Psychologie
Faites donc une chose à la fois!
On parle au téléphone en conduisant, on lit nos courriels tout en prêtant l'oreille à une collègue, on prépare le souper en même temps qu'on supervise les devoirs... et on rêve de journées de 36 heures pour pouvoir enfin faire tout ce qu'on a à faire! Le rythme de nos vies s'est considérablement accéléré au cours des dernières années, et la plupart des gens tentent de battre la mesure, le souffle court, en composant avec deux, trois occupations dans un même espace-temps.
Le multitâche se définit de deux façons, selon qu'on alterne rapidement entre deux tâches ou qu'on fait réellement deux choses en même temps. Dans ce dernier cas, nos capacités sont toutefois très limitées.
Professeur de psychologie à l'université Vanderbilt, à Nashville, aux États-Unis, René Marois a réalisé, l'an dernier, avec un collègue, une recherche sur le niveau d'efficacité perdu lorsqu'une personne essaie de faire deux choses à la fois. «On s'est rendu compte que c'était pratiquement impossible, explique le chercheur. Outre certaines activités très spécifiques, comme de marcher en parlant, faire deux choses en même temps réduit considérablement notre niveau de concentration et affecte notre performance.»
Une question de sexe?
Il précise que l'étude a été menée auprès d'autant de femmes que d'hommes et que les résultats étaient les mêmes pour les deux sexes. L'idée que les femmes auraient plus de facilité que les hommes à faire plusieurs choses à la fois serait donc fausse? «C'est un mythe», dit-il.
Pour le psychologue Marc Vachon, cette situation est plutôt d'ordre culturel. «En plus d'être souvent seules à s'occuper des enfants, les femmes se chargeaient de tout ce qui concernait le foyer et la vie sociale.» Une époque pas si lointaine, dont l'empreinte est encore bien visible aujourd'hui. «Ma mère s'occupait de tout dans la maison, du budget au lavage des fenêtres, de l'organisation des fêtes au magasinage des vêtements de toute la famille, raconte Marie-Hélène, 41 ans. Elle a été mon modèle. J'ai conscience d'être un peu comme ça moi aussi et, en plus, je travaille à temps plein!»
Inévitable, le multitâche?
Pierre Jolicoeur, professeur de psychologie à l'Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche en sciences cognitives expérimentales, admet que la tendance va en s'intensifiant. «Les avancées technologiques y sont indéniablement pour quelque chose», précise-t-il. L'Internet, notamment, qui occupe désormais une place importante, tant au travail que dans notre vie personnelle. « Je pense que je suis devenue une lectrice de courriels compulsive! dit en riant Geneviève, 36 ans. Je peux vérifier mes messages jusqu'à deux ou trois fois par heure. J'ai conscience que cela me ralentit dans mon travail.»
De fait, une étude réalisée récemment chez Microsoft a montré que les courriels et la messagerie instantanée avaient des impacts négatifs sur la productivité au travail. On s'est aperçu que les employés mettaient environ 15 minutes à retrouver leur pleine concentration après avoir interrompu leur travail pour répondre à un courriel. «On est souvent en mode réactif, fait observer Marc Vachon. On répond sans cesse à des demandes, et on croit qu'on ira plus vite en y répondant sur-le-champ.» Et les demandes se multiplient puisque, à présent, la polyvalence est de mise.
René-Louis Comtois, fondateur de Formations Qualitemps et formateur en gestion de temps, indique qu'il s'agit d'un changement important dans le monde du travail. «On demande désormais aux employés d'être capables de répondre à plusieurs besoins. Cela explique en partie pourquoi on peut se retrouver à accomplir différentes tâches en même temps.» La même tendance est aussi bien présente à l'extérieur du bureau. D'abord, parce que la technologie actuelle nous rend joignables en tout temps et qu'il est donc plus fréquent d'être interrompue pendant qu'on s'affaire à autre chose. Mais aussi, tout simplement, parce que notre horaire manque parfois d'élasticité. «Je suis mère de deux enfants et je ne peux pas toujours me permettre de m'occuper seulement d'eux quand je suis à la maison: je dois aussi faire le ménage, terminer un dossier, retourner mes appels... Sinon, je n'y arriverais tout simplement pas!» soutient Marie-Hélène. Et même si son conjoint contribue pleinement aux activités de la maison, elle ne voit pas comment elle pourrait faire autrement.Il peut en effet sembler irréaliste de penser pouvoir découper son horaire en tranches bien nettes où ne serait inscrite qu'une activité à la fois. «Le multitâche est parfois inévitable, mais il n'est pas toujours nécessairement négatif, mentionne Pierre Jolicoeur. Les tâches dont on a l'habitude, plus routinières, pourront plus facilement être menées de front. Et cela peut être valorisant quand on réussit à toutes les accomplir avec succès.» Là où ça pose problème, c'est lorsque le volume de nos occupations est trop important et qu'on doit jongler en permanence. De plus, lorsqu'on cherche à s'étourdir en faisant mille choses à la fois, il y a également lieu de se questionner. «Certaines personnes ont besoin de faire plusieurs choses en même temps parce que c'est leur unique source de valorisation, explique Marie-Pier Charron, coach de vie. Elles essaient de combler un vide, comme si leur identité ne dépendait que de leurs occupations.»
