Couple
Rénover... sans voir son couple s'écrouler!
IStock Photographe : IStock
Éric et Geneviève, tous deux dans la trentaine, ont acheté en 2006 leur premier condo, à Montréal. Ils s'y sont installés après avoir fait revernir les planchers, en se promettant d'attaquer la cuisine plus tard pour ne pas retarder leur déménagement. «On avait tellement hâte d'avoir un vrai chez-nous qu'on se disait que, avec tous les restaurants à proximité, refaire la cuisine ne serait pas si terrible, rapporte Geneviève. On s'est trompés!»
Car dès que l'ouvrier - recruté sur la seule bonne foi de son tarif horaire plus qu'attrayant - commence à faire tomber les murs, tout leur petit monde s'écroule aussi. De un, parce que cet homme va étirer les travaux sur quatre longs mois (un poignet foulé, un autre contrat à finir, un tour de reins, un fils malade, etc.); et de deux, parce qu'il semble souffrir de surdité subite chaque fois que Geneviève s'adresse à lui. «Il fallait que les directives émanent d'Éric, même si j'étais plus souvent présente sur place, poursuit-elle. Au début, on en rigolait. Mais avec le temps, c'est devenu très frustrant pour moi, et ça s'est retourné contre Éric... Surtout que la cuisine, une fois finie, était loin d'être à mon goût. Est-ce que c'est ça qui nous a conduits à la séparation? Avec du recul, je suis certaine que ça n'a pas aidé. La preuve, c'est qu'aucun de nous deux n'a voulu garder le condo.»
Quand les rénos rendent marteau
Il ne faut pas se le cacher, entreprendre des travaux est souvent aux antipodes de la lune de miel. Même si on rêve depuis des lustres d'avoir une chambre avec une immense penderie ou de parler au passé des affreux carreaux bruns et jaunes de l'ancienne salle de bains, toutes ces transformations majeures ne se font pas sur un simple claquement de doigts.
Dans l'intervalle, on risque de vivre au milieu d'un fouillis indescriptible, de perdre un temps fou à mettre la main sur ce qu'on cherche, de se frotter à un électricien ou à un menuisier qui donne envie de mordre, de se sentir constamment envahis dans notre intimité, de passer tous nos moments libres dans un centre de rénovation ou une salle d'exposition et de se poser 56 questions existentielles à propos de la robinetterie ou de la disposition du comptoir. Sans parler des problèmes de budget, des mauvaises surprises qui surviennent immanquablement en cours de route (comme un retard de livraison ou un tuyau qui éclate alors que le mur vient d'être refermé) et... des divergences d'opinion avec notre tendre moitié.
Avec tout ça, pas surprenant que le temps des rénos soit particulièrement propice aux disputes de couple. «D'un point de vue émotif, les rénovations peuvent en effet constituer un vrai défi pour les couples, explique Stéphane Bensoussan, psychologue. En plus de gruger beaucoup d'énergie, elles bousculent les petites habitudes et modifient la routine, ce qui provoque chez plusieurs personnes du désarroi, de l'anxiété, de la frustration et un sentiment d'insécurité. Si l'un des deux partenaires traverse ce genre de chaos intérieur, ça va forcément se refléter sur la relation.» Généralement, ce sont les personnes qui aiment la routine et l'ordre établis qui risquent le plus de vivre difficilement cette période de grands chamboulements.
C'est ce qui est arrivé chez Aline, 49 ans: «À partir du moment où on a décidé de refaire l'ensemble du sous-sol, mon mari est devenu fou. Il stressait à la moindre erreur, il n'arrêtait pas de changer d'avis, il passait des nuits blanches à revoir les plans et, durant la journée, il s'en prenait souvent à moi. Je ne le reconnaissais plus. Dieu merci, je l'ai retrouvé quand les travaux se sont terminés.»
Impuissant et démuni devant le changement, le partenaire qui vit ces émotions aura tendance à se montrer plus contrôlant avec ce qu'il est en mesure de contrôler - soit les faits et gestes de ses enfants et de son conjoint - et à se mettre en colère plus facilement parce que ses émotions sont amplifiées. Des chaussettes qui traînent par terre peuvent ainsi provoquer toute une scène.
