Loisirs et jeux
Jeux vidéo: expérience réelle ou virtuelle?
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On s'inquiète parfois de la violence des jeux vidéo et des possibles effets qu'ils pourraient avoir sur leurs jeunes utilisateurs influençables. Mais les amateurs de vidéoludisme sont-ils aussi sanguinaires que les personnages des consoles de jeu qu'ils manipulent? Le jeu est un exutoire, une soupape, disent ses défenseurs. Et on n'est pas dans le réel, on est dans le virtuel: c'est vrai, on est dans le faux, on n'est pas dans le vrai... vraiment?
Vrai, pour de vrai
Les jeux vidéo sont dits «virtuels». En effet, ils possèdent une part de virtualité, mais la signification originelle du mot «virtuel» est ici détournée. Ceci a donc des conséquences majeures sur le jugement posé sur les jeux vidéo: le «virtuel» est généralement opposé à la «vraie» vie. Or, d'un point de vue étymologique et philosophique, les jeux vidéo ne sont qu'en partie virtuels. Le reste est vrai, pour de vrai.
Le cédérom d'un jeu, pris dans une main, représente un jeu vidéo virtuel. Seulement, à partir du moment où le cédérom est inséré dans l'ordinateur et que le joueur navigue dans le jeu, le monde et le jeu ne sont plus virtuels, mais bel et bien réels: la pratique ludique actualise le jeu vidéo dans un monde réel.
Le mot «virtuel» provient du latin scolastique virtualis, qui veut dire «qui n'est qu'en puissance». Donc, ce qui n'a pas lieu, selon le philosophe Gilles-Gaston Granger: qui peut prendre une forme, mais qui n'a pas forme pour le moment. Selon le philosophe Gilles Deleuze, d'un côté, nous aurions le virtuel et le possible, de l'autre, nous aurions l'actuel et le réel. Le virtuel ne s'oppose pas au «vrai» (comme «la vraie vie» versus «le monde virtuel»), mais s'oppose à l'actuel.
Le corps est bien dans le réel, lui
Le possible se réalise dans la matière ou dans les corps, alors que le virtuel se présente plutôt comme une puissance créatrice illimitée qui s'actualise dans des individus sous forme de pensée ou d'imagination. Le monde peut être actuel (pensé et imaginé) sans être réel (perçu et ressenti), mais à partir du moment où le corps est engagé, le monde est réel.
Les joueurs non seulement ne jouent pas uniquement dans leur tête (actualisation), mais performent en plus le jeu avec leur corps (réalisation). Ils touchent des machines bien physiques, pressent des boutons, voient des influx lumineux et entendent des sons; ils interprètent ces signes visuels, auditifs, linguistiques ou autres; ils sont affectés par les jeux vidéo et les affectent en retour; ils ressentent des émotions quand ils jouent. Leur esprit et leur corps sont nécessaires à l'actualisation et la réalisation des jeux vidéo et l'expérience qu'ils en font est bien réelle... surtout pas virtuelle! D'autant plus que les jeux vidéo sont interactifs: le corps est engagé dans l'activité; les jeux vidéo seraient-ils alors plus réels que le cinéma où il n'est pas question d'interactivité? Pourquoi ne parle-t-on pas de «mondes virtuels» dans les films?
Usage erroné du mot «virtuel»
En fait, cet usage erroné du mot «virtuel» dans la langue française proviendrait probablement de la mauvaise traduction du terme anglais «virtual», qui veut tout simplement dire «quasi». Ainsi, la traduction de «virtual reality» ou «virtual world» devrait être «quasi-réalité» ou «quasi-monde». C'est ce qu'énonce J.P. Papin, cité dans Le traité de la réalité virtuelle (p.5): «en anglais, virtual signifie "de fait", "pratiquement". La traduction française ne rend donc pas compte de cette signification. Il aurait fallu parler de tenant lieu de réalité ou de réalité vicariante ou mieux encore d'environnement vicariant [qui remplace].»
De vrais rapports avec de vrais autres
De la même manière, les rapports sociaux engagés dans les jeux vidéo en réseau ne sont pas «virtuels» ou, du moins, ne contiennent pas plus de virtualité que les rapports sociaux en dehors de l'univers du jeu vidéo.
Ce ne sont pas les personnages des jeux vidéo qui entrent en relation, mais bel et bien les joueurs, grâce à leur personnage: le personnage n'est qu'un outil communicationnel et une instance du jeu. Ce n'est pas parce que la relation est médiatisée par le jeu vidéo que l'amitié sera «moins amitié» qu'une rencontre à l'extérieur du jeu. Le fait de voir le visage de la personne n'entraîne pas nécessairement une communication basée sur la vérité.
Shoot Them All and Be Their Friends
Descendez-les tous et faites-en vos amis! En fait, les rapports sociaux dans les jeux vidéo peuvent être basés sur la «vérité», malgré le support du jeu: doit-on dire de celui qui prétend être un elfe dans un jeu vidéo qu'il est un menteur? Bien sûr que non, puisque le joueur répond ainsi à la règle du jeu et tous les joueurs s'entendent sur cette règle.
De vraies amitiés peuvent tout à fait naître et/ou grandir dans le contexte vidéoludique. L'implication affective, surtout pour les joueurs passionnés qui passent des heures dans l'univers du jeu, peut être basée sur les mêmes valeurs que les amitiés vécues dans d'autres contextes. D'ailleurs, nombreux sont les joueurs qui communiquent ensemble à l'extérieur du jeu et qui, même, se rendent visite d'un pays à un autre.
Et si le jeu vidéo était, finalement, une occasion de socialiser? De socialiser pour vrai. Autant que dans le vrai.
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Sources
Granger, G.G. (1995). Le probable, le possible et le virtuel, Paris, Éditions Odile Jacob.
Deleuze G. (1968). Différence et répétition, Paris, PUF.
Fuchs P. et al (2003). Le traité de la réalité virtuelle, 4 t., Paris, Les Presses de l'École des Mines.