Couple
L'amour sans étiquette
Photographe : Illustration: Marie-Eve Tremblay/Colagene.com
L'orientation sexuelle peut changer au cours d'une vie. On peut ainsi tomber amoureuse d'une femme alors qu'on a toujours été avec des hommes. C'est ce qui est arrivé à notre collaboratrice. Récit d'une petite révolution intérieure.
Plusieurs hommes ont traversé ma vie. J’ai vécu avec eux des moments heureux, et même si ces relations n’ont pas fonctionné, elles ne m’ont pas rendue amère. Alors si on m’avait dit qu’à 41 ans, je tomberais amoureuse d’une femme et que je lui dirais «oui» cinq ans plus tard, devant parents et amis, je ne l’aurais pas cru. Et pourtant... C’est bien ce qui s’est passé.
Encore aujourd’hui, cette rencontre tient du miracle à mes yeux. Comment était-ce possible de tomber amoureuse d’une femme gaie, à mon âge, alors que je n’avais jamais remis en doute mon hétérosexualité ni même entretenu le fantasme de faire l’amour avec une personne du même sexe? Cette surprise m’a plongée dans une profonde introspection.
Je me suis demandé si je n’étais pas de ceux qui tardent à avouer (aux autres et à eux-mêmes) leur homosexualité à cause de la pression sociale et qui y arrivent seulement après s’être soumis au modèle hétéro dominant. Était-ce ma situation? Ou fallait-il mettre ce revirement inattendu de ma vie sur le compte de la fameuse crise de la quarantaine? Très vite, j’ai choisi de ne pas me perdre dans une crise existentielle et de vivre ce qui s’offrait à moi.
Isabelle, 47 ans, mère de quatre enfants, s’est retrouvée devant des questions similaires alors qu’elle était en couple avec un homme. «J’ai développé des sentiments pour une femme lesbienne, beaucoup plus jeune que moi, que j’ai rencontrée dans le cadre de mon travail, raconte-t-elle. Ça m’a perturbée. Pas parce que j’étais attirée par une femme, mais parce que je ne voulais pas faire subir une autre séparation à mes enfants. J’ai finalement écouté mon cœur et donné libre cours à mes sentiments.»
Isabelle avoue qu’elle n’a jamais été aussi bien dans sa peau que depuis qu’elle est en couple avec cette femme, même si cette relation a provoqué une certaine remise en question. «J’ai été obligée de me positionner au sujet de mon orientation sexuelle, à cause du regard des autres, explique-t-elle. Les gens aiment les étiquettes; pourtant, moi, je me sens juste en amour avec une personne, pas avec un genre.»
Très vite, les gens autour de moi ont aussi voulu être rassurés par une étiquette: lesbienne, bisexuelle, queer, bicurieuse, «hétéroflexible»... Personne n’a critiqué ma nouvelle relation, personne ne m’a rejetée à cause d’elle, mais plusieurs ont voulu comprendre comment c’était possible que ça arrive. Étonnamment, dans le cas d’Isabelle comme dans le mien, les seuls qui n’ont pas cherché à nous étiqueter, ce sont nos enfants. Voir leur mère heureuse et épanouie a été suffisant pour faire taire leurs inquiétudes et leurs interrogations, s’ils en avaient eu.
Élise Bourque, sexologue clinicienne et psycho-thérapeute, comprend qu’une situation comme la mienne et celle d’Isabelle déstabilise autant les autres que nous-mêmes. «C’est normal, puisque la société fonctionne en grande partie sur le modèle binaire hétérosexuel et homosexuel, fait-elle remarquer, avec une tendance marquée pour l’hétérosexualité. La bisexualité dérange notamment parce qu’elle se laisse difficilement circonscrire, mais elle existe, même si peu la revendiquent.»
La sexologue rappelle les travaux d’Alfred Kinsey qui, dans les années 1950 aux États-Unis, a établi une échelle à partir de témoignages de personnes interrogées sur leurs pratiques sexuelles. «Résumée grossièrement, cette échelle démontre que le pourcentage de gens au potentiel bisexuel est beaucoup plus important que celui des personnes strictement homosexuelles ou hétérosexuelles.» Il ne faut pas pour autant conclure que tout le monde est par essence bisexuel. Notre sexualité dépend en partie d’une construction psychique propre à chacun. C’est donc un sujet complexe.
C’est d’ailleurs ce que le médecin d’Isabelle lui a répondu quand elle lui a fait part de ses questionnements. Il a ajouté que l’orientation sexuelle pouvait varier au cours d’une vie, faisant ainsi référence au concept de «fluidité sexuelle». «Ça m’a soulagée, d’une certaine manière, parce que ça me permettait de ne pas rejeter ma vie d’avant, celle avec le père de mes enfants et celle avec mon conjoint des 13 dernières années, confie Isabelle. Je n’étais pas une homosexuelle qui s’était ignorée. Ce que je vis en ce moment, c’est une autre facette de moi.»
Dans quelques semaines, Isabelle accueillera son cinquième enfant. «Ma blonde a 29 ans, et elle tenait à expérimenter une grossesse et la maternité. Après avoir été quatre fois enceinte, c’est vraiment intéressant pour moi d’observer tout ça d’un point de vue extérieur. Entre elle et moi, tout est simple, tout est naturel. Je suis vraiment bien.» Pour ma part, alors que je m’affaire aux préparatifs de mon voyage de noces, je repense à notre journée de mariage. Je crois sincèrement que ceux et celles qui y ont assisté n’ont pas été témoins de l’union de deux femmes, mais de deux personnes qui s’aiment. Et c’est ainsi que je vois les choses désormais... sans me poser plus de questions.
Julie Pilotte est journaliste indépendante.Elle a choisi d'écrire sous un pseudonyme pour préserver sa vie privée et celle de la femme qu'elle aime.