Psychologie
Bien exprimer sa colère
Bien exprimer sa colère Photographe : iStock
La colère est une émotion qui dérange, surtout lorsqu'elle touche les femmes. Mais bien canalisée, elle peut être positive. Parce que oui, péter les plombs à l'occasion, c'est normal!
«Je n'ai pas appris à bien gérer la colère, dit Anne-Marie, 39 ans. Chaque fois que j'en éprouve, je me sens vraiment malhabile. En fait, je n'ai même pas appris à reconnaître cette émotion. Petite, quand je me fâchais, on m'envoyait dans ma chambre, et ça finissait là. Je ne blâme pas mes parents, eux-mêmes ne l'avaient pas appris. Mais maintenant que je suis mère, je réalise à quel point c'est important d'enseigner à nos enfants comment gérer leur colère.»
Bien qu'elle soit tout à fait normale et souvent légitime, la colère est une émotion avec laquelle plusieurs ont du mal à composer. «Elle survient quand on est bousculé dans nos valeurs, nos croyances et nos convictions», dit Marc Pistorio, psychologue et auteur de La sagesse de nos colères. La colère, c'est un peu comme une arme pour se défendre, ou pour attaquer, parfois... Et cette émotion se déclenche d'abord dans notre corps: les joues s'empourprent, la tension artérielle augmente, le rythme cardiaque s'accélère, les muscles se contractent... «On doit être attentif à ces signaux, insiste Marc Pistorio, et quand ils se manifestent, ce n'est plus le moment de réagir, car on ne voit plus clair. On voit rouge!» De fait, les recherches ont montré que, lorsque surgit la colère, nos fonctions intellectuelles supérieures se mettent en veille. «En somme, on perd momentanément l'accès à notre raison et à notre logique», confirme le spécialiste.
Une émotion à deux tranchants
Lorsqu'elle est tournée vers de justes causes, la colère devient pourtant une émotion admirée, voire encouragée. «Quand elle est utilisée pour défendre une injustice ou une cause humaine et sociale, quand elle fait valoir l'authenticité et l'intégrité d'une personne, elle est perçue de façon positive», rappelle le sociologue Éric Gagnon, auteur du livre Éclats: figures de la colère, dans lequel il dresse un portrait des différentes représentations de la colère à travers les époques en Occident.
Mais si elle peut susciter l'admiration, la colère (surtout si elle n'est pas contrôlée) peut aussi provoquer la peur, la soumission, la frustration et même une réaction colérique encore plus forte... La façon dont on y réagit dépend de plusieurs facteurs, notamment de notre personnalité.
«Ce qui gêne, avec la colère, ce sont ses débordements et la violence qui y est associée», note Éric Gagnon, qui ajoute qu'à toutes les époques, les peuples ont dû réguler ces excès émotifs; sans cela, vivre en société serait impossible. «Quand elle est trop intempestive, qu'elle soit légitime ou non, la colère n'est généralement pas bien accueillie», affirme Marc Pistorio. Pour le psychologue, la colère n'est pas que négative. Elle est comme un signal d'alarme grâce auquel on peut réagir à une situation pour ensuite la régler, plutôt que pour l'envenimer, ce qui arrive malheureusement trop souvent. Selon lui, quand on sait maîtriser cette émotion, il peut en résulter des choses très positives. Mais on ne peut pas y arriver en toutes circonstances. «C'est tout à fait normal de péter les plombs de temps en temps!»
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Deux sexes, deux mesures?
«Moi, j'ai peur de la colère qui m'habite, dit Katie, 34 ans. Quand elle surgit, comme un tsunami plus fort que tout, j'ai l'impression que je ne pourrai jamais la maîtriser. Je pique des crises à mes enfants, à mon conjoint, à mes collègues... Et après, je me sens mal, forcément.» Que l'on soit prompte à réagir ou non, la colère laisse souvent dans son sillage un sentiment de culpabilité. Surtout chez les femmes. «Les hommes et les femmes ne perçoivent pas la colère de la même façon, estime la psychologue Anne Campbell. Les femmes l'associeront davantage à une perte de contrôle de soi, d'où leur sentiment de culpabilité, alors que les hommes la voient davantage comme une façon de s'affirmer et d'imposer le respect.» De même, les deux sexes n'y réagissent pas nécessairement de la même façon: «C'est prouvé, les hommes en viennent plus vite à l'agression physique, dit Anne Campbell. Les femmes, elles, vont souvent pleurer.» Et alors que certains voient dans les pleurs une forme de manipulation, cette réaction est plutôt une façon pacifique de se libérer des tensions entraînées par la colère.
Une question de culture et d'éducation
Ainsi, la façon dont les femmes voient et vivent encore la colère est en quelque sorte le legs de notre société. Il n'y a pas si longtemps, les femmes étaient éduquées de manière à se montrer soumises, gentilles, polies et douces. Lorsqu'une femme manifeste de la colère, cela va totalement à l'encontre de ce stéréotype, surtout lorsqu'elle le fait publiquement. En 2006, le président du Comité national républicain, aux États-Unis, avait affirmé à la télévision que Hillary Clinton était «trop en colère pour être élue présidente ». L'automne dernier, à l'Assemblée nationale, on a jugé erratique la réaction de la ministre Lise Thériault qui, en colère et troublée, avait osé verser des larmes lors de la conférence de presse sur la crise autochtone de Val-d'Or.
