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Plus gentille avec vos collègues qu'avec votre conjoint?

Plus gentille avec vos collègues qu'avec votre conjoint?

Auteur : Coup de Pouce

«Je peux sembler plus gentille avec mes collègues qu'avec mon conjoint, mais c'est seulement parce qu'avec eux je suis moins prompte à m'exprimer quand quelque chose ou quelqu'un me tombe sur les nerfs, dit Karine, 34 ans. Au travail, je préfère éviter les confrontations: les gérer me prendrait trop d'énergie et d'implication émotionnelle.» Avec son conjoint, elle ne fait pas preuve de la même retenue: «Quand quelque chose ne va pas, je le lui dis sans détour, même si cela provoque parfois des flammèches!» Il en va de même pour Marie-Hélène, 40 ans, qui ne se permet pas de «trop se laisser aller» au travail. «On ne peut pas éclater de colère même quand on fulmine à l'intérieur, dit-elle. C'est notre réputation, notre image de professionnelle qui est en jeu. Mais, à la maison, je peux me permettre d'être complètement moi-même. Mon chum me connaît, et il m'aime même quand je suis de mauvaise humeur ou que je m'emporte contre lui.»

Bien entendu, ce n'est pas parce qu'on s'habille pour aller au bureau qu'on enfile une nouvelle personnalité! Néanmoins, pour la plupart d'entre nous, le milieu de travail module, de manière plus ou moins importante, notre façon de nous comporter avec les autres. «Au travail, une certaine retenue s'impose. Ce n'est pas le lieu pour faire étalage de ses émotions, dit la psychologue Marie Claude Lamarche, spécialisée en santé psychologique au travail. En fait, il faut s'oublier un peu pour la cause que l'entreprise dessert.» Il peut bien sûr arriver qu'on sorte de nos gonds, qu'on perde patience et qu'on s'emporte mais, la plupart de temps, on privilégiera une certaine réserve. De plus, outre la réserve implicitement greffée à nos relations de travail, la charge émotionnelle entre collègues est généralement beaucoup moins importante que celle présente dans un couple. Par conséquent, une chose qui nous agacera royalement chez notre amoureux pourra nous laisser indifférente - ou n'inspirer qu'une émotion tiède - dans le cas d'une collègue. «J'ai tendance à m'énerver quand mon conjoint laisse traîner ses affaires, admet Louise, 44 ans. Alors qu'une de mes collègues, dont le bureau est constamment en désordre et qui oublie toujours ses choses ici et là, me fait plutôt rire.»

Normal? Tout à fait! Selon Marie Claude Lamarche, «l'intensité d'une réaction est proportionnelle à l'implication émotionnelle». De même, de l'avis de François St-Père, psychologue spécialisé en thérapie de couple, les irritants sont souvent plus nombreux au sein d'un couple qu'au travail. «Les responsabilités qu'on partage, la sexualité, les tâches ménagères, etc., tout cela peut engendrer des perturbations dans le couple, et ce de façon régulière.» Mais l'équation entre l'engagement émotionnel et les petits écueils de la vie de couple justifie-t-elle qu'on laisse nos gants blancs dans le placard de notre bureau? Non. Bien sûr, on peut laisser poindre notre mauvaise humeur à la maison, baisser le masque, ranger notre sourire Colgate et même brasser la cage de notre conjoint sans nécessairement remettre chaque fois notre couple en question. «On peut penser que l'autre nous acceptera toujours inconditionnellement, dit François St-Père. C'est peut-être vrai, surtout durant les premières années d'une relation, mais, si on lui manque de respect, cela finira nécessairement par avoir un impact négatif, voire fatal, pour le couple.»Un facteur qui peut nous inciter à être «moins gentille» à la maison qu'au bureau est le stress qu'on subit entre 9 h et 17 h. Et lorsqu'on sait que 25 % des hommes et 29 % des femmes vivent un stress quotidien intense au travail (Statistique Canada, données de 2006), il y a tout lieu de porter une attention particulière à la qualité de la communication dans notre couple. En effet, selon une étude menée à l'Institut de recherche et de conseil dans le domaine de la famille, en Suisse en 1998, le stress affecterait à 40 % la qualité de la communication dans le couple. Ainsi, l'épuisement, l'impatience, l'irritabilité, les tracas récurrents et le sentiment d'être submergée comptent comme autant de facteurs de risque à l'entente conjugale. «C'est sûr que les tensions accumulées au travail, si elles ne sont pas bien gérées, vont finir par éclater à la maison», explique Monique Soucy, psychosociologue et coach en gestion de carrière.

