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Témoignage: Je ne serai jamais une « tradwife »

Témoignage: Je ne serai jamais une « tradwife »

  Photographe : Anne Villeneuve

Elles cuisinent, elles sont bien coiffées et maquillées, elles servent leur époux, elles ont beaucoup d’enfants, elles tiennent à ce que leur maison soit toujours bien rangée, bien décorée – et elles sourient.

Bienvenue dans le monde des tradwives (ou femmes au foyer modèles), une tendance à la hausse sur les réseaux sociaux.

 

Sur fond de cuisine rétro, affublée de son tablier rose bonbon, la blonde pulpeuse Estee Williams, une Américaine de 25 ans, dévoile à ses milliers d’abonnés sur TikTok et Instagram comment devenir une tradwife (contraction du mot traditional pour traditionnelle et wife pour épouse).

Sur un ton très sérieux, elle explique en cinq points, en fixant la lentille, les rudiments de l’épouse modèle: bien choisir son futur mari (il doit être protecteur, masculin, apprécier la division traditionnelle des tâches et avoir la foi, explique-t-elle); désirer soi-même des rôles genrés (la femme aux fourneaux, l’homme au boulot); apprendre à cuisiner, à nettoyer, à recevoir; entretenir une passion (elle donne l’exemple de la couture, dans son cas) et, finalement, prendre bien soin de soi et de son apparence (être en forme, savoir se maquiller et se coiffer).

Je l’écoute avec fascination. Puis avec dégoût.

Non seulement je ne pourrai jamais être une tradwife, mais je ne peux m’empêcher de condamner ses propos.

Je vous entends: vivre et laisser vivre! Cette chère Estee, comme les autres épouses modèles dont les discours se multiplient sur les médias sociaux, peut bien faire comme elle l’entend. Après tout, le féminisme contemporain n’autorise-t-il pas chaque femme à choisir sa voie, à faire à sa tête selon ses propres règles et codes?

Oui, mais... non.

Depuis les années 1930, les femmes luttent pour leurs droits civils et civiques. Avec l’arrivée, entre autres, de la pilule anticonceptionnelle dans les années 1960, elles ont acquis une certaine liberté, ont fait leur place dans la société. Et les années 2000 ont vu naître le mouvement planétaire en ligne #metoo.

Elles sont aujourd’hui médecins, avocates, présidentes d’entreprise et de conseils d’administration, entrepreneures, journalistes, policières, biologistes, artistes, et j’en passe. Ce chemin, il a été tracé par des pionnières, des fronts de bœuf, des décideuses, des impertinentes, des idéalistes fonceuses et infatigables comme Thérèse Casgrain, Janette Bertrand, Léa Roback, Françoise David, La Bolduc...

Comment pourrais-je réconcilier mon féminisme impétueux et ma soif d’équité et d’égalité hommes-femmes (pas encore atteinte) avec la philosophie et le mode de vie des tradwives?

«La condition de la femme a avancé dans la société», dit Chiara Piazzesi, professeure de sociologie à l’Université du Québec à Montréal et membre de l’Institut de recherches et d’études féministes. «Il faut penser aux conséquences et aux impacts des choix et du discours de ces femmes. On peut aussi se demander quel est le message collectif, comment cela fait avancer et reculer le statut de la femme...»

Reléguées au rôle de subordonnées, ces femmes n’ont aucune indépendance financière, aucune liberté de pensée, de mouvement (la plupart conseillent ne pas sortir sans leur mari, et surtout pas le soir). Cela n’ouvre-t-il pas la porte aux relations toxiques, voire aux abus?

Elles ne le disent pas publiquement, mais sont-elles contraintes à ce mode de vie? Autrement dit, sont-elles totalement libres de ce choix ou sont-elles... prisonnières?

«Derrière chaque tradwife, il y a un tradhusband, soit un mari traditionnel qui travaille fort, répare des choses et incarne l’homme protecteur, pourvoyeur, rappelle la professeure Piazzesi. Ça s’inscrit dans une masculinité patriarcale traditionnelle.»

Je me questionne sur cette propension des tradwives à vouloir convaincre, enrôler leur auditoire... Que sont-elles en train de dire aux jeunes filles qui les écoutent et les suivent?

Je me demande aussi, lorsqu’elles sont mères, ce qu’elles disent à leurs petites filles? Le prince charmant viendra? Sois belle et tais-toi?

Je préfère dire l’inverse à ma fille: lève-toi et parle! Fais ton chemin. Sois fière, autonome, indépendante. Fonce. Comme ta mère. Comme tes grands-mères. Et comme toutes ces femmes qui ont pavé la voie.

 

Journaliste, chroniqueuse, autrice et conférencière, Maude Goyer a une maîtrise en administration des affaires, est mère de deux ados et est féministe (un peu plus chaque jour).

 

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