Des conséquences néfastes
J'ai souvent de la difficulté à m'endormir le soir, raconte Julie, 38 ans. Je pense à tout ce que j'ai à faire, tout ce que je n'ai pas terminé, et cela me stresse énormément. De plus, je me sens constamment épuisée, à bout de souffle.» La pression quasi constante au travail et une vie qui lui laisse peu de temps libre font qu'elle se sent souvent prise dans un tourbillon. Résultat: Julie a le sentiment de ne pas goûter pleinement sa vie. «Lorsqu'on butine d'une activité à l'autre sans arrêt, on n'en retire pas autant de satisfaction que si on était complètement présente et concentrée», relève Marie-Pier Charron.
Une étude menée par des chercheurs de l'Université du Michigan en 2001 a même montré que le multitâche pouvait même entraîner de sérieux problèmes de santé, tels l'épuisement mental, l'anxiété et la dépression.
Aussi inquiétant: dans un article paru en janvier 2005 dans le Harvard Business Review, le psychiatre américain et spécialiste de la question Edward M. Hallowell mentionnait que le multitâche provoquerait le «trait du déficit d'attention». Celui-ci a en effet observé chez ses patients habitués au multitâche des symptômes de distractivité, de frénésie, d'impatience et de panique légère. Des symptômes directement reliés au trouble du déficit de l'attention! Cela sans compter l'impact du phénomène sur la concentration et la mémoire.
De fait, selon des chercheurs de l'Institut universitaire en santé mentale Douglas, lorsque nous divisons notre attention entre deux tâches, notre cerveau a du mal à encoder les informations et, par conséquent, à les retenir. «Quand j'interromps mon travail pour lire mes courriels, il m'arrive d'oublier ce que je venais de lire ou de faire juste avant, témoigne Geneviève. Cela me prend d'autant plus de temps à me concentrer à nouveau.»
Bien que le multitâche s'avère nécessaire de temps à autre, il en va de notre performance et, surtout, de notre santé, de ne pas en faire notre mode de vie. «Malheureusement, il arrive souvent qu'on ne se décide à changer que lorsqu'on souffre, dit Marc Vachon. C'est pourquoi il importe d'être à l'écoute de certains signes, comme la fatigue chronique ou un niveau de stress trop élevé. Nous avons peut-être la capacité de multiplier plusieurs activités en même temps, mais c'est souvent lorsqu'on arrête que ça pète!» On n'attendra pas jusque-là!Mais jusqu'à quel point cette façon de faire vous empoisonne-t-elle la vie? Pour le savoir, cochez les énoncés suivants. Plus vous en cochez, plus c'est votre cas.
1. Il vous arrive souvent de commettre des erreurs d'inattention.
2. Vous avez régulièrement le sentiment d'être débordée.
3. Vous n'êtes pas aussi productive que vous aimeriez (ou que votre patron le souhaiterait!), même si vous n'arrêtez pas deux minutes.
4. Vous vous sentez souvent stressée, anxieuse.
5. Il vous arrive assez souvent de devoir prolonger vos heures au bureau pour terminer tout ce que vous avez à faire.
6. Vous avez du mal à demeurer concentrée plus de quelques minutes.
7. Votre emploi du temps, même à la maison, vous force souvent à vous coucher plus tard que vous le devriez.
8. Vous vous sentez souvent fatiguée, voire épuisée.
9. Vous avez de la difficulté à retenir de nouvelles informations.
10. Décrocher, mettre votre cerveau au repos, vous est difficile.
11. Vous vous sentez souvent irritable et déprimée.
12. Vous avez le sentiment de ne pas contrôler votre vie.Une chose à la fois... le plus souvent possible!
Quelques conseils pour faire en sorte que le multitâche ne compte plus parmi nos habitudes.
