Psychologie
Être végane dans un monde omnivore
Photographe : Marie-Eve Tremblay / Colagene.com
Manger à contre-courant…C'est comme ça qu'on se sent quand on est végane dans un monde omnivore. Comment vivre nos différences dans la tolérance et le respect mutuel?
Pendant longtemps, j'ai été une végétarienne discrète, mettant de côté les morceaux de viande sans me faire remarquer. Et je gardais mon calme lorsqu'on me posait la question classique: «Et si tu étais sur une île déserte, en mangerais-tu, de la viande?» À cela, je répondais poliment: «Euh, oui... Pour ma survie, je mangerais même un cadavre humain!»
Mais un jour, j'ai décidé d'assumer pleinement les valeurs qui me sont chères en faisant le choix de ne consommer aucun produit animal: je suis devenue végane. Depuis le jour de mon «coming out», je me sens extrêmement bien. Il y a cependant un hic: je continue de vivre dans une société non végane*. Je suis donc presque quotidiennement contrainte de défendre mes choix.
Il est difficile de chiffrer précisément la proportion de végétariens(qui ne consomment aucune viande) et de végétaliens (qui excluent tout produit animal de leur alimentation), notamment parce que certains s'affirment végés mais ne le sont pas à 100%. Néanmoins, certaines données l'estiment à environ 3 % de la population canadienne: une minorité, donc. Et il n'est jamais facile de sortir du lot. Essayez d'expliquer dans un party que vous avez choisi de ne pas boire d'alcool, lorsque vous n'êtes ni malade, ni enceinte ni une ex-alcoolique! Il faudra vous armer de patience. La viande, comme l'alcool, fait partie de notre culture, et quand on n'en consomme pas, on dérange.
«Les végés rejettent la norme dominante. Il y a des similarités avec les luttes féministes. Celles-ci ont été marginalisées, ridiculisées et ignorées parce qu'elles ébranlent les fondements les plus profonds de nos sociétés. De la même façon, toute tentative de remettre en question la consommation de viande est perçue comme une attaque aux traditions, à l'ordre établi. On n'aime pas ça, changer!» affirme Élise Désaulniers, référence en matière de véganisme au Québec et auteure du livre Le défi végane en 21 jours .
Surtout que pendant longtemps, les végés étaient plutôt discrets, par peur du jugement des autres. Aujourd'hui, certains n'hésitent pas à clamer haut et fort qu'ils ont dit adieu au bon vieux steak! Il existe même une Veggie Pride au pays du foie gras et du cassoulet... C'est pour dire! Finie, l'image du grano en sarouel. On retrouve maintenant des végés dans toutes les sphères de la société: les travailleurs de la construction, les intellectuels, les médecins, les sportifs de haut niveau, les jeunes, les vieux...
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On peut décider de devenir végétalien pour des raisons d'éthique animale, de santé ou environnementales. Quelle que soit la cause, choisir le végétalisme, c'est être cohérent avec ses valeurs. En ce sens, ce choix est souvent une source de fierté qu'on a envie de partager, je l'avoue, et je vois que ça agace parfois. Certains l'interprètent comme de l'arrogance, nous voyant comme ces premiers de classe qui brandissent leur copie dans la cour d'école. Ils vont jusqu'à nous conférer le monopole de la vertu. «C'est comme s'il fallait que toutes nos habitudes de consommation soient irréprochables», me confie Amélie. Un jour, l'un de ses amis lui a lancé: «Ta télé, elle a sûrement été assemblée par des enfants!» Depuis, elle évite le sujet avec lui. Mais ce n'est pas nécessairement le cas avec le reste de son entourage: «Mon chum n'est pas végétalien, mais il m'encourage et il est fier de dire aux autres qu'on mange végé à la maison», dit-elle, reconnaissante.
La plupart de mes amis ne sont pas végétaliens, et mon souhait n'est pas de me couper du monde, mais bien de réussir à vivre dans le respect mutuel. Certaines réactions, comme la montée de lait de mon esthéticienne sur les véganes qui s'affichent trop, me font bondir. Mais je suis aussi parfois agréablement surprise, comme cette fois où, sans que je n'aie rien demandé, tous les invités d'un party de Noël ont décidé de relever le défi de cuisiner des plats sans produit animal.
Pour Élise Desaulniers, la clé est de se mettre à la place de l'autre. Selon elle, plusieurs mangeurs de viande connaissent les avantages d'un régime végétalien mais n'ont pas envie de l'adopter en tout temps. En critiquant les végés ou en cherchant des failles à leur mode de vie, ils cherchent à se conforter dans leur décision. «Depuis que j'ai compris ça, je me donne le droit de ne pas argumenter et de mettre fin à la conversation. Parlons d'autre chose, comme de ce qui nous unit», dit-elle. Finalement, manger du tofu ou du poulet est secondaire, si le désir d'être ensemble est là.
Mon souhait? Que mes choix ne soient pas nécessairement commentés à chaque repas. En contrepartie, je promets de ne pas partager des messages provéganes chaque jour sur mon mur Facebook. Mais comptez sur moi pour vous faire découvrir les meilleurs biscuits véganes du monde, histoire de vous montrer qu'un monde sans produit animal est possible et délicieux!
Julia Haurio est adjointe aux contenus reportages pour Coup de Pouce, un magazine omnivore. Elle rêve secrètement de se réveiller un jour dans un monde entièrement végane.
*Un végane exclut tout produit animal de son alimentation (comme les végétaliens), et de sa consommation en général. Il n'achète donc pas de cuir, de laine ou de produits testés sur les animaux.