Loisirs et culture

Rencontre avec Louis-Jean Cormier

Rencontre avec Louis-Jean Cormier

Sarah Marcotte Boislard Photographe : Sarah Marcotte Boislard Auteur : Coup de Pouce

À certains égards, Louis-Jean Cormier est une drôle de bibitte. À 35 ans, fort d'une carrière bien établie, il a gardé la tête échevelée et la barbe négligée des beaux jours où il étudiait la musique au Cégep Saint- Laurent - et en tournée, pour se dégourdir, il joue toujours au aki avec sa bande, sans doute un autre vestige de cette joyeuse époque. En parallèle, l'artiste pop-rock-alternatif est un grand amateur... de golf! Il pose aussi ses longs doigts fins de musicien sur un bâton de hockey dans une ligue de garage. Il s'adonne au poker, de temps en temps... et, c'est connu depuis qu'il a été juge à La Voix, à TVA, il s'avère un moonwalker inimitable quand vient le temps de parodier Michael Jackson. Il a un coeur de poète, ce qui n'est pas étranger au fait qu'il ait été l'un des 12 hommes rapaillés, un projet dont il a signé la réalisation et les arrangements, et il a le coeur sur la main, ce qui aide quand on réalise les albums des autres, ce qu'il fait pour Marie-Pierre Arthur, David Marin et Lisa LeBlanc.

L'aventure de la voix

D'un micro à l'autre, il répète sur toutes les tribunes combien il lui importe de demeurer un artiste socialement impliqué. Deux ans et demi après avoir lancé Le Treizième Étage, qui lui a valu son lot de prix et des salles pleines, il affirme qu'en récidivant sans Karkwa, avec qui il a fait quatre albums, il ne s'est pas prêté à l'exercice de faire plaisir, mais plutôt à celui de demeurer un artiste libre. Cette fameuse liberté a fait l'objet de bien des discussions lorsqu'il a accepté de devenir juge à La Voix. D'un côté, certains purs et durs l'ont presque accusé de haute trahison. De l'autre, le grand public se demandait qui était ce Louis-Jean devant qui les 7 Jours et cie ne s'étaient jamais arrêtés.

Avec plusieurs, dont son ami Martin Léon, qu'il considère comme un philosophe éclairé et un artiste sensible, ils ont tourné la question de tous bords, tous côtés. «On n'a trouvé aucune raison assez bonne pour m'empêcher d'accepter l'offre que me faisaient les Productions J. On me proposait le siège du champ gauche, celui qui, dans le concept de l'émission, permet d'être un peu différent. Comme en politique, il n'y a rien de plus efficace que d'opérer de l'intérieur. C'est la meilleure façon de changer les choses.»

Cela dit, il n'a pas la prétention d'avoir changé quoi que ce soit, sinon d'avoir pu se faire entendre de 2,8 millions de gens. «Disons que ça aide d'avoir autant d'oreilles attentives. À La Voix, je pense que j'ai passé un message artistique: un artiste n'est pas un robot qui chante. On a beau avoir la gymnastique vocale la plus performante qui soit, si le chanteur ne transmet pas d'émotion, l'exercice est vain. Je crois qu'il est essentiel de laisser place à son instinct et de suivre les voix du coeur.»

Il reconnaît que ce qui se dit à La Voix est parfois superficiel - beaucoup de superlatifs pour s'exclamer devant le talent des candidats, de manière à donner un bon show. Mais du même souffle, il souligne qu'il s'agit d'une machine bien huilée qui rejoint les gens, un fait à ne pas ignorer. «Quand un artiste refuse d'aller à La Voix par souci intellectuel, je pense que c'est un coup d'épée dans l'eau. Ça ne fait avancer rien ni personne. Je crois au pouvoir des grandes tribunes. C'est pourquoi je revendique que les artistes ne fassent pas que parler de leurs albums dans les entrevues. On a un micro. Avec ça vient, en ce qui me concerne, l'obligation - ou du moins une belle occasion - de dire, de militer, de dénoncer.»

Il avoue que l'expérience a eu quelque chose de grisant, mais il a dit non à une deuxième année. «J'avais besoin de retrouver mon équilibre. C'est sûr que Krista (sa blonde et agente, et la mère de ses deux enfants) est un grand vecteur d'équilibre, mais il est facile de s'étourdir. Ce n'est pas normal pour moi de me faire prendre en photo à l'épicerie, à la garderie, à la banque. Pas normal pour mes enfants, non plus. Camille a 8 ans et Édouard, 5 ans. Ils sont à un âge où ils apprennent la vie. Je ne tiens pas à ce qu'ils apprennent que ces comportements centrés sur nous sont sains et vont de soi. Et j'avais besoin de retourner à l'essence de mon métier: créer, écrire, composer.»