Quand on a de la difficulté à accepter les changements liés aux travaux, Stéphane Bensoussan suggère d'en décrire toutes les étapes, de dresser une liste de questions pour chaque corps de métier, de se renseigner le plus possible et de faire des recherches en magasin afin de se familiariser avec la céramique, les types de comptoirs offerts, les essences de bois, etc. «Plus on sera au courant, plus on sera à même de retrouver un certain équilibre: on se sentira mieux équipé pour prendre des décisions, on sera moins anxieux parce qu'on connaîtra d'avance chaque nouvelle étape et, finalement, on contrôlera davantage notre quotidien... au lieu de contrôler les membres de notre entourage.» Et plus on se lance dans des rénos de taille, plus on doit faire front commun et s'entendre sur les petits détails avant de donner le premier coup de marteau.
Élise et Romain, un tandem dans la cinquantaine, ont à leur actif un duplex transformé en maison et deux triplex entièrement retapés. «Lorsqu'on a acheté le duplex, Élise m'a fait vivre l'enfer, affirme sans détour Romain. Pour elle, camper dans le salon était inadmissible, et elle s'obstinait à passer l'aspirateur et à mettre une nappe sur l'établi du menuisier après chaque journée de travail! Ce n'était pas la joie entre nous, tellement qu'elle est partie vivre chez sa soeur. Comme elle n'était pas plus heureuse, elle est revenue, mais avec une tout autre attitude: elle a pris le chantier en main et, le soir, elle épluchait des catalogues de manufacturiers. Elle avait besoin d'être intimement impliquée dans le projet pour se sentir utile et maîtriser un peu mieux la situation. C'est d'ailleurs elle qui a par la suite initié l'achat et la réfection des deux triplex.»
Quelques bons tuyaux
Les humeurs en dents de scie d'un conjoint stressé ou dépassé par les événements ne sont pas les seuls défis qui nous guettent. Pour qu'on réussisse nos travaux sans que s'effrite le couple, les experts interviewés s'entendent sur trois points:
1. Se mettre au diapason. Avant même de songer à contacter un entrepreneur, un designer ou qui que ce soit, on doit déterminer ensemble ce que l'on souhaite avoir exactement. Et pour ça, il faut se parler en long, en large et en travers. «La première chose que je constate, relate Simon Coquoz, architecte, c'est que les deux membres du couple pensent souvent qu'ils partagent la même opinion, alors que ce n'est pas le cas. Je les interroge donc individuellement et je deviens finalement arbitre d'idées! Il est très difficile d'arriver à traduire en mots son rêve d'espace, alors qu'avec un dessin ou une maquette on peut l'exprimer plus aisément. L'important, c'est donc d'arriver à une entente et de faire éclater tous les conflits potentiels avant le début des travaux.»
2. S'entourer de gens compétents. Cela semble évident, mais bon nombre de couples s'obstinent à engager des ouvriers trouvés dans les petites annonces... à leurs risques et périls. «C'est ce qu'on a fait lorsqu'on a changé les planchers de l'appartement, confie Loren, 36 ans. On pensait économiser, mais, en fin de compte, on l'a payé cher: le gars n'était pas fiable et a fait du mauvais boulot. Ça nous a beaucoup frustrés, et, pendant un certain temps, ce n'était pas très zen chez nous.» En faisant affaire avec quelqu'un qui nous a été recommandé et en qui on peut avoir confiance, on s'évite donc bien des soucis. «Si on a peur de se faire voler chaque fois qu'on quitte la maison pour aller travailler ou faire des courses, c'est un stress supplémentaire», ajoute Stéphane Bensoussan.
Et comme nous ne sommes pas tous bien outillés pour mettre en branle un chantier, Marie-Josée Ouimet, designer d'aménagement intérieur, conseille de faire appel à un professionnel capable de gérer le projet (un designer ou un architecte, par exemple). «C'est lui qui va, selon le mandat qu'on lui accorde, concevoir le projet, élaborer l'échéancier, faire les demandes de soumissions, engager les intervenants, réagir quand il y a des retards et régler tous les problèmes qui se présentent, précise-t-elle. Souvent, les gens qui le font eux-mêmes se sentent vite dépassés, faute d'expérience. Pour un gros projet, cela peut vraiment nous faciliter la vie.»
