Couple
Pourquoi les femmes sont-elles infidèles?
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Regarder ailleurs, moi? De plus en plus de femmes succombent à la tentation. Pourquoi?
* Les noms des femmes qui témoignent ont été changés.
Caroline, 38 ans, était en couple depuis dix ans quand elle a eu le coup de foudre pour un nouveau collègue. «C'était un méchant pétard, raconte-t-elle. Un collègue nous a présentés, en disant que j'étais célibataire. Ce n'était pas vrai, mais je n'ai pas démenti, je ne sais pas trop pourquoi. Il faut dire que ça faisait deux ans que les choses n'allaient pas bien avec mon conjoint.» Elle l'a fréquenté pendant cinq mois avant de mettre un terme à sa relation. «Lorsque mon conjoint m'a demandé si je le quittais pour quelqu'un d'autre, j'ai dit non. À quoi cela aurait-il servi de lui faire du mal?» Aujourd'hui, six ans plus tard, l'amant de Caroline est devenu son conjoint et le père de ses enfants. «Je suis tellement plus heureuse, dit-elle. J'ai fait le bon choix. Et quand on a décidé d'avoir des enfants, il y a quatre ans, on a mis cartes sur table: pas question de se tromper! On doit se faire confiance. Mais je ne m'imaginerais pas du tout être infidèle aujourd'hui...»
Trouver des femmes qui accepteraient de témoigner de leur infidélité, même sous le couvert de l'anonymat? Impossible, nous disions-nous. Et pourtant... des femmes de partout au Québec - des femmes en couple de longue date ou depuis peu, des jeunes, des moins jeunes - ont répondu à notre appel. Même une amie, qui m'a répondu: «Pas besoin de chercher bien loin, ma chère!» L'infidélité féminine serait-elle moins taboue qu'autrefois?
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Libres... de tromper
«Les femmes sont devenues plus infidèles avec l'arrivée du mouvement féministe et l'autonomie financière, commente François St Père, psychologue, médiateur familial et auteur de L'Infidélité: mythes, réalités et conseils pour y survivre. Désormais, elles s'assument, avec leurs besoins et leurs désirs, et elles peuvent être tentées, lorsqu'elles s'essoufflent dans leurs responsabilités de mères, par exemple, de rétablir leur image de femme. De plus, comme elles gagnent davantage, il y a moins d'obstacles à la séparation. Et la religion, qui a longtemps gardé les couples liés pour la vie, a été largement écartée de nos vies.»
Selon François St Père, à la lumière des études qu'il a consultées au fil des ans, environ 30 % des hommes et 15% à 20% des femmes seraient infidèles à un moment donné. Cela dit, l'infidélité reste difficile à chiffrer, car, d'une étude à l'autre, d'un sondage à l'autre, sa définition même change. Est-on infidèle seulement quand on a une relation sexuelle avec un autre partenaire que notre conjoint? Et que fait-on du baiser furtif, du courriel vaguement érotique ou carrément torride, du flirt persistant avec tel collègue, voire du cas de celle qui devient amoureuse d'un autre sans jamais révéler ses sentiments? Dans son livre, François St Père avance la définition suivante: l'infidélité serait «la violation de l'engagement, négocié ou implicite, touchant l'amour et la sexualité». À nous, ensuite, de définir ce qui constitue une violation de cet engagement.
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Hormones, attentes et frustrations
Qu'est-ce qui pousse des femmes à vivre, pour une nuit, quelques mois ou des années, une histoire d'amour en parallèle? Chez certaines, c'est le désir d'échapper à une relation tiède ou à des responsabilités d'épouse ou de maman qui prennent toute la place. D'autres remettent en question la vie qu'elles se sont créée. En fait, il y aurait autant d'histoires d'infidélité que de femmes infidèles, mais, au dire de celles qui se sont racontées, elles cherchent toutes une variante de la même chose: une étincelle, une confirmation qu'elles sont encore et toujours désirables, dignes d'être aimées.
La tentation serait plus forte encore à certains moments de la vie, notamment lors des grandes transitions touchant à la vie et à la mort. «La grossesse et la naissance d'un enfant, surtout le premier, sont des moments fort éprouvants pour le couple, illustre François St Père. On dort mal, on s'accorde moins d'attention, vu les immenses besoins du nouveau-né. Le décès d'un proche peut également nous ébranler en nous confrontant à la finalité de la vie. Certains se disent alors: "Si je dois mourir bientôt, aussi bien en profiter."»
D'autres coupables? Bien sûr, il y a la crise du mitan de la vie, ce fameux démon du midi, qui en mène large, car, au moment de cette grande remise en question, tout y passe: le travail, la famille, le conjoint. Il peut aussi s'agir de questionnements sur l'orientation sexuelle ou encore de troubles de l'humeur ou de la personnalité. Mais, par-dessus tout, la «raison principale qui motive 80% des infidélités chez les femmes, c'est l'insatisfaction face à leur relation actuelle, souvent suite à des mois, des années de négligence», conclut François St Père.