Faire des choix.
«Tout le monde sollicite notre temps, notre attention, et on ne fait souvent que répondre aux demandes, affirme le psychologue Marc Vachon. Il est essentiel de s'arrêter pour réfléchir à ce qu'on veut, à ce qui compte pour nous, et ce dans chaque sphère de notre vie.» Travaille-t-on trop? Y a-t-il des gens indésirables dans notre vie? Pratique-t-on trop d'activités à l'extérieur du bureau? Fait-on ce qu'on aime? Autant de questions qui pourront nous amener à faire le ménage dans notre vie s'il y a lieu.
S'organiser.
De façon plus pratique, on gagne à faire quotidiennement un plan de notre journée. «Par exemple, on pourra regrouper les tâches de même nature dans un même bloc de temps», suggère René-Louis Comtois. On pourra aussi planifier les tâches les plus exigeantes au moment où on est le plus productive, le matin par exemple. «Je conseille également de toujours garder sur soi un cahier de notes où on inscrit les choses qu'on a à faire au fur et à mesure», dit le spécialiste. On évite ainsi de les oublier et de devoir les insérer entre deux autres tâches. Un autre truc: on se réserve un moment dans la journée (vers la fin de l'après-midi, par exemple) pour lire nos courriels ou retourner des appels. «Et on vide notre boîte de courriels à mesure qu'on les a lus et qu'on y a répondu, avise M. Comtois. Sinon, on risque de les relire plusieurs fois et de perdre du temps.» On trouve en libraire une multitude d'ouvrages de conseils pour organiser au mieux notre agenda.
Se concentrer sur le moment présent.
Selon une étude du psychologue Mihaly Csiksentmilalhy, auteur notamment de Vivre: la psychologie du bonheur (Robert Laffont, 2004), les moments où les gens sont le plus heureux sont ceux où ils sont complètement absorbés par une activité physique ou mentale, où ils vivent pleinement le moment présent. On essaie donc d'appliquer ce principe aussi souvent qu'on peut. «Lorsqu'une tâche exige beaucoup de concentration, il faut lui réserver du temps et éviter d'être interrompu», souligne Pierre Jolicoeur. On pourra, par exemple, aviser nos collègues de ne pas nous déranger pendant les deux heures où on doit rédiger un document important. «À mon sens, le multitâche peut également vouloir dire faire une chose tout en pensant à autre chose, dit Marie-Pier Charron. Par exemple, pendant qu'on est en train de souper avec notre famille, on passe en revue les tâches à accomplir le lendemain.» On reste donc alerte: dès qu'une pensée nous éloigne de ce qu'on est en train de faire, on se dit qu'on y pensera plus tard et on revient au moment présent.
Se débrancher quand c'est le temps.
La technologie nous aide, mais elle peut aussi être envahissante! «On peut désactiver le signal nous indiquant qu'on a reçu un nouveau courriel, suggère René-Louis Comtois. Et on peut, quand c'est possible, s'accorder quelques heures par jour à ne pas répondre au téléphone.» En dehors du bureau, on s'autorise à fermer notre cellulaire lorsqu'on pratique un loisir ou qu'on est avec nos amis, et on se permet ne pas lire nos courriels pendant la fin de semaine. Bref, on se débranche aussi souvent que possible!
Ralentir la cadence.
Notre vie a pris un rythme effréné? On peut chercher des moyens de ralentir un peu. Au travail, on pourra déléguer lorsque c'est possible, s'accorder une pause d'au moins 15 minutes pendant la journée ou encore réduire les heures supplémentaires si on a tendance à les accumuler. On sera ainsi plus reposée, moins stressée et, donc, plus productive lorsqu'on devra l'être. «Il est également important de prendre du temps pour soi», insiste le psychologue Marc Vachon.
Se questionner sur notre habitude de faire plusieurs choses à la fois.
Pour certaines, cumuler plusieurs activités jusqu'à s'en étourdir peut signifier une certaine peur du vide. «Plusieurs personnes ne se définissent que par leur travail et leurs nombreuses occupations, dit Marie-Pier Charron. Or, il est important de reprendre contact avec soi au-delà des rôles qu'on endosse.» Comment? Une façon serait simplement de se rappeler ce qu'on aimait faire: danser, dessiner, jouer avec le chien, etc. Dans L'Éloge de la lenteur, le journaliste Carl Honoré, qui admet avoir carburé à la vitesse dépendant des années, recommande des activités comme la méditation, le yoga et la marche. «Voyager à pied peut aussi nous pousser à la méditation et favoriser un mode de pensées calmes (...) La marche peut même apaiser notre tendance à aller toujours plus vite.»