Il y a environ deux ans, le conjoint de Julie, 37 ans, lui a posé un ultimatum: soit elle améliorait sa façon de se comporter avec lui, soit il la quittait. «Ça m'a donné un choc, dit la jeune femme. Je savais que j'étais souvent irascible et que ma limite de patience était très, très étroite, mais je n'avais pas réalisé jusque-là que je lui manquais de respect en agissant ainsi.» Pourtant, avec ses collègues, Julie était généralement posée, souriante, indulgente. Une façade derrière laquelle la professionnelle tentait de contenir une pression quasi constante. «Je vivais beaucoup de stress au travail, mais je m'interdisais de le laisser paraître auprès de mes collègues, dit-elle. Je tenais à ce qu'on croie que j'étais toujours en contrôle de la situation même si, parfois, je me sentais dépassée et anxieuse.» Résultat: à la maison, la digue se brisait et Julie se déchargeait de toute la pression accumulée durant la journée sur son conjoint.

Diminuer la pression!
Comme le souligne François St-Père, il est important de faire la distinction entre notre vie au bureau et celle à la maison, et de s'arranger pour que notre conjoint ne devienne pas le réceptacle de toutes nos tensions. «Lorsque j'ai fait le lien entre le stress vécu au bureau et ma mauvaise humeur vis-à-vis de mon copain, je me suis donné des trucs pour évacuer celui-ci le plus possible avant d'arriver chez moi», témoigne Julie. Un coup de fil à une amie durant le trajet du retour et un détour à la piscine de temps en temps ont permis au conjoint de Julie de retrouver une partenaire à l'humeur adoucie. «Et je ne fais plus autant d'heures supplémentaires, ajoute-t-elle. Cela me permet d'avoir plus de temps de qualité avec mon conjoint.» Si le stress provient d'un problème avec un collègue, on essaie de le régler le plus tôt possible, par exemple en le prenant à part pour en discuter calmement avec lui. Et si on perd notre calme? «On sort prendre une marche ou, si on a envie de pleurer, on va le faire dans la salle de bains», suggère Marie Claude Lamarche. D'ailleurs, contrairement à ce qu'on pourrait croire, vouloir à tout prix projeter une image positive au travail (notamment en refusant systématiquement de laisser paraître notre agacement ou nos contrariétés) ne nous rend pas service. «On sera davantage respectée si on sait exprimer nos limites et nos besoins, approuve Monique Soucy. Enfin, il faut aussi réaliser que, même si on s'emporte parfois au bureau et que nos collègues nous voient sous un jour plus sombre, ce n'est pas si terrible. L'important est de s'excuser auprès d'eux s'il y a lieu, et de revenir sur ce qui s'est passé de façon à clarifier la situation.»Dans une relation amoureuse, les partenaires se connaissent si bien qu'ils savent comment «piquer» l'autre pour le faire sortir de ses gonds. «Il a le don de m'énerver!» entendra-t-on bien souvent. Si, en plus, on est plutôt impulsive ou susceptible, la gentillesse risque d'en prendre pour son rhume! Contrairement aux collègues, qui toléreraient sans doute beaucoup moins bien un manque de respect à leur égard, un conjoint amoureux sera plus indulgent face à nos écarts de conduite. Mais l'indulgence a tout de même ses limites. «Élever la voix, accuser l'autre, c'est normal dans un couple, avance François St-Père. Mais, dès qu'on verse dans le mépris et les attaques personnelles, cela devient inacceptable.»

