Psychologie
Être heureux, ça s'apprend!
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Même si la recette n'est pas unique, de plus en plus d'études parviennent à isoler des caractéristiques communes aux gens heureux. Alors, qu'est-ce que ça prend?
Les ingrédients de base
Une pincée de résilience
Clarifions ce point d'entrée de jeu: être heureux ne veut pas dire nager perpétuellement dans la béatitude. «Même chez les gens heureux, les moments de tristesse sont inévitables», explique Robert Blondin, ancien réalisateur, conférencier et auteur qui a sillonné la planète dans le but de documenter l'aptitude au bonheur à travers les cultures. «On perd tous des êtres chers, on affronte tous des épreuves, on vit tous des moments de découragement. Être heureux signifie qu'on possède ses éléments de bonheur assez bien pour retomber sur ses pieds quand le malheur passe.»
Des gènes heureux
Le bonheur, c'est comme du sucre à la crème. Quand tu en veux, tu t'en fais, dit l'adage. Seulement, certains semblent moins doués que d'autres pour la cuisine! Sommes-nous tous également avantagés dans la course au bonheur? «On estime que 50 % de notre propension au bonheur est attribuable à notre bagage génétique, répond Lucie Mandeville, psychologue et professeure de psychologie à l'Université de Sherbrooke. Autrement dit, à la naissance, certains possèdent déjà les traits de caractère et les caractéristiques neurophysiologiques nécessaires au bonheur. Un autre 10 % relève de facteurs sociodémographiques, comme vivre dans un pays riche plutôt que dans un endroit pauvre et en proie à la guerre. Enfin, et c'est la bonne nouvelle, les 40 % restants résultent des choix que nous faisons. Nous avons donc un certain pouvoir sur le fait d'être heureux ou non.»
Un optimisme réaliste
Selon de nombreux chercheurs, l'optimisme est une des caractéristiques qui ont le plus d'impact sur le bonheur: les optimistes réussissent mieux dans tous les domaines de leur vie, gagnent plus d'argent, sont en meilleure santé et vivent plus longtemps que les pessimistes. Cela dit, l'optimisme n'a rien à voir avec l'insouciance ou les lunettes roses de celle qui croit que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Simplement, alors que la pessimiste se croit à la merci de tous les mauvais coups que la vie lui réserve, l'optimiste est convaincue que l'avenir lui réserve de belles choses et qu'elle est en mesure d'exercer un certain pouvoir sur ce qui lui arrive. Et ça s'apprend, l'optimisme? «À défaut de pouvoir changer les événements, on peut certainement s'entraîner à modifier le regard qu'on porte sur eux, répond Lucie Mandeville. Cela nous redonne un certain pouvoir sur notre existence.»
La quête de sens
Entre autres facteurs, le fait de donner un sens à sa vie ou à ses actions tient un rôle prépondérant dans le bien-être. Selon le psychologue Jacques Lafleur, ce fameux sens de la vie englobe plusieurs variables: une bonne estime de soi (reconnaître qu'on a une valeur malgré nos défauts et nos erreurs, avoir de la considération pour soi-même...); des projets qui nous tiennent à coeur pour le plaisir qu'on en retire (le cours de baladi avec les copines); des gestes que l'on pose parce qu'on croit en leur importance (notre engagement bénévole ou notre cours d'anglais) et des réussites concrètes qui nous procurent un sentiment d'accomplissement personnel (la joie de voir nos enfants bien grandir). Si tout cela nous semble étranger, il y a peut-être lieu de revoir nos priorités.
L'ouverture au changement
Dans les milliers d'entrevues menées et analysées par Robert Blondin et son équipe il y a une trentaine d'années, une caractéristique ressortait fortement chez les gens heureux: la disponibilité au changement. «Des recherches en psychiatrie ont montré que les familles malheureuses se caractérisent par un blocage à tout changement. Ces familles luttaient constamment contre l'angoisse de changer la date ou l'endroit des vacances, etc. Mais qu'est-ce qui nous retient de changer? La peur de l'inconnu, bien souvent. Nous voudrions bien changer, mais avec l'assurance formelle de ne pas regretter notre geste... Mais n'oublions pas que le changement est une manifestation d'intelligence, poursuit Robert Blondin. Ce qui nous semble un changement inquiétant n'est souvent qu'un rendez-vous avec soi-même. Un proverbe polynésien dit: L'arbre a des racines, l'homme a des jambes. Ce n'est pas sans raison profonde.»