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Entre amour et politique

Son nouvel album parle de chicane, d'incompréhension, de séparation et même de suicide, mais Louis-Jean le définit comme une réflexion sur l'amour et toutes ses strates. «Karkwa faisait des textes engagés, mais je ne voulais pas porter uniquement ce flambeau-là. Je revendique aussi le droit de chanter l'amour, ou d'exprimer d'autres sentiments que ceux reliés strictement à la revendication. En amour, il y a des passages houleux; on a tendance à les cacher, peut-être pour ne pas ternir le lustre de l'amour, justement. On a peut-être besoin, dans notre tête, que l'amour soit beau, intact, sans faille. Moi, je crée à partir de ce que je connais, et je pense que l'amour lisse, ce n'est qu'une vue de l'esprit. La vraie patente, c'est pas mal plus rock n' roll. Avec des accalmies absolument magnifiques, qui valent la peine qu'on se tape les petits chemins pleins de cailloux.»

Il a beau revendiquer son droit de chanter l'amour, il a tout de même commis La Fanfare, une chanson qui prône l'idée d'aller au bout de ses convictions. «La Fanfare, je l'ai écrite pour le bien commun; c'est une invitation à la mobilisation - et non spécifiquement à la grève étudiante qui avait lieu au moment où Les Grandes Artères est sorti. Il faut les dire publiquement, ses convictions, quand on est un artiste. Je ne juge pas ceux qui ne le font pas, mais la tribune nous offre des choses plus grandes que de servir nos intérêts mercantiles et personnels. Je pense qu'on est capables d'être fédérateurs. On peut aider la mobilisation, aider à résoudre des problèmes de société. Je trouve ça moche de ne faire que de la vente d'album.»

Galerie photos

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L’album de Louis-Jean

Lisa Leblanc

«Lisa LeBlanc? C’est l’une des filles les plus talentueuses qui soient. Un talent brut, qu’il faut diriger, mais en le gardant brut, tu vois le genre? On s’était croisés. Elle m’a rappelé. "Veux-tu réaliser mon album? Ok." C’est comme ça que ça s’est passé.»

Photographe: JOHN LONDONO Par : Josée Larivée Source: Coup de pouce, juin 2015

L’album de Louis-Jean

Mon passage à La Voix.

«Mon passage à La Voix. Une étape charnière qui, je l’avoue, a changé beaucoup de choses dans ma vie. Sauf mon désir d’indépendance, qui est demeuré intact. Peut-être, exacerbé, même.»

Photographe: OSA IMAGES Par : Josée Larivée Source: Coup de pouce, juin 2015

L’album de Louis-Jean

Karkwa

Karkwa: une gang de gars pour qui mon amitié tiendra jusqu’à la fin des temps. Je les aime à vie.»

Photographe: AUDIOGRAM Par : Josée Larivée Source: Coup de pouce, juin 2015

L’album de Louis-Jean

Gilles Vigneault

«Gilles Vigneault, un poète, un artiste et un Québécois à qui j’ai le privilège de m’adresser de temps en temps. Quel homme! Quelle envergure!»

Photographe: FRANÇOIS GUILLOT/AFP/GETTY IMAGES Par : Josée Larivée Source: Coup de pouce, juin 2015

L’album de Louis-Jean

12 hommes rapaillés

«Il y a un peu de mon cousin Alan Côté (le directeur du Festival de la chanson de Petite- Vallée) dans ma façon d’avoir réalisé 12 hommes rapaillés. Sans lui dans ma vie, l’expérience aurait été différente.»

Photographe: © FRANCOFOLIES DE MONTRÉAL/VICTOR DIAZ LAMICH Par : Josée Larivée Source: Coup de pouce, juin 2015
 

On peut dire que Louis-Jean n'a pas peur de se mouiller. Il s'élève contre un gouvernement incapable d'aller chercher des fonds adéquats chez les industries qui devraient payer une plus juste part d'impôts. Il crie haut et fort que c'est un non-sens que les banques fassent des milliards de profits pendant qu'on parle au peuple d'austérité. Il s'élève publiquement contre les abolitions de poste des services publics de Radio-Canada. C'est d'ailleurs sa chanson Tout le monde en même temps qui servait de trame sonore à une vidéo où 125 personnalités se portaient à la défense de ce service d'État. Il s'est même présenté comme invité surprise au Cabaret La Tulipe, le 28 mars dernier, pour soutenir Alexandre Cloutier à titre de chef du Parti Québécois.

