Psychologie
Apprendre à recevoir de l’aide
Photographe : Marie-Eve Tremblay / Colagene.com
Accepter l’aide qu’on nous offre et ce, sans culpabilité, n’est pas si simple. Notre journaliste raconte comment elle y est finalement parvenu.
Quand sophie m’a textée pour me dire qu’elle viendrait garnir mon frigo de repas cuisinés, j’ai figé. D’autant plus qu’elle terminait son message avec autorité: «Tu n’as pas le droit de refuser.» Et vlan! Tout à coup, j’étais mal à l’aise; je me sentais comme un imposteur. Est-ce que je la méritais vraiment, cette aide?
Pas de doute, j’étais dans une situation difficile: un chum d’abord hospitalisé puis convalescent, deux marmots de moins de trois ans et une montagne de contrats. Ça faisait plus d’un mois que je gérais tout en solo. J’étais épuisée, stressée et... dépassée.
Vu mon état lamentable, pourquoi étais-je si embêtée par le soutien que m’offrait Sophie? «Une aide non sollicitée peut signifier à la personne que sa situation est plus grave qu’elle le pensait. Dans ce cas, ça augmente la détresse au lieu de la diminuer», explique Tamarha Pierce, spécialiste des relations interpersonnelles et professeure de psychologie à l’Université Laval.
C’est tout à fait vrai. L’aide-surprise de Sophie m’a angoissée. Soudainement, je réalisais que j’étais dans le pétrin. J’avais besoin d’aide.
«Dans notre culture, la réussite individuelle est très valorisée, affirme Mme Pierce. Arriver à surmonter des défis par soi-même, c’est comme si on se disait “Bravo, tu es bonne!” C’est un gros gain pour l’estime de soi.»
Francine Descarries, directrice du Réseau québécois en études féministes, va dans le même sens. «La valorisation de la réalisation individuelle pèse lourd chez les hommes, mais encore plus chez les femmes: elles ont été élevées dans ce que j’appelle l’éthique de la sollicitude, souligne-t-elle. Les femmes ont été conditionnées à s’occuper des autres. Jusqu’à très récemment, on leur faisait comprendre que leur seul destin était de faire abstraction de leurs propres besoins pour être des épouses et des mères. On porte encore un peu toutes cette conception dans notre façon d’agir.» Ni épouse ni maman, Mélanie aussi a eu envie de jouer à la superhéroïne lorsqu’elle s’est retrouvée avec une cheville cassée. Vivant seule dans un troisième étage, elle hésitait à demander de l’aide. «Je voyais cela comme un aveu de faiblesse, dit-elle. Toutes les choses que j’accomplis dans la vie, je les fais seule et j’en retire une grande fierté. C’était inconcevable pour moi d’avoir besoin des autres.» Avoir besoin d’aide peut nous envoyer un message d’incompétence, auquel on est sensible parce qu’il affecte notre estime de soi. Pire encore, recevoir de l’aide s’accompagne aussi souvent d’un sentiment de culpabilité.
«J’ai été huit semaines en béquille. Je n’ai pas eu le choix d’accepter de l’aide. Mais au début, je me sentais coupable. Je ne voulais pas déranger les autres.» Mélanie.
Selon Tamarha Pierce, lorsque notre entourage doit nous accorder plus de temps que d’habitude, il est normal que ça génère un malaise. «Recevoir du soutien d’une personne nous rend en quelque sorte redevable envers elle. Une bonne relation interpersonnelle est équitable. Pour cette raison, on a souvent ce désir de rétablir l’équilibre en offrant du soutien en retour.»
Justement. Je suis convaincue que Sophie désirait me soutenir par empathie. Or, je l’avais aidée quelques mois plus tôt alors qu’elle traversait une situation extrêmement difficile. Peut-être qu’elle avait besoin de me rendre la pareille pour effacer la «dette» dont parle Mme Pierce? «Si on est toujours dans la position du receveur d’aide, ça devient difficile pour l’estime de soi. Tandis qu’aider les autres, c’est très valorisant. Une étude a même démontré que c’était bon pour la longévité», ajoute la spécialiste.
Je me suis risquée à demander à Sophie pourquoi elle m’avait aidée de la sorte. J’ai appris qu’elle aussi s’était sentie coupable et amoindrie quand on l’avait aidée. Lorsque des proches lui ont signifié qu’il était plus difficile d’assister impuissants à ses épreuves que de faire un petit geste pour la soulager, elle a fini par comprendre. «Quelqu’un qui passe à l’épicerie à ma place, ça ne m’enlève rien d’autre qu’une épine du pied, dit-elle. J’ai réalisé que personne ne peut y arriver seul. Maintenant, quand je vois la détresse des autres, je choisis de la soulager, à la mesure de mes capacités.»
Quant à moi, j’ai choisi de recevoir de l’aide de manière plus zen. Mais comment s’y prend-on? «En s’attardant à la signification du geste, conseille Mme Pierce. Quand quelqu’un nous offre de l’aide, c’est peut-être une façon de nous dire que l’on compte pour elle. La personne m’offre-t-elle de l’aide parce qu’elle me juge incompétente ou parce qu’elle désire me soutenir?» Poser la question, c’est y répondre. Et quand on le reconnaît, on s’aide en s’il vous plaît!
Marie-Claude Marsolais est journaliste indépendante et maman de deux garçons. Elle a appris à accepter l’aide des autres. Ne vous gênez pas pour lui en offrir!