Couple

100 ans de vie de couple

100 ans de vie de couple

Auteur : Coup de Pouce

Les bouleversements survenus au cours du dernier siècle ont complètement transformé les rapports entre conjoints. Petite histoire de la trajectoire amoureuse des Québécois.

Les années 1910 et 1920

1910: 14 333 mariages
1920: 21 587 mariages, 5,4 enfants par femme

Ce «prospect» est-il un bon travaillant? Prend-il un coup? Cette femme est-elle assez robuste pour porter des enfants et travailler aux champs? Voilà les préoccupations qui guidaient le choix d'un conjoint dans le Québec rural du début du XXe siècle. Toutefois, dans les villes, certaines jeunes filles commencent à rêver de mariages d'amour et refusent de prendre époux pour des raisons strictement utilitaires. Il faut dire qu'en se mariant la célibataire perd son autonomie et vit sous la tutelle de son mari, telle une mineure. L'incapacité juridique de la femme vise, dit-on, à préserver la stabilité des familles en établissant une hiérarchie claire.

Au sein du couple, les rôles sont bien définis: le père pourvoit aux besoins de la famille et la mère veille à l'entretien de la maison et à l'éducation des gamins. L'Église, toute-puissante, enjoint aux mariés de faire le plus d'enfants possible. «La survie en dehors du couple était quasi impossible, souligne Christine Corbeil, professeure associée à l'École de travail social et à l'Institut de recherche et d'études féministes à l'UQAM. Autant une femme qui avait des enfants pouvait difficilement survivre sans conjoint pourvoyeur, autant un homme sans épouse ne pouvait guère travailler tout en s'occupant des petits. Dès qu'un des époux décédait, soit on se remariait le plus rapidement possible, soit on plaçait les enfants à droite et à gauche ou à l'orphelinat. C'était pratiquement les seules options viables.»

L'industrialisation, qui pousse les ruraux à s'établir en ville, rend les conjoints encore plus dépendants l'un de l'autre. «À la campagne, il n'était pas rare qu'un même toit héberge aussi d'autres membres de la famille élargie, chose pratiquement impossible en ville, vu la petitesse des appartements, poursuit Christine Corbeil. La cellule familiale s'est donc rétrécie au père, à la mère et à leurs enfants. La famille dépend maintenant du salaire du père et le couple est davantage laissé à lui-même, ne pouvant plus compter sur l'aide de l'oncle ou de la grand-mère.»  

Les années 1930

18 543 mariages, 4 enfants par femme

En novembre 1929, Marie Gérin-Lajoie obtient la tenue d'une première commission d'enquête sur la situation des femmes (aussi appelée commission Dorion), initiative qu'elle réclame depuis plus de 20 ans. C'est qu'en 1930, 80 % des mariages ne sont encadrés par aucun contrat. Cela donne au mari le droit de gérer le salaire de son épouse. Les épouses qui travaillent (moins de 10 %) revendiquent le droit de disposer de leur revenu comme elles l'entendent. La commission minimise ce problème en répondant que cette situation s'explique par le fait que ces femmes sont «mal mariées».

La commission Dorion coïncide avec le krach de 1929 et le début de la crise économique. Appauvris, les gens reportent leurs projets de mariage ou restreignent la taille de leur famille. Toutefois, l'avènement de la guerre vient renverser la vapeur: entre 1938 et 1940, le nombre de mariages célébrés au Canada triple. Bien des femmes acceptent de prendre époux rapidement pour sauver un homme de la guerre, au risque de regretter leur précipitation par la suite.

Les années 1940 et 1950

1940: 35 069 mariages, 3,2 enfants par femme
1950: 34 093 mariages, 3,8 enfants par femme
1951: 289 divorces (première année où les données sont comptabilisées)


Les hommes partent faire la guerre en Europe et plusieurs auront l'heur d'y prendre femme. À la fin de la guerre, 48 000 «épouses de guerre» traversent l'Atlantique et viennent rejoindre ce mari qu'elles ne connaissent que très peu. Ces mariages exigeront certainement une bonne dose de souplesse et d'adaptation.

Entre-temps, les Québécoises ont investi le marché du travail de façon massive, prenant le relais des hommes partis au combat. Cependant, une fois la guerre terminée, il faut procurer des emplois aux hommes qui reviennent au pays. Une forte pression est alors mise sur les femmes pour qu'elles retournent à la maison. Pour y aider, on promeut l'image d'une femme attrayante et aimante, reine de son foyer et dévouée à ses enfants et à son mari. Après tout, les nombreuses innovations technologiques n'agrémentent-elles pas la tâche de l'épouse? L'ordre traditionnel semble rétabli, et l'Église s'en réjouit. Une grande prospérité économique s'amorce et les couples se remettent à faire des enfants. D'ailleurs, on a l'impression que c'est le retour des immenses familles. Mais ce n'est pas le cas. Les femmes auront tout au plus quatre enfants. Ce qui explique le baby-boom qui a lieu à ce moment-là, c'est le fait que plus de gens arrivent en âge de se marier et de faire des enfants.

Les années 1960

36 211 mariages, 3,9 enfants par femme, 481 divorces

Claire Kirkland-Casgrain devient la première femme élue à l'Assemblée nationale. Nommée ministre, elle fait adopter la loi sur la capacité juridique de la femme mariée en 1964. L'épouse est désormais considérée l'égale de l'époux: elle ne doit plus obéissance à son mari et peut contracter un prêt ou un bail à son nom. «C'était toute une révolution, se souvient Gilles Rondeau, professeur associé à l'Université de Montréal. Soudainement, le couple devenait un partenariat. Les hommes perdaient du pouvoir, mais ils n'ont pas eu d'autre choix que de l'accepter: les femmes demandaient depuis tellement longtemps à être considérées comme des adultes. Cette loi est d'une importance capitale, et son effet s'est imposé dans les moeurs de façon progressive.»

