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Rencontre avec Valérie Blais

Rencontre avec Valérie Blais

Carl Lessard Photographe : Carl Lessard Auteur : Coup de Pouce

Au tournant de la quarantaine, Valérie Blais a réussi le pari de donner une autre direction à sa vie. Entrevue avec une comédienne hilarante et une femme lumineuse.

En novembre dernier, c'était soir de première pour Valérie Blais. La comédienne se présentait sur scène sans personnage de fiction à défendre, aussi bien dire nue. Nue, enfin, pas tout à fait... elle portait quand même des souliers d'humoriste. Au moment de conclure, elle a vu bondir les siens - le parterre du Monument-National était bourré d'acteurs. Dans le fond de la salle, émue, Dominique Michel applaudissait à tout rompre. C'est un peu grâce à elle que toute cette histoire a commencé.

Retour en 2004. Les sœurs Rozon cherchent une comédienne pour livrer Le démon de midi, un numéro de stand-up tiré de la fameuse bande dessinée française de Florence Cestac, dans laquelle une femme se fait larguer par son mari et doit se remettre sur le marché de la séduction. En France, ce rôle fait mourir de rire les Français. Ici, non seulement Dominique Michel recommande Valérie à l'équipe de Juste pour rire, mais elle en signe aussi la mise en scène.

«Elle me demandait: "Est-ce que je devrais tenir le téléphone comme ça ou comme ça?" se remémore la grande dame de l'humour. Je lui disais: "On s'en sacre de comment tu tiens le téléphone. Tiens le maudit téléphone comme tu le sens! C'est TOI que les gens vont venir voir! Ce sont tes émotions qui comptent. Pour être drôle, il faut être vraie."» Cette année-là, ce numéro propulsait l'interprète dans le ring des humoristes avec le titre de Révélation de l'année au Festival Juste pour rire. Ce n'est que deux années plus tard qu'elle allait chausser les souliers de Valérie, dans Tout sur moi, la télésérie qui allait vraiment la mettre au monde. «Ce personnage un peu bouboule, violent, qui n'a pas peur de s'exprimer et qui fesse si tu touches à ses amis, m'a révélée.»

Des débuts difficiles

Rien n'est arrivé tout cuit dans le bec à cette comédienne de 47 ans. Sortie de l'école à 21 ans, elle a bossé jusque passé 30 ans en éducation à la petite enfance pendant que ses amis de l'École nationale faisaient carrière. «Oui, j'ai braillé souvent en me disant que je ne serais jamais comédienne! Pour obtenir le rôle de Rafi, dans Cornemuse, j'ai mis tout ce que j'avais dans le ventre. Dix ans avec des p'tits, fallait que ça serve! C'était ma dernière chance. Je suis arrivée en audition, et j'étais un raton laveur.» Elle a eu le rôle, et s'en est trouvée aussi énervée que si elle venait de décrocher une Suzie Lambert dans Lance et compte. «Rafi a été d'une importance capitale dans ma vie. Elle m'a permis de vivre enfin de mon métier.» Et d'élever un simple raton au rang de vedette de la télévision.

Au même moment, elle entamait une relation amoureuse avec le comédien Fabien Dupuis. Ils avaient été meilleurs amis, à 18 ans, puis amants dans leur jeunesse. «À l'école, on a été proches. On jouait du même bord, dans la vie. On a appris à être acteurs ensemble. Mais... il était tellement playboy, se souvient Valérie. Il avait tellement soif de tout vivre... C'était trop pour moi. J'aimais mieux "amis".»

Dans la trentaine, le feu a repris avec son grand ami. En période de tournage, les tourtereaux se voyaient le midi. «Elle enlevait sa capuche de Rafi et me disait "Embrasse-moi", se rappelle Fabien, qui répliquait: «Je peux pas. T'es un raton!» Évidemment, elle se rendait au bistro maquillée, avec sa petite face d'animal. Du grand Valérie!

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Savoir prendre sa place

Valérie Blais dit sans détour qu'elle a attendu longtemps avant d'oser prendre sa place. «C'est parce que je viens de la maudite génération X, celle qui est tombée dans craque, lâche-t-elle. Les boomers et les Y ont eu le droit de croire en leurs rêves. Nous, les X, on s'est presque excusés d'exister. En plus, je suis devenue comédienne. Ça fait quoi, une comédienne? Ça attend d'être choisie. Ça espère qu'on va la trouver bonne. Ça attend tellement d'être aimée...»