Pour aller plus loin
Simplifiez-vous la vie, par Werner Tiki Küstenmacher, J'ai lu, 2006, 201 p., 19,95 $.
Gérer efficacement son temps, par René-Louis Comtois, Quebecor, 2006, 239 p., 24,95 $.
L'Éloge de la lenteur, par Carl Honoré, Marabout, 2005, 288 p., 19,95 $.
Le multitâche se définit de deux façons, selon qu'on alterne rapidement entre deux tâches ou qu'on fait réellement deux choses en même temps. Dans ce dernier cas, nos capacités sont toutefois très limitées.
Professeur de psychologie à l'université Vanderbilt, à Nashville, aux États-Unis, René Marois a réalisé, l'an dernier, avec un collègue, une recherche sur le niveau d'efficacité perdu lorsqu'une personne essaie de faire deux choses à la fois. «On s'est rendu compte que c'était pratiquement impossible, explique le chercheur. Outre certaines activités très spécifiques, comme de marcher en parlant, faire deux choses en même temps réduit considérablement notre niveau de concentration et affecte notre performance.»
Une question de sexe?
Il précise que l'étude a été menée auprès d'autant de femmes que d'hommes et que les résultats étaient les mêmes pour les deux sexes. L'idée que les femmes auraient plus de facilité que les hommes à faire plusieurs choses à la fois serait donc fausse? «C'est un mythe», dit-il.
Pour le psychologue Marc Vachon, cette situation est plutôt d'ordre culturel. «En plus d'être souvent seules à s'occuper des enfants, les femmes se chargeaient de tout ce qui concernait le foyer et la vie sociale.» Une époque pas si lointaine, dont l'empreinte est encore bien visible aujourd'hui. «Ma mère s'occupait de tout dans la maison, du budget au lavage des fenêtres, de l'organisation des fêtes au magasinage des vêtements de toute la famille, raconte Marie-Hélène, 41 ans. Elle a été mon modèle. J'ai conscience d'être un peu comme ça moi aussi et, en plus, je travaille à temps plein!»
Inévitable, le multitâche?
Pierre Jolicoeur, professeur de psychologie à l'Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche en sciences cognitives expérimentales, admet que la tendance va en s'intensifiant. «Les avancées technologiques y sont indéniablement pour quelque chose», précise-t-il. L'Internet, notamment, qui occupe désormais une place importante, tant au travail que dans notre vie personnelle. « Je pense que je suis devenue une lectrice de courriels compulsive! dit en riant Geneviève, 36 ans. Je peux vérifier mes messages jusqu'à deux ou trois fois par heure. J'ai conscience que cela me ralentit dans mon travail.»
De fait, une étude réalisée récemment chez Microsoft a montré que les courriels et la messagerie instantanée avaient des impacts négatifs sur la productivité au travail. On s'est aperçu que les employés mettaient environ 15 minutes à retrouver leur pleine concentration après avoir interrompu leur travail pour répondre à un courriel. «On est souvent en mode réactif, fait observer Marc Vachon. On répond sans cesse à des demandes, et on croit qu'on ira plus vite en y répondant sur-le-champ.» Et les demandes se multiplient puisque, à présent, la polyvalence est de mise.
René-Louis Comtois, fondateur de Formations Qualitemps et formateur en gestion de temps, indique qu'il s'agit d'un changement important dans le monde du travail. «On demande désormais aux employés d'être capables de répondre à plusieurs besoins. Cela explique en partie pourquoi on peut se retrouver à accomplir différentes tâches en même temps.» La même tendance est aussi bien présente à l'extérieur du bureau. D'abord, parce que la technologie actuelle nous rend joignables en tout temps et qu'il est donc plus fréquent d'être interrompue pendant qu'on s'affaire à autre chose. Mais aussi, tout simplement, parce que notre horaire manque parfois d'élasticité. «Je suis mère de deux enfants et je ne peux pas toujours me permettre de m'occuper seulement d'eux quand je suis à la maison: je dois aussi faire le ménage, terminer un dossier, retourner mes appels... Sinon, je n'y arriverais tout simplement pas!» soutient Marie-Hélène. Et même si son conjoint contribue pleinement aux activités de la maison, elle ne voit pas comment elle pourrait faire autrement.Il peut en effet sembler irréaliste de penser pouvoir découper son horaire en tranches bien nettes où ne serait inscrite qu'une activité à la fois. «Le multitâche est parfois inévitable, mais il n'est pas toujours nécessairement négatif, mentionne Pierre Jolicoeur. Les tâches dont on a l'habitude, plus routinières, pourront plus facilement être menées de front. Et cela peut être valorisant quand on réussit à toutes les accomplir avec succès.» Là où ça pose problème, c'est lorsque le volume de nos occupations est trop important et qu'on doit jongler en permanence. De plus, lorsqu'on cherche à s'étourdir en faisant mille choses à la fois, il y a également lieu de se questionner. «Certaines personnes ont besoin de faire plusieurs choses en même temps parce que c'est leur unique source de valorisation, explique Marie-Pier Charron, coach de vie. Elles essaient de combler un vide, comme si leur identité ne dépendait que de leurs occupations.»