Ce coup de foudre politique pour l'aspirant chef trentenaire n'est pas étranger à l'éducation qu'a reçue le petit Cormier. Il a grandi au sein d'une famille de trois enfants à Sept-Îles, dans un foyer aimant. Son père, Marcel Cormier, avait d'abord été prêtre à Baie-Comeau, puis à Sept-Îles, avant de rencontrer Carmelle, celle qui allait convaincre son coeur de la suivre, elle, plutôt que de rester sur les sentiers du célibat. Pour la petite histoire, le père de Louis-Jean, passionné d'enseignement, était aussi chef de choeur, et c'est là qu'il a eu un petit coup de foudre pour l'une des voix de sa chorale. Il a quitté la prêtrise pour répondre à ce fameux appel de «fonder pays», comme on dit chez Gilles Vigneault. L'exprêtre et le poète ont d'ailleurs étudié ensemble au Séminaire de Baie-Comeau.

L'an passé, pour souligner le rayonnement de ce chanteur natif de Sept-Îles, la Ville a remis à Louis-Jean le Prix de l'Ordre du Mérite Nord-Côtier. «Ça m'a rendu heureux. Et ça m'a touché. Je suis aussi très fier du fait que mon père soit hautement respecté au sein de sa communauté. C'est un intellectuel capable de poser un regard éclairé sur les événements, ce qui fait qu'on se tourne encore vers lui, à 80 ans. Et de lui, j'ai hérité d'une bonne capacité à m'exprimer et à dire clairement et exactement ce que je pense.»

Quant à Carmelle, «une LeBreux de Petite-Vallée chez qui on chante, on swigne, on est authentique et engagé», sa passion pour l'enseignement s'est tournée en garderie familiale, ce qui allait lui permettre d'être là pour les trois petits qu'elle avait mis au monde. «J'ai grandi dans une maison où les convictions politiques et la prise de parole avaient toute leur importance, et ça fait de moi un meilleur citoyen. J'ai aussi grandi dans une maison remplie d'enfants, et je pense que ça fait de moi un meilleur papa.»

Louis-Jean Cormier s'attendrit en racontant une enfance très confortable, élevé par des parents attentionnés, dévoués, présents. «Mais il n'y avait pas de relation d'amitié, le fameux hommeà- homme, entre mon père et moi. C'est peut-être une question de génération. Enfin, ce fut ainsi... jusqu'à ce que vienne le golf dans notre vie! Et j'avoue que c'est peut-être l'enfant en moi qui a embrassé le golf, en comprenant qu'il me permettait ce contact privilégié père-fils. Mon frère et ma soeur ne jouent pas. C'était donc une activité privilégiée entre nous.» Il explique que son frère et sa soeur sont plutôt plongés dans les arts. Comme si lui ne l'était pas! «Je suis plutôt un in-between. J'évolue comme artiste, oui, mais je fais du sport et je m'implique en politique. J'ai le goût de changer des choses. Je ne sais pas toujours comment y arriver, mais je suis persuadé que la meilleure façon est bien quétaine, mais très efficace: je suis mon coeur.» Sur cette route, des milliers de fans marchent aussi.

Ce qu'il a dit...

  • Au sujet de la souveraineté: «Mes tournées au Canada anglais m'ont montré qu'on peut facilement se lier d'amitié avec un anglophone de Vancouver ou avec un francophone hors Québec de Winnipeg. Ce qui ne m'empêchera jamais de voir, de ressentir et de vouloir que le Québec soit un pays.»
  • Au sujet de la poésie: «Un jour, j'appelle chez Gilles Vigneault. Je veux lui demander un conseil. Sa femme répond. "Ah! Gilles est dehors, de toute évidence en train de fonder pays!" Il travaillait sur sa terre. J'ai été séduit. J'aime qu'on puisse insérer des brins de poésie dans notre quotidien.»
  • Au sujet des médias sociaux: «Je trouve qu'on passe trop de temps devant des écrans. Trop de temps sur les médias sociaux. J'essaie de m'en prémunir. J'éteins. Je me plonge dans un vrai livre. Ça me fait me sentir bien. Ça me repose.»
  • Au sujet de la famille: «J'ai l'impression que les gens de mon âge, et ceux dans la vingtaine, reviennent vers des valeurs plus familiales. Faire de la bouffe au lieu de s'approvisionner au rayon des surgelés. Passer du temps en famille. Inviter des amis. Faire des enfants. Il me semble que c'est dans l'air du temps.» 
  • Au sujet des Grandes Artères: «Je suis allé exactement là où je voulais aller. Je ne prétends pas avoir fait le texte le plus audacieux sur le marché. Je dis seulement que mon premier album, c'était une quête identitaire. J'étais un des maillons de Karkwa et j'avais besoin de dire au public qui j'étais en solo. Ce second album arrive après mon rôle à la télé, après la notoriété. Et je pense que je suis devenu plus indépendant. Ça goûte bon.»


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