions de l'Homme, 2010, 208 p., 24,95$).
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