Des conséquences néfastes
J'ai souvent de la difficulté à m'endormir le soir, raconte Julie, 38 ans. Je pense à tout ce que j'ai à faire, tout ce que je n'ai pas terminé, et cela me stresse énormément. De plus, je me sens constamment épuisée, à bout de souffle.» La pression quasi constante au travail et une vie qui lui laisse peu de temps libre font qu'elle se sent souvent prise dans un tourbillon. Résultat: Julie a le sentiment de ne pas goûter pleinement sa vie. «Lorsqu'on butine d'une activité à l'autre sans arrêt, on n'en retire pas autant de satisfaction que si on était complètement présente et concentrée», relève Marie-Pier Charron.
Une étude menée par des chercheurs de l'Université du Michigan en 2001 a même montré que le multitâche pouvait même entraîner de sérieux problèmes de santé, tels l'épuisement mental, l'anxiété et la dépression.
Aussi inquiétant: dans un article paru en janvier 2005 dans le Harvard Business Review, le psychiatre américain et spécialiste de la question Edward M. Hallowell mentionnait que le multitâche provoquerait le «trait du déficit d'attention». Celui-ci a en effet observé chez ses patients habitués au multitâche des symptômes de distractivité, de frénésie, d'impatience et de panique légère. Des symptômes directement reliés au trouble du déficit de l'attention! Cela sans compter l'impact du phénomène sur la concentration et la mémoire.
De fait, selon des chercheurs de l'Institut universitaire en santé mentale Douglas, lorsque nous divisons notre attention entre deux tâches, notre cerveau a du mal à encoder les informations et, par conséquent, à les retenir. «Quand j'interromps mon travail pour lire mes courriels, il m'arrive d'oublier ce que je venais de lire ou de faire juste avant, témoigne Geneviève. Cela me prend d'autant plus de temps à me concentrer à nouveau.»
Bien que le multitâche s'avère nécessaire de temps à autre, il en va de notre performance et, surtout, de notre santé, de ne pas en faire notre mode de vie. «Malheureusement, il arrive souvent qu'on ne se décide à changer que lorsqu'on souffre, dit Marc Vachon. C'est pourquoi il importe d'être à l'écoute de certains signes, comme la fatigue chronique ou un niveau de stress trop élevé. Nous avons peut-être la capacité de multiplier plusieurs activités en même temps, mais c'est souvent lorsqu'on arrête que ça pète!» On n'attendra pas jusque-là!Mais jusqu'à quel point cette façon de faire vous empoisonne-t-elle la vie? Pour le savoir, cochez les énoncés suivants. Plus vous en cochez, plus c'est votre cas.
1. Il vous arrive souvent de commettre des erreurs d'inattention.
2. Vous avez régulièrement le sentiment d'être débordée.
3. Vous n'êtes pas aussi productive que vous aimeriez (ou que votre patron le souhaiterait!), même si vous n'arrêtez pas deux minutes.
4. Vous vous sentez souvent stressée, anxieuse.
5. Il vous arrive assez souvent de devoir prolonger vos heures au bureau pour terminer tout ce que vous avez à faire.
6. Vous avez du mal à demeurer concentrée plus de quelques minutes.
7. Votre emploi du temps, même à la maison, vous force souvent à vous coucher plus tard que vous le devriez.
8. Vous vous sentez souvent fatiguée, voire épuisée.
9. Vous avez de la difficulté à retenir de nouvelles informations.
10. Décrocher, mettre votre cerveau au repos, vous est difficile.
11. Vous vous sentez souvent irritable et déprimée.
12. Vous avez le sentiment de ne pas contrôler votre vie.Une chose à la fois... le plus souvent possible!
Quelques conseils pour faire en sorte que le multitâche ne compte plus parmi nos habitudes.