L'apparition de la pilule révolutionne aussi la vie des couples. Les femmes contrôlent maintenant leur corps et possèdent les pleins pouvoirs sur la reproduction. Elles choisissent d'avoir moins d'enfants, ce qui leur laissera du temps pour investir le marché du travail. Les hommes s'y opposent de moins en moins, à condition que l'entretien de la maison et les soins aux enfants (et au mari!) n'en fassent pas les frais.

En 1968, le mariage civil est officiellement reconnu au Québec, et une première loi unifiée au Canada vient faciliter le recours au divorce. Ce dernier connaît un succès instantané. En 1968, 606 couples s'en prévalent, et en 1969... 2 947!

Les années 1970

49 607 mariages, 2,08 enfants par femme, 4 865 divorces

Les années 1970 donnent lieu à une grosse transformation des conduites matrimoniales traditionnelles. Et ça commence en lion avec le dépôt du rapport Bird, qui vient clore la commission royale d'enquête sur la situation des femmes au Canada mise sur pied en 1967. Le document y va d'un constat désolant sur la situation des Canadiennes et formule toute une série de recommandations pour atteindre l'égalité hommes-femmes. Cela donnera le ton à ces années de grandes revendications féministes qui atteindront un sommet en 1975 avec la célébration de l'Année internationale de la femme. En 1977, la notion de «puissance paternelle» fait place à celle d'«autorité parentale» dans le Code civil et fait de la mère un parent au même titre que le père.

Unions libres, divorces, familles monoparentales: ces nouvelles réalités deviennent plus présentes. Selon le ministère fédéral de la Justice, dans les années 1970, en cas de divorce, la garde était accordée à la mère dans 75 % des cas, au père dans 15 % des cas et en garde partagée dans 10 % des cas. Dans les cas de garde partagée, en grande majorité, les pères prenaient leur enfant un week-end sur deux, trois ou quatre. Bien que cette statistique ne fasse pas état des séparations ni des ententes à l'amiable, elle montre tout de même que la garde des enfants demeurait, à cette époque, une responsabilité maternelle.

Les années 1980

44 849 mariages, 1,6 enfant par femme, 13 899 divorces

La structure familiale éclate. L'unique modèle sanctionné par l'Église n'est plus une référence pour la société. L'engouement pour le divorce ne tarit pas. On voit maintenant des familles monoparentales, d'autres reconstituées, des enfants nés hors mariages et des unions de fait. Les femmes divorcées ne veulent plus se remarier et les jeunes rejettent l'ancienne norme qui prescrivait de se marier avant de vivre ensemble.

Les années 1970 et 1980 sont des années de grande tension au sein des couples, évoque Gilles Rondeau. Les revendications des femmes mènent à de nombreux divorces. Ces dernières exercent de plus en plus de pouvoir et les hommes se rendent compte qu'ils en ont de moins en moins. Ils réalisent qu'ils devront concéder des choses s'ils veulent préserver leur union ou rencontrer une nouvelle conjointe. Désarçonnés, ils ont beaucoup de difficulté à redéfinir leur rôle comme conjoint et comme père.»

On voit de plus en plus de couples à deux salaires. L'homme n'est plus le seul pourvoyeur de la famille et trouve, souvent, cette nouvelle réalité difficile à avaler. La conjointe, en plus de travailler, assure encore les soins aux enfants, mais elle revendique le partage des tâches à un père qui donne des soins d'appoint.

Les années 1990-2000

1990: 32 059 mariages, 1,6 enfant par femme, 20 474 divorces 2000: 17 054 mariages, 1,4 enfant par femme, 24 911 divorces

L'avènement des nouvelles technologies vient grandement changer les habitudes des gens et, donc, des couples. Bien des amoureux font connaissance sur des sites de rencontres, et l'omniprésence des technologies engendre le décloisonnement des sphères personnelles et professionnelles. Avec le cellulaire, l'ordinateur portable et Internet, rien de plus facile que d'apporter le bureau à la maison ou de consulter ses courriels en vacances, ce qui génère davantage de stress au sein des foyers.

En 1997, la mise sur pied des garderies à 5 $ ainsi que l'adoption, presque 10 ans plus tard, du congé de paternité non transférable de 5 semaines aident les couples à concilier famille et travail et, surtout, incitent les pères à s'impliquer davantage. «Il y a quelques années, seulement 2 % à 5 % des pères se prévalaient du congé parental, rappelle Christine Corbeil. Ils préféraient le laisser à la mère, arguant qu'elle en avait plus besoin qu'eux parce qu'elle allaitait. L'État a choisi de forcer la note en rendant une partie du congé parental non transférable.» Résultat: «Les pères s'impliquent de plus en plus dans l'éducation des enfants et dans le fonctionnement du foyer. On n'est plus simplement dans l'aide d'appoint, analyse Gilles Rondeau. On entre dans une ère où les conjoints commencent à considérer leur union comme un partenariat et à envisager un certain équilibre au sein des couples.»

Conséquence de ces améliorations: on assiste à un nouveau baby-boom. Depuis 2004, le taux de fécondité des Québécoises ne cesse d'augmenter. En 2009, il est à 1,7 enfant par femme.

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