Cela dit, comme si tout ça ne suffisait pas, voilà que les hormones viennent compliquer la chose. Au début d'une relation, folle d'amour, on attribue tous les mérites à notre nouvelle flamme et on s'imagine qu'il ou elle comblera à tout jamais nos moindres besoins et désirs. Sur le plan physiologique, toute cette romance carbure à un neurotransmetteur du plaisir, la dopamine. On vit réellement d'amour, d'eau fraîche... et d'hormones! «Cet état dure 18 mois, explique François St Père, puis la dopamine est remplacée par la sérotonine, un autre neurotransmetteur qui, lui, favorise l'attachement. Et c'est tant mieux, car notre corps ne pourrait pas supporter cette charge de dopamine à long terme. On est programmés pour s'attacher et pour propager l'espèce. Il y a donc nécessairement un deuil à vivre de ces papillons du début. Pour certaines femmes, ce deuil est impossible.»
C'est le cas de Laurence. «J'aime mon mari, je partage avec lui des rêves et des projets et je ne le quitterai jamais. Mais... j'ai besoin d'avoir un amant, raconte-t-elle. On se sent si bien au début d'une relation: belle, séduisante, un vrai thrill!» Cette attirance, Laurence en est certaine, s'explique par une faible estime d'elle-même, et se sentir désirée comble pour elle ce manque. Cela dit, à ses yeux, son jeu de séduction reste somme toute innocent. «C'est sûr que j'essaie de ne pas penser à ce que je fais à mon conjoint, et je sais que c'est ni correct ni gentil. Mais toute vérité n'est pas bonne à dire et, par respect pour lui, je ne le lui dirai jamais», avoue la femme de 31 ans, qui tient un blogue anonyme dans lequel elle parle en détails de ses indiscrétions!
L'histoire de Laurence illustre un mythe que Jocelyne Robert, sexologue et auteure, voudrait bien démentir: quand on aime, on est fidèle. «Ce n'est pas toujours vrai. L'amour n'est pas un gage de fidélité!» Elle cite même une étude selon laquelle deux hommes sur trois et une femme sur trois se disaient heureux dans leur relation au moment où ils ont été infidèles.
Anaïs avait, en principe, tout ce qu'il lui fallait pour être heureuse. À 32 ans, mère de trois beaux garçons de huit, six et quatre ans, elle avait la maison, le chalet, les deux voitures et un mari beau, gentil et travaillant. Mais son conjoint ne la comblait pas et elle a été happée par la crise de la trentaine: «J'allais mourir sans jamais avoir embrassé un autre homme, moi qui étais en couple avec le même gars depuis l'âge de 14 ans! Je me suis mise à fréquenter un site de clavardage, histoire de savoir si je pouvais encore plaire. Là, je suis tombée sur cet homme qui me faisait rire. Au bout d'un mois, il m'a invitée à voir un spectacle. Le coup de foudre! Ça a causé beaucoup de frictions avec mon conjoint, car je sortais souvent. Un jour, il a fouillé dans mon ordi et a tout trouvé. J'ai essayé de renouer avec lui en laissant mon amant, mais ça n'a rien donné. Je n'étais plus amoureuse de lui. Je l'ai quitté et bientôt, j'ai repris avec mon amant. Au bout de deux ans, nous avons emménagé ensemble. Ça va bientôt faire sept ans qu'on s'aime, et je sais que je ferais tout pour que notre relation dure. On peut dire que c'est une des belles histoires d'infidélité!»
C'est peut-être aussi un peu la faute aux contes de fées de notre enfance. Une fois que la porte du château se referme sur le prince charmant et sa princesse, l'histoire ne dit pas comment ils construisent, au jour le jour, leur éternité de bonheur. Ce qu'on en retient, c'est que l'amour est la source de toute félicité, que notre conjoint peut et doit combler toutes nos attentes. Alors - retour à la réalité -, s'il ne le fait pas, le doute s'installe... et le collègue qui remarque notre nouvelle coiffure ou le bel inconnu qui nous sourit à l'épicerie deviennent tout à coup intéressants.
«Normal: chaque être humain souhaite se sentir désiré, spécial, unique, explique la Dre Sue Johnson, psychologue, conférencière, auteure et professeure de psychologie clinique à l'Université d'Ottawa et à l'université Alliant de San Diego. Alors, si le couple est pris dans une dynamique négative - qu'ils ne sont plus si proches, qu'ils se blessent en se reprochant des choses, qu'ils se sentent abandonnés l'un par l'autre -, les partenaires perdent confiance en leur capacité de plaire.»