3. Bien planifier son budget. L'argent est la cause numéro un de frictions chez les couples. D'où l'importance d'évaluer avec réalisme quel montant on peut se permettre avant d'entamer les travaux, surtout si, comme le rappelle Stéphane Bensoussan, il y en a un qui privilégie l'esthétique peu importe le coût, tandis que l'autre ne voit pas d'un bon oeil toutes les dépenses qu'il juge superflues. «Il est primordial de déterminer quel budget on a, ce qui inclut les frais d'un gestionnaire de projet, si on décide d'y avoir recours, et un petit coussin pour couvrir les imprévus, parce qu'il y en a presque toujours, souligne Marie-Josée Ouimet. Le but, c'est de ne pas dépasser notre budget et de faire les choses différemment si on est serré.» Pour nous épauler dans cette tâche ardue, il ne faut pas hésiter à demander conseil à un planificateur financier. «C'est ainsi qu'on a évité la catastrophe, confirme Stella, 51 ans. Sachant d'avance que nos moyens étaient plus limités que prévu, on a revu nos plans et on a choisi d'étaler les travaux sur sept ans. En ayant des chiffres précis, on a décidé ensemble des compromis à faire
Des goûts, ça se discute!
Si, en amour, les contraires s'attirent, en rénos, c'est autre chose! «Si on n'a pas les mêmes goûts, il faut établir des critères clairs et précis dès le départ afin d'éviter les chicanes, conseille Clément Patenaude, psychologue. Lorsqu'on n'aime vraiment pas quelque chose, l'autre doit comprendre qu'on n'embarque pas là-dedans. Et lorsqu'on aime beaucoup telle autre chose et que notre conjoint est ambivalent, on s'entend pour l'accepter, s'il peut vivre avec. La communication est fondamentale: si on explique pourquoi tel choix ne nous plaît pas, l'autre ne se sentira pas agressé et sera plus ouvert pour trouver une nouvelle solution.» Stéphane Bensoussan ajoute que, pour ce faire, on gagne à évacuer d'abord les sentiments. «Il y a les arguments logiques et les arguments émotifs. Les premiers sont souvent fondés, alors que les seconds peuvent être discutables. Une fois l'émotivité sortie de l'équation ("Je suis inquiète parce que..." "J'ai de la peine parce que..."), on peut discuter plus calmement et mieux réfléchir à un plan d'action.»
Malgré ces bons conseils, on n'arrive toujours pas à se mettre d'accord sur la couleur des murs ou le style des armoires de cuisine? Claudette Moreau, agente immobilière affiliée, nous recommande fortement de mettre un médiateur (décorateur, architecte ou autre) dans le coup. «En faisant des choix intelligents, susceptibles de plaire à la majorité des gens, on aura plus de facilité à revendre la maison plus tard, parce que les acheteurs potentiels se font une opinion dans les 90 secondes suivant leur arrivée sur les lieux.»
Cela dit, Christiane et Marc, 38 et 45 ans, ont réussi à régler le problème autrement. «Un ami nous a filmés pendant qu'on se chamaillait à propos des poignées de porte, dit Christiane. On s'est trouvés tellement ridicules qu'on a réalisé qu'on était en train de passer à côté d'une étape de notre vie qui pouvait être vraiment intéressante. On a décidé à ce moment-là de consacrer plus de temps à faire les magasins ensemble afin de se retrouver. Avec une belle complicité, tout devient plus facile, plus léger. Finalement, on garde un bon souvenir de cette période-là.»
Les rénovations pourraient-elles donc aussi rapprocher les couples? «Lorsque toute la maison est sens dessus dessous, c'est en effet l'occasion d'être imaginatif, de changer nos habitudes et d'en profiter pour faire des choses différentes, confirme Clément Patenaude. On mange à la lueur des bougies sur une caisse dans le salon, on fait l'amour sur une table, on dort au sous-sol... On peut également aller passer quelques nuits dans un hôtel romantique quand on n'est vraiment plus capables de vivre dans le désordre. L'idée, c'est de trouver des moyens ou des solutions pour avoir du plaisir.» Parce que travailler à rendre notre nid plus confortable et plus joli, c'est quand même un beau projet, après tout!
Des références utiles
- Association professionnelle des designers d'intérieur du Québec: 514-284-6263.
- Association provinciale des constructeurs d'habituations du Québec.
- Corporation des propriétaires immobiliers du Québec: 514-748-1921 ou 1-800-548-1921 (Montréal et les environs), 418-529-4985 ou 1-800-529-4985 (Québec et les environs).
- Guides d'habitation et d'écodesign.
- Ordre des architectes du Québec: 514-937-6168, 1-800-599-6168.