De fait, les femmes qui se mettent en colère sur leur lieu de travail perdent souvent bien des points, alors que les hommes, eux, gagnent généralement en estime auprès de leurs pairs. Selon une étude de l'Arizona State University parue en 2015, la colère des femmes, quelle que soit la façon dont elle s'exprime, serait moins prise au sérieux que celle des hommes. L'une des raisons avancées: on a tendance à penser que la colère des hommes est plus situationnelle que celle des femmes, vue comme plus «intérieure» et relevant donc d'une instabilité émotionnelle. «Je suis bien d'accord! lance Katie. Oui, j'ai une nature un peu bouillante, tout comme certains de mes collègues masculins, d'ailleurs. Mais je vois bien qu'aux yeux de mon patron, ce n'est pas perçu de la même façon et que je suis un peu catégorisée comme l'hystérique du bureau!»
Marc Pistorio pense que cette perception est en train de changer. «En fait, quand la colère est mal exprimée et qu'elle cause du mal, ce n'est pas accepté, qu'elle vienne d'un homme ou d'une femme.»
Se disputer pour mieux s'aimer
Qu'entend-on au juste par une colère «bien exprimée »? Alors qu'elle avait tendance à la refouler, «par peur de ne plus être aimée», Jacinthe, 46 ans, a appris peu à peu à l'exprimer grâce à la relation de confiance que son conjoint et elle ont bâtie au fil des années. «Avant, quand j'étais fâchée, je gardais ça pour moi. J'étais frustrée et je boudais en silence ou je pleurais, enfermée dans ma chambre.» Lorsqu'elle est réprimée, la colère a pour effet de nous stresser, de nous rendre triste et de créer une distance avec les gens concernés. À l'inverse, l'expression des émotions négatives dans un couple peut contribuer à forger les liens; elle peut inciter les conjoints à résoudre les conflits et ainsi les rapprocher, à condition, bien sûr, que ces colères ne soient pas injustifiées et répétées.
C'est la conclusion qu'en a tirée Jacinthe. «Quand j'ai réalisé que dans ces situations, je créais une distance entre mon amoureux et moi, j'ai commencé à m'ouvrir. Au début, je m'y prenais mal. Je criais et je réagissais négativement quand mon conjoint se fâchait à son tour, dit-elle. J'ai appris que je devais laisser passer un moment, le temps de me calmer. Je peux ensuite revenir et exprimer ce que je ressens de façon plus posée.» Il est d'autant plus important pour nous, les femmes, d'exprimer notre colère parce que, si on ne le fait pas, on a une tendance naturelle à ruminer longtemps. «Avec pour résultat qu'on va alimenter cette colère et que, au lieu de diminuer, elle va s'intensifier », explique Anne Campbell. Une description dans laquelle Anne-Marie se reconnaît tout à fait. «Parce que je ne sais pas toujours comment l'extérioriser, je me chicane "dans ma tête" avec la personne! Et ça peut durer longtemps.»
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L'art de bien se fâcher
Heureusement, exprimer ses émotions est un exercice qui s'apprend. On s'y prend mal? On ne sait pas s'arrêter? On s'enfarge dans ses mots ou on ne trouve pas les bons? Pas de panique: plus on s'exerce, plus on s'améliore. «On prend d'abord le temps qu'il faut pour se calmer, conseille Marc Pistorio. Puis on dit ce qui ne va pas, ce qui nous dérange. Et si on explose, on ne laisse pas la situation s'envenimer; on reviendra à la charge plus tard, une fois qu'on se sera calmé.»
Il faut aussi être capable d'évaluer parallèlement tous les facteurs ayant pu exacerber notre colère et nous rendre plus sensible: du stress au travail, de la fatigue, de l'inquiétude, etc. «Il faut parfois gratter un peu au-delà de l'élément déclencheur de notre colère. On peut s'énerver contre notre plus jeune, qui n'écoute pas, ou contre le conducteur qui vient de nous couper en voiture, mais s'agit-il vraiment de la raison qui explique pourquoi on est en colère?», dit Marc Pistorio. On a donc avantage à se demander si autre chose attise nos émotions et fait qu'on a la mèche courte.
«Je pense aussi qu'on doit arrêter de se taper sur la tête quand on est en colère, suggère Katie. On peut plutôt accepter cette émotion et, idéalement, essayer de l'utiliser à bon escient. Bon, à moi maintenant de mettre ne pratique ce sage conseil!»
La colère devient problématique quand:
> elle est disproportionnée par rapport à la situation;
> elle se produit fréquemment, au point de nuire à notre qualité de vie;
> elle est causée par un événement survenu il y a longtemps;
> elle nous amène à user de violence envers nous-même, envers quelqu'un d'autre ou des biens matériels;
> elle nuit à notre travail;
> elle nuit à nos relations avec les gens qu'on aime;
> elle nous rend littéralement malade.
(Source: Canadian Mental Health Association)
Pour aller plus loin
> Exprimer sa colère sans perdre le contrôle, Didier Pleux, Odile Jacob, 2014, 39,95 $
> La sagesse de nos colères: de la colère qui détruit à la colère qui construit, Marc Pistorio, Les Éditions de l'Homme, 2013, 27,95 $
> Tristesse, peur, colère: agir sur ses émotions, Stéphanie Hahusseau, Odile Jacob, 2011, 14,95 $
> Éclats: figures de la colère, Éric Gagnon, Liber, 2011, 16 $