Psychologie
J'ai déménagé...et je suis heureuse!
Photographe : Marie-Eve Tremblay / Colagene.com
S'installer ailleurs, dans une autre maison, même pour les meilleures raisons, ça reste une décision importante qui aura un impact majeur sur nous. Notre journaliste nous raconte comment elle entrevoit la vie dans un nouveau chez soi.
L’été dernier, mon amoureux et moi avons quitté notre banlieue pour nous installer à la campagne, à l’orée d’une forêt, près d’un lac et d’une montagne.
On a acheté une maison très laide parce qu’on l’a eue à très bon prix. La première fois que je l’ai visitée, elle m’a laissée indifférente. Mais j’ai aimé l’endroit où elle était située et ce qu’elle pouvait devenir. Je savais que mon amoureux entrepreneur allait de ses mains nous créer une maison chaleureuse, simple et jolie.
Depuis, je vois cette maison se transformer sous mes yeux pour devenir celle que je portais en moi. Pour devenir le reflet de ce que je suis aujourd’hui, de ce à quoi j’aspire, la simplicité et la nature. Ma maison de banlieue ne me manque pas, parce que ce changement, je l’avais choisi.
Émilie, elle, a dû quitter sa maison en ville, obligée. À cause d’une séparation. «Je n’aurais pas eu les moyens financiers de la garder, dit-elle. Et de toute façon, je ne pense pas que j’aurais aimé rester là, à cause de tous les souvenirs qui s’y trouvent. J’aurais eu le sentiment de garder un pied dans le passé.» Avec son fils, Émilie a choisi d’aller vivre en appartement. «C’est évidemment plus petit, mais c’est sympathique, dit-elle. J’avoue que j’ai eu un deuil à faire de ma maison, mais là ça va, on s’est fait notre nid, mon fils et moi.»
Faire le deuil d’une maison, c’est faire le deuil d’un lieu physique qu’on a aimé, mais c’est surtout faire le deuil des souvenirs liés, parfois tangiblement, à ce lieu. Oui, on gardera ces souvenirs à l’intérieur de soi. Mais l’endroit où ils ont été vécus nous les renvoie de façon irrécusable. C’est pourquoi, si le rappel de cette mémoire est trop douloureux, plusieurs choisiront de partir, même s’ils auraient pu faire autrement. «On peut aussi vouloir rester, le temps de faire doucement notre deuil, dit la psychologue Toby Israel. Lors de ces transitions de vie, comme un divorce, un décès, le départ des enfants, etc., certains souhaiteront s’en aller rapidement mais d’autres peuvent vouloir rester. Peut-être changeront- ils certaines choses, comme la décoration ou l’ameublement, mais ne souhaiteront pas nécessairement déménager. Et c’est très correct, à la seule condition que leurs souvenirs ne les plongent pas indéfiniment dans la tristesse et les empêchent d’avancer.»
Plus qu'une simple maison
Émilie a visité plusieurs appartements avant de fixer son choix. Oui, un endroit pas trop loin de l’école. Pas trop cher. Près d’un métro et d’une épicerie. «Mais ç’a été une affaire de coup de coeur, dit Émilie. J’y suis allée au feeling.» «On pense souvent que ce sont des critères pratiques qui nous font choisir un lieu où habiter, dit Toby Israel. C’est un petit peu vrai, mais ce qui nous guide surtout, c’est notre coeur. Pourquoi, quand on entre dans une maison, s’y sent-on bien ou, au contraire, n’aime-t-on pas ce qu’on y ressent, sans trop savoir pourquoi? Une maison a une charge émotionnelle très grande.»
La psychologue est persuadée que les lieux de notre enfance font écho à ceux que nous choisissons d’habiter une fois adulte. «Le choix d’une maison est souvent le résultat d’une reproduction ou d’un rejet de la maison de notre enfance, dit la spécialiste. On essaie d’aller chercher, le plus souvent inconsciemment, des éléments qui nous ont marqués ou des choses qui nous ont manqué.» Pour Émilie, c’était la ruelle. «J’ai grandi à Montréal, et la ruelle de mon enfance était littéralement le prolongement de notre maison. Je voulais offrir ça à mon fils.»
Outre les éléments qu’on repique au passé ou qu’on laisse derrière soi, il y a aussi ces phases de la vie que nos habitations reflètent. «Une maison n’est jamais qu’une simple structure matérielle, dit la psychologue Toby Israel, c’est l’expression des personnes qui y habitent.» L’appartement d’Émilie est le lieu d’après sa séparation où elle se reconstruit une vie différente. Mon premier appartement de célibataire, celui loué avec un ex-amoureux, cette maison partagée pendant plusieurs mois dans un autre pays, ma maison de banlieue où j’ai commencé à élever mes enfants. Et cette maison aujourd’hui, qui, à bien y réfléchir, se rapproche étrangement de celle de mon enfance. Cette maison sobre mais chaleureuse. L’odeur de l’herbe fraîchement coupée. Ce grand terrain pour courir. Tous ces lieux marquent un chapitre de notre livre. «Si on répertoriait tous les endroits qu’une personne a habités au fil des ans, on pourrait y lire l’histoire de sa vie», conclut Toby Israel. C’est vrai pour moi aussi.
Journaliste indépendante native des Cantons-de-l’Est, Isabelle Bergeron accepte de partager «sa» montagne avec les touristes de passage.