Des relations significatives
Les gens heureux entretiennent des relations de qualité. «On remarque qu'ils passent moins de temps seuls que les autres et qu'ils savent s'entourer de bonnes personnes qui leur font du bien, souligne Lucie Mandeville. C'est important que notre entourage permette un partage de l'intimité, des rires et une façon de se relever des mauvais coups. On parle ici de cultiver des relations profondes et intimes, pas de se transformer en bête sociale ou de multiplier les liens pour promouvoir sa carrière. Cela dit, les moments de solitude ne sont pas mauvais si on s'y sent confortable. Il faut un bon équilibre entre une vie solitaire heureuse et saine et une vie sociale.»
Les petits extras qui font la différence
Hop! On se magne!
Sortir pour une marche rapide ou un petit jogging est probablement la dernière chose dont on a envie quand on est fatiguée ou déprimée. Et pourtant, de plus en plus d'études établissent une corrélation entre l'exercice et l'humeur. La pratique quotidienne d'une activité physique réduit la fatigue et le stress, augmente la vitalité et améliore l'humeur. Chez les personnes souffrant de dépression légère ou modérée, l'exercice se révèle souvent plus efficace que la prise d'antidépresseurs. Allez hop, debout!
On sourit... même quand on baboune
On broie du noir? Soit, mais sourions quand même, car, si nos émotions engendrent sourires ou froncements de sourcils, l'inverse est aussi vrai. Des chercheurs de l'université d'Uppsala en Suède ont découvert que nos expressions faciales, via les muscles qu'elles sollicitent, stimulent les mêmes neurones que lorsqu'une émotion est réellement vécue. Du coup, cela donne naissance à l'émotion en question. «Il y a un exercice au cours duquel je demande aux gens de mettre un doigt entre leurs dents, sans forcer, de sorte à remonter les commissures des lèvres et à faire saillir les pommettes, comme lorsqu'on sourit, raconte Lucie Mandeville. Ce geste simple, même dépourvu d'intention ou d'émotion, active la zone du cerveau liée au sourire, laquelle libère des hormones associées au bien-être.» Et comme un sourire, même forcé, en attire un autre, cela risque, de toute façon, de nous mettre de bonne humeur!
Un plaisir chaque jour...
Selon les chercheurs Edward Diener et Martin Seligman, la multiplication des émotions positives induit un cercle vertueux: celles-ci nous rendent plus créatifs et efficaces, et, par conséquent, plus confiants en nous-mêmes. Les travaux de la psychologue américaine Barbara Fredrickson vont aussi en ce sens: les émotions positives suscitées par les petites joies du quotidien nous rendent plus réceptifs aux possibilités qui s'offrent à nous. Alors, plus question de se priver de cinq minutes de plus au lit le matin!
Raison et passion
Il semblerait que plus il y a de connexions entre nos neurones «passion» (les cellules du cerveau liées à la créativité et à l'intuition) et nos neurones «raison» (celles liées au raisonnement et aux mathématiques), plus on serait heureux. Bonne nouvelle: la pratique de certaines activités peut accroître ce type de connexion. «On a découvert que l'apprentissage de la musique était ce qui favorisait le plus la création de ces connexions. Mais on peut également la favoriser en développant notre côté le plus faible. Si on est plus porté vers les maths ou le raisonnement, on a tout intérêt à se mettre à la musique ou à la peinture. Inversement, si on est artiste, lançons-nous dans la création de fichiers informatiques pour gérer le budget familial. Mais attention: il ne suffit pas d'être réceptif, de lire sur le sujet ou d'aller au concert: il faut véritablement pratiquer l'activité. C'est le "faire" qui est capital», insiste Robert Blondin.
