Argent et consommation

Voyage dans un monde sans argent

Voyage dans un monde sans argent

Istockphoto.com Photographe : Istockphoto.com Auteur : Coup de Pouce

Lorsque l'on m'annonce que 90% de notre repas du soir sera issu des poubelles du marché, je ne suis plus tout à fait sûr de vouloir rester... Mais j'aurais regretté de m'être sauvé. Courgettes grillées au curry, raviolis tomates et lentilles noires, pommes de terre frites aux fines herbes, et, pour finir, tarte mangue et fraises. Quel menu!

Dans un coin de la Coop sur Généreux, une commune du Plateau, s'empilent des caisses de légumes récupérés dans les marchés de Montréal. Tomates, laitues, carottes, pommes, concombres, courgettes, aubergines, brocolis, sans compter les muffins, baguettes ou croissants donnés par les boulangeries. «Nous en avons beaucoup trop pour nous; nous ne parvenons pas à tout manger», témoigne Yannick, un des résidents. Alors, ici, on redistribue. Les locataires organisent des repas hebdomadaires pour les amis, des cabarets festifs ou alimentent les manifestations pacifistes par l'entremise de l'association Food not Bombs.

Vers le «gratuivorisme»

Une rapide recherche m'informe que, «en cherchant à limiter ma participation au système économique de notre société de consommation», je m'engage dangereusement sur la voie du «gratuivorisme». Je déniche une carte Google de «Chasse aux trésordures à Montréal». Un point de récupération suggéré est le marché Jean-Talon, à deux pas de chez moi. Je me décide donc à devenir moi aussi un «déchétarien».

Muni d'un sac plastique, je commence à fouiller, du bout des doigts, parmi les tas de cartons jetés à la fermeture du marché. Le premier pas est le plus difficile, mais je prends vite goût à la découverte d'une mangue à peine abîmée, d'une carotte un peu brune ou d'une barquette de framboises légèrement trop vieilles. Parfois, c'est un épicier compatissant qui vous remplit directement votre besace de haricots invendus.

Éviter le gaspillage

«Moi, ça fait trois ans que je m'y suis mis, et je me nourris à 95% de bouffe récupérée, raconte Ned, 30 ans. Il suffit de bien laver les produits; je ne suis jamais tombé malade.» Le jeune homme, comme une majorité de ses confrères cueilleurs urbains, n'est pas particulièrement dans le besoin. Il a même un travail à temps plein. Mais il trouve ridicule qu'autant de nourriture encore consommable soit jetée chaque jour.

Si la perspective de dégoter les ingrédients de votre prochain repas de famille dans les poubelles ne vous inspire pas, vous pourriez simplement songer à les faire pousser dans l'un des 100 jardins communautaires de la ville. Nathalie, une de mes amies, doctorante en écologie, cultive depuis plusieurs années trois parcelles en plein cœur de Villeray. La récolte ne suffit pas à remplir le garde-manger, mais elle apporte de petits compléments sympathiques. «On a passé le premier hiver à écouler notre stock de betteraves. L'an dernier, c'était mieux: on s'est fait une réserve de pesto maison avec notre ail.»

Se meubler dans la rue

Mes amis seraient-ils eux-mêmes adeptes du gratuivorisme, tendance main verte? En tout cas, pour limiter leur participation à la société de consommation, et ménager leur bourse, ils ont ramassé les trois quarts de leur mobilier dans la rue. «On a trouvé notre commode en plein hiver, alors, on a juste eu à la faire glisser jusque chez nous!» s'amuse Daniel, l'ami de Nathalie, un informaticien qui a justement trouvé son écran d'ordinateur... sur un trottoir.

Pour remeubler son appartement, je suis donc allé faire un tour dans la section «gratuit» de Craigslist. J'y ai déniché un meuble télé un peu courbé, une commode, une table de cuisine avec les bords légèrement mangés par un chien, quatre sofas (un mauve et trois à carreaux), un service de verres à vin, un barbecue un peu sale, une piscine rigide, une laveuse (conseillée pour les vieux vêtements), une sécheuse, une cuisinière, deux télés qui changent de chaîne toutes seules, une tonne de bois de chauffage, un sac entamé de nourriture pour bébé chien, un stock de papier cadeau et quatre tonnes de sable. Tout ça gratuit!

Troc et échange

Et encore, ce n'est rien. Bien décidé à ne plus dépenser un sou, je me suis tourné vers les groupes de troc et d'échange de services. Massage, déménagement, vêtements, traduction, coiffure, pédicure, plomberie, sauna, spéléologie, la liste est trop longue pour que Ginette, membre du Jardin d'échange universel (JEU) Montréal, puisse me la détailler.

Les troqueurs s'échangent des points Jeu, souvent 60 pour une heure de travail, qu'ils sont ensuite libres d'utiliser pour obtenir n'importe quel service de valeur équivalente. Ginette s'est par exemple forgé une réputation de rangeuse hors pair grâce à son sens de l'ordre. «J'ai aidé quelqu'un à faire le ménage de son bureau, et ça a changé sa vie!» s'exclame-t-elle.

Alors, de mon côté, je vais troquer mes services de conseiller en gratuivorisme contre ceux d'un comptable agréé... pour compter l'argent qu'il me reste.

Quelques autres trucs

- Sorties gratuites: faites le tour des vernissages et autres inaugurations.

- Logements gratuits en voyage si l'on devient membre de Couch Surfing.

- Journaux gratuits: La Presse au Musée d'art comtemporain, Le Devoir au YMCA Centre-ville, la Gazette à McGill.

- Logiciels gratuits (et légaux): les suites de mozilla ou Open Office.

Manger dans la rue, est-ce sans danger?

Trois questions à Geneviève O'Gleman, nutritionniste et auteure du livre Rapido presto.

Q: Déchetivore, c'est un mot qui doit faire trembler une nutritionniste, non?

R: Pas forcément. Selon Timothy Jones, anthropologue à l'Université de l'Arizona, 50% de la nourriture jetée à la poubelle. Il est évident qu'une grande partie de ces produits est encore propre à la consommation.

Q: Mais les risques d'intoxication doivent être importants?

R: La plupart des cueilleurs urbains disent ne pas tomber malade. On doit bien laver les légumes, avec du vinaigre dilué par exemple, et retirer les parties endommagées. Il faut se méfier des produits à base d'œufs, des plats cuisinés et de la viande.

Q: La loi ne tient-elle pas pour responsable une épicerie généreuse d'une éventuelle intoxication?

R: Il existe dans le Code civil du Québec une loi, dite du bon Samaritain, qui protège les donateurs. C'est grâce à elle que des organismes comme La Tablée des Chefs peuvent exister.

 

Références

Coop sur Généreux

Food not Bombs

Jardins communautaires de Montréal

Kijiji Montréal

La Tablée des Chefs

 

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