Argent et consommation

Comment acheter une maison sans perdre la tête

Comment acheter une maison sans perdre la tête

  Photographe : Getty Images

Flambée des prix, visites cordées aux 15 minutes, offres multiples, surenchères vertigineuses... On souhaite acheter une nouvelle demeure? Mieux vaut attacher notre calculette hypothécaire avec de la broche!

Face à ce branle-bas de combat dans le monde de l'immobilier, comment tirer son épingle du jeu?

Depuis janvier, Annie cherche la perle rare: un cottage de quatre chambres, pas trop loin des écoles de son jeune trio. Cette quête immobilière hante ses jours chargés et ses nuits blanches: «On entend parler d’un exode vers la campagne, mais le marché montréalais est tout aussi compliqué. Peu de propriétés répondent à nos critères, et celles qui le font disparaissent dans la surenchère.»

Avec la fin du bail qui se profile, Annie et son conjoint se préparent aux concessions crève-cœur: élargir la zone de recherche, couper une chambre, abandonner l’idée d’avoir une cour...

«Il s’agit probablement du plus gros achat de notre vie, une décision qui affectera le quotidien de toute la famille pour la prochaine décennie. On a beaucoup à perdre, et les règles du marché défient toute logique. On vit pourtant avec cette angoisse que si l’on ne joue pas le jeu, on va rater notre chance...»

 

Acheteurs sous pression

Vendredi matin. Une nouvelle inscription apparaît dans les portails immobiliers. En quelques heures, les visites affichent complet, les candidats défilent les uns après les autres, un couteau entre les dents, avec 15 minutes top chrono pour scanner les lieux. La guerre est ouverte! Les émotions encore au plafond, les acheteurs potentiels doivent trancher après un survol express: faire une offre généreuse ou passer leur tour. Quitte ou double. Lundi soir, il sera trop tard.

«Dans la grande région métropolitaine, il n’est pas rare de voir une cinquantaine de promesses d’achat peu de temps après la mise en vente d’une propriété, indique Marc Lacasse, président du conseil d’administration de l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec. Les montants dépassent souvent de 50 000 $ le prix affiché, voire plus.» Le calcul est simple: pour chaque transaction, on compte un seul numéro gagnant contre plusieurs dizaines de perdants qui devront tout recommencer le week-end suivant. À la loto-maison, les jeux sont vite faits.

 

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© Unsplash | Tierra Mallorca

 

Tout est chaos

Dans cette guerre de tranchées, la position de force revient aux vendeurs. Propulsée par le télétravail, la consécration du chez-soi et l’attrait de la nature, la demande ne dérougit pas. Pire encore, elle se heurte à une offre famélique: le nombre de propriétés en vente a atteint un creux historique.

Autre fait exceptionnel, le déséquilibre ne se limite pas aux grands centres: «La pandémie a aussi amené un intérêt grandissant pour les résidences secondaires, ajoute Marc Lacasse. Le marché favorise donc les vendeurs à la grandeur du Québec.»

À moins de bénéficier de fonds illimités, les acheteurs ont peu de marge pour se distinguer. Pour rendre leur promesse d’achat plus alléchante, certains vont jusqu’à sacrifier leurs droits d’acheteur sur l’autel du désespoir. Adieu inspection, certificat de localisation ou garantie légale!

«Je me décris comme étant pragmatique, mais en ce moment, c’est un peu le jeu de l’élastique», décrit Julien, 35 ans, en recherche depuis deux ans. «Une fois le budget étiré au maximum, tu te résignes, tu élimines des critères, tu lèves des conditions de vente... J’ai même écrit une lettre personnalisée pour essayer de convaincre les vendeurs!»

 

Attention, cerveau en surchauffe!

Insomnie, angoisse, crise de panique au beau milieu d’une visite... Si acheter une demeure implique toujours son lot d’émotions, le stress-o-mètre fracasse actuellement tous les records.

«J’ai vendu ma maison en août dernier, et ça n’a pas super bien été, raconte Marjolaine, 42 ans. On avait un mois pour en trouver une autre. J’étais tellement sur les nerfs que je n’en dormais plus! Toutes les décisions qu’il fallait prendre, le manque de temps, le déménagement... Avec le recul, je trouve que j’ai payé ma nouvelle maison un peu cher, que je n’ai pas vendu la mienne au prix que je voulais ni selon des conditions optimales. Mais pour ma santé mentale et la survie de mon couple, il fallait bouger rapidement, avant le retour en classe des enfants. J’étais tellement stressée que j’ai mis plus de trois mois à m’en remettre!» 

Selon Marie-France Marin, professeure au Département de psychologie de l’UQAM et chercheuse au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, quatre facteurs sont susceptibles de provoquer une réaction de stress: l’imprévisibilité, la perte de contrôle, la nouveauté et une menace potentielle pour l’égo. Notre cerveau capte au moins un de ces signaux d’alarme? Notre corps réagit aussitôt au danger, que ce soit une meute de loups... ou une meute d’acheteurs!

«Deux hormones entrent alors en action, l’adrénaline, qui mobilise le corps, et le cortisol, qui affecte les régions du cerveau où se trouvent la mémoire, l’attention, la perception et la régularisation des émotions... Pour illustrer ce qui se passe, disons que c’est un peu comme si l’on avait le gaz au fond, mais les freins brisés.»

En règle générale, quand notre cerveau est dopé aux hormones du stress, il ne brille pas par la qualité de ses décisions: «On a une vision en tunnel, ce qui fait qu’on perd des détails importants dans l’angle mort. Par exemple, on s’enthousiasme pour le magnifique bain autoportant, mais on banalise les fissures dans la fondation.»

Le sentiment d’urgence augmente aussi notre impression de perte de contrôle: «On a tous déjà pris une décision impulsive qu’on a regrettée, illustre Mme Marin. Le cerveau s’en souvient et nous envoie des signaux pour nous éviter de reproduire cette erreur. Si l’on est capable d’écouter notre corps, il nous guidera vers le bon chemin. Il faut se rappeler qu’on a le choix de signer ou pas. Ultimement, c’est nous qui tenons le crayon.»

 

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© Unsplash | Andrew Mead

 

Garder la tête froide

Comment prendre des décisions éclairées dans un tel tourbillon? On peut allier nos forces avec celles d’un courtier immobilier qui connaît bien le secteur visé et qui peut nous donner l’heure juste sur le potentiel des propriétés qui y sont proposées. À tête reposée, on dresse la liste des critères incontournables et des concessions possibles. On se fixe un budget limite et on s’y tient, coûte que coûte. On prend soin d’inclure au budget les imprévus et les dépenses inhérentes au déménagement – droits de mutation (taxe de Bienvenue), notaire, travaux et rénovations, etc.

Entre deux visites éclair, on fait le bilan en compagnie d’une personne extérieure au projet, mais qui a notre bien-être à cœur. Avant de faire une offre, on s’accorde un temps de réflexion. Selon Marie-France Marin, une seule nuit peut aider à dissiper les hormones de stress qui embrouillent notre esprit rationnel.

Pour finir, on essaie de rester patient, dans la mesure de nos contraintes: «Mon chum rit de moi, mais de façon quasi ésotérique, je me dis que si l’offre est refusée, c’est que la maison n’était pas pour nous, raconte Annie. Rationnellement, ça n’a aucun sens, je le sais, mais ça m’aide. J’ai confiance que la bonne viendra!» 

 

 

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