Les fausses pistes
Être riche
On dit souvent que l'argent fait le bonheur. Faux! «Le bonheur est intrinsèque, explique le psychologue Jacques Lafleur. À moins d'être plongé dans une situation extrême (grande précarité, par exemple), les facteurs extérieurs comme l'argent ou les possessions matérielles n'influent qu'à hauteur de 10 % ou 15 % sur notre bonheur.»
Réussir dans la vie
C'est ce que tout le monde souhaite. Mais que faut-il entendre par «réussir»? Un poste de cadre, une belle maison et une voiture de l'année? Le psychologue Denis Doucet nous met en garde contre l'idée reçue que la réussite tient dans notre capacité à combler nos envies. «Notre société de (sur)consommation nous a insidieusement menés à confondre nos besoins fondamentaux et nos envies. Par exemple, on a tous besoin d'être aimés. Or, pour y arriver, certains optent pour la réussite ou la notoriété, deux valeurs qui ne sont pas des besoins fondamentaux, et cherchent à combler leur inconfort émotionnel par l'acquisition de biens matériels. On change la déco du salon et hop! on se sent mieux pendant 30 ou 40 jours. Puis, on rechute», déplore le psychologue. D'où l'importance d'apprendre à départager nos besoins de nos envies. «Une envie a souvent un caractère éphémère, indique M. Doucet. À l'inverse, un besoin que l'on comble générera une satisfaction profonde, durable et apaisante.»
Une belle sécurité
Se sentir en sécurité est certes l'un des besoins importants que l'humain cherche, avec raison, à combler. Mais trop, c'est comme pas assez, prévient Jacques Lafleur: «Le fait de se retrancher dans sa sécurité et son confort peut mener à une souffrance pernicieuse en bloquant notre développement: on semble avoir tout pour être heureux, mais on ne l'est pas parce qu'on se sent dans une prison dorée. On préfère poursuivre sa vie dans une voie douloureuse ou ennuyeuse afin de conserver ce qu'on a acquis. Bien entendu, cela va à l'encontre du bonheur, mais il n'y a pas, non plus, de garantie à l'effet qu'un changement amènerait le bonheur. Il y a un risque. C'est notamment ici que les gens heureux se distinguent des autres: ils prendront ce risque, ils trouveront du bonheur à rebâtir.»
Une dernière réflexion
Devant les milliers d'études - et les millions de bouquins de croissance personnelle - qui prônent les attitudes et les comportements à adopter pour être heureux, Robert Blondin prodigue un dernier conseil: prendre ça cool. «Je me suis aperçu avec le temps que "chercher le bonheur" est un bien grand mot. Il faudrait plutôt dire "être attentif au bonheur". C'est plus réaliste. Même si je m'y consacre depuis plusieurs années, je ne passe pas mon temps à chercher et à tout observer à la loupe. Je laisse les choses m'arriver et j'en tire des conclusions avec ce que j'ai appris.» Collectivement, il semble également qu'on ait un bout de chemin à faire. «En Occident, on nous apprend à être heureux d'une très mauvaise façon. La société valorise un bonheur modelé par des méthodes, des exigences, des obligations. On doit être "parfaitement" heureux. Le bonheur se pratique comme un sport dans lequel on doit performer. Voyons! C'est le contraire: c'est en lâchant prise qu'on devient heureux!» Après tout, rien ne sert de courir, il faut sourire à point.
À quoi ça sert, le bonheur?
Entre les drames qui secouent l'humanité, la course au bonheur n'est-elle pas, comment dire, un brin futile? À quoi cela sert-il d'être heureux? «Les plus récentes découvertes montrent que ça nous amène à être plus en santé et à vivre plus longtemps, souligne Lucie Mandeville. Quand on rit, on voit s'activer certaines zones du cerveau associées aux hormones qui renforcent le système immunitaire. La médecine s'intéresse de plus en plus à ce phénomène. Des chirurgiens ont constaté que le bonheur avait des effets tangibles sur le corps.»
La psychologue Lucie Mandeville nous donne ses trucs pour embrasser le bonheur!