Au tournant de la quarantaine, et au bout de 16 années de psychanalyse et autant d'années de vie de couple, elle a décidé qu'elle en avait assez d'exister dans l'œil des autres. «J'étais en tournée dans le Témiscamingue. La veille, à Ville-Marie, 600 personnes étaient venues voir Peter MacLeod. Le lendemain, dans le même bled, 58 personnes s'étaient déplacées pour notre pièce de théâtre. J'ai compris que les gens aimaient ça, se faire raconter des histoires par une "vraie" personne. Quelqu'un, sur scène, qui dit: "Bonsoir, je m'appelle Peter MacLeod", et qui leur parle de la vie, avec sa vision. Moi, je suis capable de faire ça! que je me suis dit. "Bonsoir, je m'appelle Valérie Blais. Blais? Pas celle qui jouait dans 30 vies? Non, non... l'autre, la grosse!"»

C'est comme ça qu'elle se présente en spectacle. En restant proche des sujets qui la touchent. Son poids, son manque de grâce, sa maternité tardive, et les travers de chaque génération, dont la sienne. «J'aurais dû le faire avant! J'ai toujours attendu qu'on me choisisse.» Comment explique-t-elle son passage à l'action? «J'ai vraiment eu peur de passer à côté de ma vie. Je voulais être contente de mon parcours. Je voulais me réaliser, exister. Tout à coup, c'était devenu essentiel.»

Deux fouchettes pour une assiette

Comme si les étoiles étaient alignées, une jeune auteure lui a fait signe pour lui dire qu'elle rêvait d'écrire avec elle. «On est allées dans un café, on a commandé une tarte au sucre et on l'a mangée à deux dans la même assiette», raconte Marie- Andrée Labbé, pour signifier à quel point l'amitié s'est vite installée. Avec la metteure en scène Josée Fortier, une vétérane qui a tout vu en télé, elles formaient un trio féminin couvrant trois générations de femmes. Valérie a adoré cette période de création, dans laquelle, de front, elle mettait au monde son spectacle et portait... son bébé! Parce que, à 43 ans, elle est devenue enceinte de la petite Romy, qui aura 4 ans en janvier prochain. Deux grandes premières à un moment de la vie où on ne fait souvent plus d'enfant et où on ne se jette normalement pas dans une nouvelle carrière, surtout quand la sienne va bon train.

«Tu veux savoir la vérité? J'étais terrorisée à l'idée d'une grossesse. J'avais peur de prendre 800 livres et que mon chum me laisse. Mais j'ai senti que pour lui, c'était devenu plus important que tout. Et soudain, j'ai eu peur qu'il me laisse si je n'en faisais pas.»

Entre deux représentations de son spectacle solo, Isabelle, Fabien Dupuis répond d'emblée que ces peurs n'ont existé que dans la tête de la femme qu'il aime. «Simplement, nous avions besoin de devenir des adultes, note le comédien. Et j'ai bien fait d'insister pour qu'on ait Romy. C'est une enfant extra- ordinaire, faite sur mesure pour nous, plus raisonnable que ses parents. Elle nous apprend tellement de choses. Elle a fait de nous deux êtres solides, qui ont appris à ne plus avoir peur dans le noir parce qu'on a maintenant quelqu'un à protéger. En plus, voir ma blonde devenir mère, ça m'a doublement séduit. Sa maternité m'a relancé. C'est cliché, mais Val est encore plus belle, plus hot, depuis qu'elle est mère! Ma blonde, c'est une guerrière. Une vraie!»

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Un coeur gros comme ça!

Cet aspect de valeureux chevalier est repris par son amie Marie- Andrée Labbé. «À tout moment, quand tu fais partie de son monde, tu peux compter sur elle. C'est un roc, côté sentiments.»

La générosité est un sujet récurrent quand on parle de Valérie Blais. «Après son show, raconte son ami Éric Bernier, on a dû retourner à sa loge avec un buggy pour rapporter ses fleurs tant il y en avait! Il a fallu que je me batte avec elle pour ne pas qu'elle les redistribue à ses amis. "Tu les gardes. Toutes! C'est important d'avoir, un jour, trop de fleurs!"» Parmi ses proches, plusieurs l'ont vue sortir son carnet de chèque pour venir en aide à des amis fauchés. Elle a été grande amie d'une protégée du Dr Julien avant d'avoir Romy. «En temps, en argent, en écoute, cette fille-là est une généreuse-née, capable de pardonner les fautes des autres, même les plus graves, confirme Marie-Andrée. C'est une douce, mais une douce capable de frapper si tu attaques ses proches. C'est tout un personnage! Au travail, elle peut me laisser des mes- sages de 20 minutes sur mon répondeur avec une idée qu'elle veut me transmettre. Ses cadeaux de fête - une autre affaire qui la distingue - ne sont jamais simples. L'an passé, elle m'a offert le droit de me commander des fleurs à volonté pendant un an! L'année d'avant, c'étaient des entraînements privés avec son coach. Je lui ai dit que c'était compliqué, que je n'ose pas appeler, mais elle s'acharne! Et cet acharnement, ça fait partie de sa beauté.»