De plus, les attentes qu'on place sur notre couple ont changé du tout au tout depuis le dernier demi-siècle, fait valoir Sue Johnson: «Après tout, ça ne fait qu'une cinquantaine d'années que l'amour et le désir sont au coeur de nos relations. Je pense à un sondage du début des années 60 dans lequel on demandait aux femmes de donner leurs critères d'un bon mariage: l'amour arrivait au cinquième rang! De tout temps, on avait épousé tel homme pour avoir assez à manger, pour élever nos enfants sur une bonne ferme, pour obéir à nos parents. On oublie à quel point nos relations ont changé en très peu de temps. Les couples d'aujourd'hui pataugent pour savoir comment concilier tout ça sans modèle pour réussir leur union, surtout après avoir vu leurs parents divorcer. Dans mon cabinet, je vois donc énormément de couples cyniques, désabusés, qui n'y croient plus trop», se désole-t-elle.
Protéger son couple
Pourtant, biologiquement, «nous sommes fait pour être en couple et pour le rester, continue Sue Johnson. C'est imprimé dans notre cerveau et renforcé à grandes doses d'ocytocine, l'hormone de l'attachement.» Elle avance qu'il est tout à fait possible pour un couple de jeter les bases d'une relation forte - la connexion, la proximité, la compassion et l'affection - et d'anticiper une relation beaucoup trop satisfaisante pour la risquer au jeu de l'aventure.
Pour Jocelyne Robert, une relation réussie, c'est une sorte de ménage à trois: le moi, le toi, et le nous. «Être fidèle ne signifie pas faire mourir nos désirs! Pour renouveler le désir dans notre couple, il faut cultiver notre individualité - notre jardin secret en quelque sorte -, ce qui nourrit notre couple, le désir et la fascination qu'on exerce l'un sur l'autre. Et surtout, il faut s'admirer pour éterniser l'amour et le désir! Ce qui nourrit la flamme amoureuse, c'est lorsque l'autre nous émeut, nous ébranle, nous fascine. De choisir notre conjoint et d'être choisie.»
Au quotidien, François St Père estime que cela peut se traduire par des gestes assez simples: sourire, se complimenter, se caresser, parler de sa journée, formuler des projets futurs en commun, s'offrir des sorties de couple. «Bref, demeurer attentif à l'importance de notre conjoint dans notre vie. Et plus on le fait, moins on a le goût de s'investir avec un autre.»
Car, fort heureusement, nous gardons toujours le contrôle sur nous-même et nos actions: «On a du pouvoir sur nos vies. À la porte de l'infidélité, je peux dire oui ou non», rappelle Jocelyne Robert. Ce qui ne veut pas dire que l'occasion ne se présentera pas, mais être en relation à long terme, c'est avoir des attentes plus réalistes. «Rappelons qu'on n'est pas infidèle contre quelqu'un, mais pour combler des carences, illustre François St Père. Il est plus souhaitable et moins compliqué que ce soit le conjoint qui réponde à ces besoins. D'aller, en quelque sorte, à la reconquête de son conjoint pour une relation plus stimulante et satisfaisante.»
Pas possible de se mettre sous une cloche de verre pour éviter la tentation. Mais le dialogue, la transparence restent des facteurs de protection importants. Et, chose qui pourrait paraître surprenante, parler d'infidélité au moment où celle-ci semble inconcevable: dès le début de la relation. Il faut définir ensemble la notion d'infidélité, estime Jocelyne Robert: «Le couple doit clarifier ce qu'il ne faut pas partager avec d'autres. Quel espace est juste pour nous deux? Embrasser, c'est tromper? Pour certains, un baiser est plus significatif du point de vue affectif qu'une baise d'un soir! Et si un de nous deux vit ce que j'appelle un écart de langage corporel, est-ce qu'on se le dit? Même en 2012, malgré que nous vivions dans un monde "jetable" où chacun est extra-sollicité, l'infidélité fait toujours mal!»
Et François St Père d'ajouter: «On peut demander à notre conjoint: "Qu'est-ce qui est acceptable pour toi?" S'il propose d'aller dans une soirée avec des amis du cégep, dont l'ex dont il était amoureux jadis, madame peut lui dire, calmement, ce qui la menace dans la situation. Si, par exemple, elle vient d'avoir un bébé, qu'elle se sent moche et que l'autre est canon, ça se dit! Et lui, plutôt que de se sentir brimé, aura de la compassion et de l'empathie. Si elle est suffisamment sécurisée, il risque même de pouvoir y aller, et en bons termes.» Bref, une transparence qui permet de comprendre plutôt que d'engendrer du ressentiment et des cachotteries. Car, conclut François St Père, «ce qui fait mal, c'est le mensonge. Et l'infidélité, c'est toujours des mensonges! Quand l'autre l'apprend, c'est un réel traumatisme et ça transforme la relation pour toujours.»
Pour aller plus loin
- L'Infidélité: un traumatisme surmontable, par François St Père, Les Éditions de l'Homme, 2012, 224 p., 24,95$.
- Qui sont ces couples heureux?, par Yvon Dallaire, Le Livre de poche, 2008, 320 p., 10,95$.
- Reconstruire son couple après l'infidélité, par Teagno et Solomon, Béliveau, 2011, 236 p., 24,95$.