Couple
Le questionnaire d'Arthur Aron pour (re)tomber amoureux, ça marche?
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Deux volontaires, un questionnaire intime et quatre minutes les yeux dans les yeux: il suffirait de suivre cette recette pour tomber follement amoureux. Légende urbaine ou révélation scientifique? Des psychologues commentent.
Oubliez les soupers aux chandelles et les escapades romantiques. Il serait possible de raviver ou de carrément faire naître un sentiment amoureux en répondant simplement à une série de questions bien précises.
Intrigué par les mécanismes obscurs des relations interpersonnelles, le psychologue américain Arthur Aron a en effet mis au point un questionnaire ayant pour but de favoriser l'intimité entre deux inconnus. Son raisonnement? Les liens solides reposent sur un échange de confidences soutenues et réciproques. Le chercheur a ainsi établi une liste de 36 questions placées par ordre croissant de profondeur, des plus anodines aux plus délicates.
Dans un laboratoire, il forme des équipes de deux, composées d'un homme et d'une femme hétérosexuels qui ne se connaissent pas. Les volontaires s'assoient l'un en face de l'autre et répondent aux 36 questions personnelles, sans filtre ni censure. Ensuite, ils se regardent droit dans les yeux, dans un parfait silence, pendant quatre minutes. En 1997, Arthur Aron publie les résultats étonnants de son expérience. Si l'étude originale souhaitait simplement faire naître une certaine intimité, l'équipe du psychologue américain constate avec surprise que le protocole peut aussi éveiller certains sentiments romantiques. Plusieurs des duos sont en effet devenus des couples. L'un s'est même marié quelques mois plus tard!
En janvier 2015, le New York Times en rajoute en publiant le témoignage de Mandy Len Catron. La professeure d'université raconte comment elle est tombée amoureuse d'un quasi-inconnu croisé à la salle de sport en reproduisant les étapes de M. Aron. Son histoire crée un buzz planétaire et entraîne des internautes à faire part d'expériences similaires. Surfant sur la vague, le New York Times lance même une application gratuite pour partager le questionnaire! Et c'est devenu complètement viral.
Le pouvoir de la vulnérabilité
«Si certains questionnaires aux promesses similaires basculent vers la psycho-pop, celuici me semble un bel outil, admet la psychologue Stéphanie Léonard. Les questions sont pertinentes et se rapprochent des exercices qu'on donne aux couples en psychothérapie.»
En quoi ce questionnaire est-il différent? Il force une introspection qui favorise non seulement la complicité, mais qui nous place aussi en position de vulnérabilité. «Nos souvenirs, nos blessures, la dernière fois où l'on a chanté ou pleuré... On aborde rarement ces sujets en début de relation, indique Stéphanie Léonard. Certains couples ne les abordent même jamais! Si l'on joue le jeu sans trop réfléchir, on abandonnera vite nos défenses habituelles et l'on se connectera à l'autre à un niveau complètement différent. C'est un piège positif. D'un autre côté, les gens narcissiques pourront difficilement répondre aux questions, car il leur est extrêmement ardu de se montrer vulnérable. Idem pour ceux qui ont des schémas d'abandon, qui se protègent en rationalisant beaucoup ou qui sont moins en phase avec leurs émotions.»
Gabrielle, 36 ans, et Antoine, 33 ans, se fréquentent depuis quelques mois. Ils ont testé le questionnaire pour découvrir de nouvelles facettes de leur partenaire: «Je suis comme un livre ouvert, affirme Antoine. Je n'ai donc pas trouvé difficile de me livrer sans réfléchir aux conséquences de mes aveux, même si l'on se connaît encore peu. C'était une belle expérience!»
Plus réservée, Gabrielle n'a pas eu le courage de se dévoiler ainsi devant un pur étranger: «J'avais parfois le réflexe de me protéger en suranalysant mes réponses, mais je me suis vite ressaisie, car j'ai confiance en Antoine. Le plus gênant était le quatre minutes dans les yeux. C'était interminable!»
Deux semaines plus tard, les nouveaux tourtereaux n'iraient pas jusqu'à dire que le questionnaire amplifie magiquement les sentiments amoureux, mais ils partagent toutefois une impression de rapprochement. «Oui, je crois que mes sentiments sont plus forts ou, du moins, qu'ils sont ancrés plus profondément, raconte Antoine. Est-ce vraiment le questionnaire qui est en cause? Je ne sais pas... mais je me sens plus proche de Gabrielle.» De son côté, Gabrielle nous confie: «J'ai l'impression de mieux comprendre Antoine - ses réactions, ses rêves, ses sensibilités... Le fait de partager des confidences très intimes a certainement augmenté mon attachement envers lui.»
Un outil pour raviver la flamme?
Le questionnaire peut ainsi permettre aux nouvelles fréquentations de tester leur complicité et de passer au niveau suivant de leur relation. Mais il pourrait aussi servir de catalyseur pour les couples de longue date qui auraient besoin de se reconnecter l'un à l'autre. Selon François St Père, psychologue et auteur du livre Le burnout amoureux, cette mise à nu doit toutefois aller de pair avec une oreille empathique: «Si l'on se sent accueilli et accepté dans notre vulnérabilité, des sentiments positifs peuvent effectivement ressortir de l'expérience.»
Mais attention! Les spécialistes sont formels: un outil salutaire pour un couple peut être carrément dévastateur pour un autre. «Si l'on s'est éloignés, mais que l'on conserve tout de même un attachement positif et sécurisant, il peut être constructif de se recentrer sur des confessions intimes pour raviver la flamme, explique M. St Père. Pour un couple qui bat de l'aile, cette expérience peut exacerber les tensions. Dans ces cas, mieux vaut opter pour une sortie au cinéma ou réintroduire graduellement de petits gestes affectueux.»
Alors, on y croit?
«Il serait réducteur de croire que le questionnaire est magique, qu'il peut faire tomber amoureux n'importe quels inconnus pris au hasard, prévient Mme Léonard. Idem pour les couples de longue date. Le terreau doit être fertile.» Les rouages de l'amour sont complexes, parfois même inconscients. Attirance physique, admiration, respect, partage de valeurs, de projets communs... D'autres éléments viendront évidemment influencer le résultat.
Au final, il importe de prendre ce questionnaire pour ce qu'il est: un prétexte tout indiqué pour parler des enjeux importants dans un cadre libéré de toute contrainte ou peur du jugement. Des volontaires?
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