Sa beauté est un sujet sur lequel Dominique Michel ne tarit pas d'éloges. «Sa peau est extraordinaire. Sur scène, on dirait que Valérie est allumée, tant elle prend bien la lumière. Elle est char- mante. Et c'est une grande comédienne, capable de jouer en racontant ses histoires. Elle nous transporte. En même temps, elle vient à la maison avec sa petite Romy, et je trouve que c'est tellement une maman formidable. Elle a un imaginaire débridé.»

Cette affection de Dominique Michel pour Valérie Blais s'est matérialisée récemment. Valérie porte une bague à diamants ayant appartenu à la mère de Dominique. «Elle va me porter chance», a lancé Valérie en la recevant. Ce à quoi la grande Dominique a répliqué: «Ben voyons donc, ma p'tite fille. De la chance, t'as pas besoin de ça. T'as du talent.»

Et elle n'a pas eu peur de la gueule du loup. La voilà donc repartie en tournée. Avec une fillette, et la fin quarantaine, ça en demande, de l'énergie! Tadoussac, Baie-Comeau, Godbout, Petite-Vallée, L'Anse-à-Beaufils, Îles-de-la-Madeleine... «Mon défi, c'est d'aller à la rencontre des gens. Et puis, la scène, j'aime ça! C'est mon église. Quant au fait de faire de l'humour, ça a calmé quelque chose en moi. Quand les gens achètent un billet, moi, c'est une dose d'amour que je reçois.»

5 moments forts de sa carrière

1. «Le soir de ma première au Monument-National, j'ai ouvert une porte que je n'allais plus jamais refermer. J'ai eu l'impression d'être libre.»

2. «Parmi les comédiennes d'ici, Céline Bonnier est une actrice qui m'inspire beaucoup.» Valérie joue à ses côtés dans le long métrage La passion d'Augustine.

3. «Les tournages de Tout sur moi (diffusé à Radio-Canada), avec deux grands amis, deux grands complices, sont marqués à jamais dans ma mémoire et dans mon cœur. Je dois tout à Stéphane Bourguignon.»

4. «Je me suis beaucoup attachée aux comédiens ados quand je jouais Jocelyne Rondeau, dans Tactik (diffusé à Télé-Québec). Particulièrement à mes filles, Dalie (Frédérique Dufort) et Frida (Nan Desrochers). Elles sont chanceuses de pouvoir jouer de manière professionnelle à un si jeune âge.»

5. «Rafi, c'est un personnage-clé dans ma vie. Elle m'a permis de vivre de mon art.»

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En rafale

  • Le principal trait de mon caractère: être à l'écoute des autres
  • La vertu que je préfère chez un homme: son côté féministe
  • La vertu que je préfère chez une femme: la détermination
  • Mon principal défaut: mon éparpillement 

  • Ma principale qualité: ma générosité 

  • Ce que j'apprécie le plus chez mes amis: leur écoute 

  • Mon occupation préférée: jouer sur scène 

  • Mon rêve de bonheur: être
à la mer, longtemps, dans une immense maison avec ceux que j'aime
  • Quel serait mon plus grand malheur? Perdre ma fille
  • Le pays où j'aimerais vivre:
je suis bien chez moi, au Québec 

  • Si je pouvais faire un coup et me sauver des conséquences... Je mangerais tout ce que je veux! 

  • La peur de mourir me pousse à... vivre!
  • Mes héros/héroïnes dans la vie: le Dr Julien, Nelson Mandela, Astrid Lindgren
  • Ce que je déteste le plus de la vie domestique: la balayeuse
  • Un fait historique que j'aimerais pouvoir changer: le pouvoir grandissant de l'État islamique
  • Le don de la nature que je voudrais avoir: la minceur
  • Comment j'aimerais mourir: vite et sans souffrir
  • Le conseil que je donnerais à la jeune fille de 18 ans que j'étais si je la rencontrais: n'aie pas peur, fonce! 

  • L'état présent de mon esprit: stressé
  • Si Dieu existe, qu'aimeriez-vous, après votre mort, l'entendre vous dire? T'as bien fait ça,
ma fille!

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