Psychologie
Comment gérer son anxiété
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L’anxiété, on en éprouve toutes, mais que faire quand elle devient handicapante? Témoignages et conseils.
«J’étais en direct et j’ai soudainement senti que j’allais m’évanouir. Je cherchais mon souffle, j’avais de la difficulté à respirer. Je pensais que j’avais un malaise vagal alors qu’en réalité j’étais en train de faire une crise de panique», raconte Pierre Craig, journaliste reconnu, notamment pour les 13 années passées à animer l’émission La facture. Cette première crise a eu lieu en 2001, alors qu’il couvrait les événements du World Trade Center. Le journaliste n’a toutefois compris ce qu’il avait vécu que quelques années plus tard, lorsqu’une seconde crise l’a pris par surprise tandis qu’il était en train de parler à la radio. «J’ai toujours été de nature anxieuse, dit-il. Je ne sais pas exactement à quoi est due cette anxiété, sans doute est-elle liée au regard, au jugement que les autres peuvent porter sur moi. Mais je n’aurais jamais pensé que ça aurait pu dégénérer ainsi. À la suite de cette deuxième crise, j’ai consulté un spécialiste et entrepris une thérapie.»
«On estime qu’environ 50% des gens atteints d’un problème de santé mentale, comme les troubles anxieux, ne vont pas consulter, dit Jean-Rémy Provost, directeur de Revivre, organisme de soutien aux personnes souffrant de troubles anxieux, de dépression et de bipolarité. Soit parce qu’ils ignorent qu’ils ont un problème de cet ordre, soit parce qu’ils croient qu’il n’y a pas d’issue, qu’ils doivent vivre avec ça.» Mais à quel moment l’anxiété «normale» devient-elle un trouble pathologique? «On peut se fier à deux choses, dit Camillo Zacchia, psychologue spécialisé en troubles anxieux et vice-président de Phobies-Zéro, organisme communautaire de soutien aux personnes qui en souffrent. L’anxiété nous cause beaucoup de souffrance, ou elle nous empêche de fonctionner.»
Reconnaître qu’on est peut-être atteint d’un trouble anxieux est le premier pas vers un meilleur contrôle de son état. Car si on ne peut se débarrasser complètement d’un trouble anxieux, on peut apprendre, par différentes méthodes, à en diminuer tant l’intensité que la fréquence. La psychothérapie est l’un de ses moyens. Et, bien qu’on estime que seules 20% des personnes atteintes d’un trouble anxieux ou de l’humeur y ont recours, elle s’avère efficace pour plusieurs.
«La psychothérapie m’a aidé. Et la chose essentielle que j’y ai apprise, c’est que lorsqu’on sent l’anxiété monter et qu’on essaie de lutter contre ça, c’est pire. On doit apprendre à lâcher prise, à ne pas se braquer.» Pierre Craig
Comme plusieurs autres victimes de troubles anxieux, le journaliste a recours à des exercices de respiration et à la méditation pour se détendre. «Je sais que je ne suis pas à l’abri d’une autre attaque de panique, dit-il. Certaines situations, comme le fait de devoir parler en public, peuvent être des déclencheurs. Quand je crois que cela peut se produire, je fais des exercices de respiration et j’arrive à me contrôler.» Récemment, Pierre Craig s’est joint à l’organisme Revivre comme porte-parole, avec Stefie Shock et Véronique Bannon. «Je l’ai fait parce qu’en parler fait du bien. C’est libérateur. Et aussi parce que j’espère pouvoir aider ceux qui souffrent en silence.»
Pour Mélanie, faire du sport, quatre fois par semaine, est un bon antidote à l’anxiété. «Lorsque je n’en fais pas, une brèche risque de s’ouvrir et de laisser entrer les idées noires», illustre-t-elle. Avant qu’elle ait en main tous les outils qui lui permettent de gérer son anxiété, Mélanie admet s’être servie de l’alcool pour fuir ce mal qui la faisait tant souffrir. Aujourd’hui, en plus du sport et d’autres moyens comme la méditation, Mélanie prend des antidépresseurs. Elle n’est pas la seule: 93% des personnes aux prises avec des troubles anxieux et de l’humeur en prennent ou en ont déjà pris. «Les antidépresseurs peuvent en effet mettre les gens dans un état qui facilite la gestion de leur anxiété, dit Émilie de Tournay-Jetté, psychologue au Programme des troubles anxieux et de l’humeur à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal. Certains médecins prescrivent aussi des anxiolytiques, comme l’Ativan ou le Xanax, mais ces produits entraînent une forte dépendance. Une chose est sûre, seule, la médication ne permet pas d’apprendre à gérer l’anxiété. Elle doit être combinée à d’autres moyens, comme la psychothérapie, des techniques de relaxation, etc.»
Qu’on parle de respiration, de méditation, de sport, de médicament, de visualisation ou de psychothérapie, il reste que la démarche la plus efficace pour atteindre un état de mieux-être est celle de l’affrontement.
«Lorsque quelque chose risque de nous rendre anxieux, c’est un réflexe bien naturel de vouloir l’éviter. Sauf que le fait d’éviter continuellement une situation anxiogène renforce bien souvent notre anxiété.» Camillo Zacchia.
Il s’agit toutefois d’une étape — que les spécialistes nomment l’exposition — où il est souvent essentiel d’être accompagné si notre anxiété est vraiment trop forte. Par exemple, si le métro nous donne envie de mourir lorsqu’on ne fait que passer devant, on n’ira pas s’engouffrer à l’intérieur sans avoir franchi les étapes nécessaires.