«Tout le monde sollicite notre temps, notre attention, et on ne fait souvent que répondre aux demandes, affirme le psychologue Marc Vachon. Il est essentiel de s'arrêter pour réfléchir à ce qu'on veut, à ce qui compte pour nous, et ce dans chaque sphère de notre vie.» Travaille-t-on trop? Y a-t-il des gens indésirables dans notre vie? Pratique-t-on trop d'activités à l'extérieur du bureau? Fait-on ce qu'on aime? Autant de questions qui pourront nous amener à faire le ménage dans notre vie s'il y a lieu.
De façon plus pratique, on gagne à faire quotidiennement un plan de notre journée. «Par exemple, on pourra regrouper les tâches de même nature dans un même bloc de temps», suggère René-Louis Comtois. On pourra aussi planifier les tâches les plus exigeantes au moment où on est le plus productive, le matin par exemple. «Je conseille également de toujours garder sur soi un cahier de notes où on inscrit les choses qu'on a à faire au fur et à mesure», dit le spécialiste. On évite ainsi de les oublier et de devoir les insérer entre deux autres tâches. Un autre truc: on se réserve un moment dans la journée (vers la fin de l'après-midi, par exemple) pour lire nos courriels ou retourner des appels. «Et on vide notre boîte de courriels à mesure qu'on les a lus et qu'on y a répondu, avise M. Comtois. Sinon, on risque de les relire plusieurs fois et de perdre du temps.» On trouve en libraire une multitude d'ouvrages de conseils pour organiser au mieux notre agenda.
Selon une étude du psychologue Mihaly Csiksentmilalhy, auteur notamment de Vivre: la psychologie du bonheur (Robert Laffont, 2004), les moments où les gens sont le plus heureux sont ceux où ils sont complètement absorbés par une activité physique ou mentale, où ils vivent pleinement le moment présent. On essaie donc d'appliquer ce principe aussi souvent qu'on peut. «Lorsqu'une tâche exige beaucoup de concentration, il faut lui réserver du temps et éviter d'être interrompu», souligne Pierre Jolicoeur. On pourra, par exemple, aviser nos collègues de ne pas nous déranger pendant les deux heures où on doit rédiger un document important. «À mon sens, le multitâche peut également vouloir dire faire une chose tout en pensant à autre chose, dit Marie-Pier Charron. Par exemple, pendant qu'on est en train de souper avec notre famille, on passe en revue les tâches à accomplir le lendemain.» On reste donc alerte: dès qu'une pensée nous éloigne de ce qu'on est en train de faire, on se dit qu'on y pensera plus tard et on revient au moment présent.
La technologie nous aide, mais elle peut aussi être envahissante! «On peut désactiver le signal nous indiquant qu'on a reçu un nouveau courriel, suggère René-Louis Comtois. Et on peut, quand c'est possible, s'accorder quelques heures par jour à ne pas répondre au téléphone.» En dehors du bureau, on s'autorise à fermer notre cellulaire lorsqu'on pratique un loisir ou qu'on est avec nos amis, et on se permet ne pas lire nos courriels pendant la fin de semaine. Bref, on se débranche aussi souvent que possible!
Notre vie a pris un rythme effréné? On peut chercher des moyens de ralentir un peu. Au travail, on pourra déléguer lorsque c'est possible, s'accorder une pause d'au moins 15 minutes pendant la journée ou encore réduire les heures supplémentaires si on a tendance à les accumuler. On sera ainsi plus reposée, moins stressée et, donc, plus productive lorsqu'on devra l'être. «Il est également important de prendre du temps pour soi», insiste le psychologue Marc Vachon.
Pour certaines, cumuler plusieurs activités jusqu'à s'en étourdir peut signifier une certaine peur du vide. «Plusieurs personnes ne se définissent que par leur travail et leurs nombreuses occupations, dit Marie-Pier Charron. Or, il est important de reprendre contact avec soi au-delà des rôles qu'on endosse.» Comment? Une façon serait simplement de se rappeler ce qu'on aimait faire: danser, dessiner, jouer avec le chien, etc. Dans L'Éloge de la lenteur, le journaliste Carl Honoré, qui admet avoir carburé à la vitesse dépendant des années, recommande des activités comme la méditation, le yoga et la marche. «Voyager à pied peut aussi nous pousser à la méditation et favoriser un mode de pensées calmes (...) La marche peut même apaiser notre tendance à aller toujours plus vite.»
Pour aller plus loin