Les collègues de travail de Chantal, 42 ans, ne se sont probablement jamais douté que leur boss, toujours à l'écoute et juste envers eux, s'avérait souvent abusive envers son conjoint. «Il me reprochait souvent d'être dure avec lui et, consciemment, je savais qu'il disait vrai, raconte Chantal. Malgré cela, c'était plus fort que moi, je ne pouvais m'empêcher de le "malmener" un peu verbalement.»

Un mal plus profond?
À force d'introspection et animée par la volonté de sauver son couple, Chantal a fini par comprendre: un père trop absent lui avait légué une insécurité maladive qui s'exprimait dans ses rapports amoureux. «Je "testais" l'amour de mon conjoint en le provoquant et en étant parfois méchante avec lui.» Par ailleurs, le modèle parental aura lui aussi une incidence sur la façon de se comporter envers notre conjoint. «Si on a eu, par exemple, des parents qui se manquaient continuellement de respect, on pourra reproduire le même schéma», observe François St-Père. On peut donc se poser la question: est-on réellement toujours plus gentille avec nos collègues qu'avec notre conjoint? «Si c'est le cas, il y a un problème, dit Marie Claude Lamarche. Par exemple, cela peut relever de blessures profondes, d'abandon, de rejet.»Notre conjoint nous a dit qu'il ne se sent pas respecté au sein de notre couple? Ou il n'a rien dit, mais on se sent visée? C'est en tout cas ce qu'éprouve Marie-Hélène. «À bien y réfléchir, je manque peut-être parfois de respect envers mon conjoint. Par exemple, il m'arrive de le traiter de paresseux quand il ne veut pas faire les activités que je lui propose, ou encore de bouder quand je me sens frustrée.» Après deux ans de vie commune, cette attitude n'a peut-être pas érodé leur couple, mais, avec le temps, le conjoint de Marie-Hélène risque d'être de moins en moins perméable à l'inconduite de son amoureuse.

Il est donc important de faire une petite analyse de nos comportements à l'égard de notre conjoint, ne serait-ce qu'à titre préventif. «Lorsqu'on sent que la tension devient trop importante et qu'on s'apprête à dire des paroles qui dépassent notre pensée, on met un frein à la situation et on se retire, conseille François St-Père. On reprendra la discussion ne fois notre calme revenu, en lui exprimant ce qu'on a ressenti, nos besoins, de façon de voir les choses.».

Se comprendre au lieu de se juger
Presque tous les soirs, avant de s'endormir, Karine fait le bilan de sa journée. Cela inclut bien sûr le temps passé au travail, mais aussi ses échanges avec son conjoint. «Le recul m'aide à juger quand je n'ai pas été équitable avec lui, quand je lui ai manqué de respect ou encore quand, simplement, je lui ai fait subir une humeur exécrable.» Le lendemain, Karine prend donc soin de s'excuser et essaie de se rattraper par diverses petites attentions. Elle convient cependant que les excuses ne rachètent pas toujours les choses, et qu'il vaut mieux - comme le suggère le psychologue - prévenir que guérir! Le couple, grâce à l'amour et au lien de confiance qui le caractérisent, est un des rares endroits où on peut être totalement nous-même et exprimer nos états d'âme même lorsque ceux-ci ne brillent pas de joie. Un endroit où on peut communiquer nos émotions, sans toujours passer par la raison. «J'aime bien mes collègues, dit Karine, mais jamais comme mon conjoint. Alors, pourquoi je saboterais notre couple en lui manquant de respect ou me comportant comme une peste? Ça n'a pas de sens!» Le psychologue François St-Père abonde dans ce sens. «Il importe, dans un couple, de se comprendre au lieu de se juger, d'apprendre à faire des compromis. On doit se traiter comme les meilleurs amis du monde, comme des coéquipiers.»

Pour aller plus loin

Manuel de la communication non violente, par Lucy Leu, Jouvence, 2005, 220 p., 29,95 $.
Cessez d'être gentil, soyez vrai, par Thomas d'Ansembourg, Les Éditions de l'Homme, 2001, 249 p., 24,95 $.
Sept clés pour le respect, par Olivier Manitara, Harmonica, 2001, 180 p., 39,95 $.
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