Marie-Hélène combine, entre autres, psychothérapie, antidépresseurs et méditation pleine conscience. Peu à peu, elle s’est mise à marcher un peu plus sûrement. Et celle qui a eu un jour besoin de lire les petits messages d’encouragement qu’elle s’écrivait à elle-même pour se rendre d’un coin de rue à l’autre est capable aujourd’hui de prendre l’avion, seule, de visiter des pays étrangers, seule, et même de faire le chemin de Compostelle.
Témoignages
«En 2012, j’ai dû quitter le corps policier, car j’ai fait une dépression due à l’anxiété ressentie à mon travail. Par la suite, on m’a diagnostiqué un trouble d’anxiété généralisée ainsi qu’un déficit d’attention avec hyperactivité. Psychothérapie, méditation, stretching… Autant de moyens qui m’aident à gérer l’anxiété. La souffrance que j’ai ressentie m’a amené à vouloir aider les autres, c’est pourquoi je suis retourné à l’université en travail social. J’ai mis sur pied un groupe d’entraide pour les personnes aux prises avec l’anxiété. Bref, j’ai transformé ma situation en quelque chose de positif. Il m’arrive encore de me sentir anxieux, mais je lâche prise. Au lieu de me battre, je me permets d’être anxieux, ce qui paradoxalement fait en sorte que je le suis moins. Je me sens plein de gratitude pour cette condition qui me permet aujourd’hui de donner un sens à ma vie.» — Michael, 31 ans
«L’anxiété a toujours été là, en dormance. Mais il y a quelques années, elle s’est manifestée sous la forme d’une phobie des microbes. J’ai toujours eu en horreur la gastro, et quand ma fille l’a attrapée à la garderie, l’anxiété a pris le dessus, ce qui a fait que j’ai développé un TOC: l’obsession de tout désinfecter. Je nettoyais tout intensément. J’avais des plaies vives sur les mains à force de les laver. Je pleurais, je n’arrivais plus à respirer normalement, j’étais prise de vertiges, de nausées, de diarrhées. Cet épisode a duré environ une semaine, et ma vie n’a plus été pareille par la suite. Par exemple, toucher de la nourriture avec mes mains nues ou aller dans une salle de bains publique me rend mal. Je sais que c’est irrationnel, mais quand l’anxiété culmine, mon corps me lâche, je ne contrôle plus rien. Mon coeur s’emballe, ma respiration se coupe. J’ai peur de mourir. J’ai peur de devenir folle. Je commence toutefois à entrevoir de la lumière. Je viens d’entreprendre une thérapie qui me laisse croire que j’arriverai à me sentir mieux, un jour.» — Emma, 31 ans
«Je souffre d’anxiété sociale depuis toujours. Je me rappelle qu’à 4-5 ans, j’étais terrorisée par l’idée de devoir aller à la prématernelle. J’avais de la difficulté à me faire des amis. À mon entrée au cégep, ç’a été pire que pire et j’ai pleuré pendant les deux semaines précédant la rentrée. C’est à ce moment que j’ai décidé d’aller voir un psychologue. Deux ans plus tard, j’ai commencé à prendre des antidépresseurs car j’étais à bout. Aujourd’hui? Je vis encore de l’anxiété, mais je l’accepte. Écrire m’aide beaucoup. Pas nécessairement mon journal, mais des histoires, tout ce qui me passe par la tête. Écouter de la musique et faire des techniques de respiration aussi. Surtout, je vois un côté positif à tout ça. Par exemple, avant j’étais terrorisée à l’idée de prendre l’autobus alors que maintenant j’en suis capable. C’est extrêmement gratifiant. Je vis des petites victoires là où d’autres ne vivent que quelque chose de bien banal!» — Olivia, 23 ans
«J’ai toujours été anxieuse, mais c’est réellement devenu handicapant dans la vingtaine. À la suite d’une infidélité de mon chum d’alors, l’anxiété a pris le dessus. Durant les pics, j’avais des étourdissements, des nausées, de la diarrhée et je faisais des crises de larmes. J’ai commencé une psychothérapie, que je suis toujours d’ailleurs. J’ai aussi pris des anxiolytiques, mais j’ai rapidement développé une dépendance et j’ai dû arrêter. Depuis quelques mois, je prends des antidépresseurs, et ça a changé ma vie. C’est le jour et la nuit. J’ai enfin le sentiment de redevenir moi-même.» — Elizabeth, 29 ans
«On m’a diagnostiqué il y a un an un trouble d’anxiété généralisée. Cette anxiété surgit à l’idée qu’un proche ou moi-même tombons malade ou mourions. À l’idée qu’on ne m’aime pas, qu’on me rejette ou qu’on juge mon travail inadéquat. Entre autres! Mais je vois une psychologue, maintenant, et je suis en train d’apprendre à gérer tout ça. Et je suis de plus en plus capable de voir le bon côté des choses. Par exemple, ma peur de déplaire m’amène à être attentive aux autres et à l’écoute. Ma crainte de voir mon travail jugé fait en sorte que je suis très professionnelle et organisée. Bref, l’anxiété fait partie de moi et fait de moi ce que je suis. Et ce que je suis a aussi de très bons côtés!» — Véronique, 32 ans
Plus d'anxiété?
Si on parle de plus en plus des troubles anxieux, faut-il conclure qu’on est plus nombreux à en souffrir? Personne ne peut en être tout à fait sûr. «C’est en effet difficile à dire, dit Camillo Zacchia. Assurément, on en parle plus, et ils sont mieux diagnostiqués. Cela dit, peut-être que l’ouverture qu’on a maintenant sur le monde fait en sorte d’accroître les menaces potentielles.» Émilie de Tournay-Jetté pense quant à elle que les enfants et les jeunes font sans doute davantage face à l’anxiété de performance, en raison notamment des valeurs de société qui prônent l’excellence.