Loisirs et culture

Rencontre avec Anne-Élisabeth Bossé

Rencontre avec Anne-Élisabeth Bossé

Julie Artacho Photographe : Julie Artacho Auteur : Coup de Pouce

Quand on s'est vues, elle s'apprêtait à partir pour Shanghaï. Elle avait réservé ses billets sur un coup de tête en furetant sur Internet la nuit. Elle partait avec un ami foodie. Elle était enthousiaste, fébrile, heureuse. Elle est comme ça, Anne-Élisabeth Bossé: une «vraie fine», comme elle qualifie elle-même les gens authentiques. «J'haïs ça, les "faux fins", les gens qui sont dans l'ego. Quelqu'un m'a dit un jour: Ego will ruin any blessing in your life. L'ego, ça t'empêche d'être vrai.» C'est peut-être pour ça que le public s'attache à ses personnages. Demandez aux auteurs qui écrivent pour elle: les petits rôles qui lui étaient destinés - Karine Pagé (30 vies) ou Lauriane Bernier (Toute la vérité) - sont devenus des personnages attachants qu'on souhaitait revoir dans les deux émissions. Accessible et pas compliquée, elle donne envie qu'on s'y colle.

Une beauté étrange

L'entrevue aurait pu s'arrêter là que l'essentiel aurait été dit. Mais j'avais entendu une histoire à son sujet, et je voulais savoir si c'était vrai. En pleine classe, au Conservatoire, une prof qu'elle aimait beaucoup s'est adressée aux finissants dont elle faisait partie. «Parmi vous, chacune pourra jouer les jeunes premières.» L'étudiante n'a pas eu le temps de se réjouir que l'experte ajoutait: «Sauf vous, peut-être, Anne-Élisabeth.» Les mots ont retenti dans le coeur de l'apprentie-comédienne. «Le pire, c'est qu'elle avait sans doute raison, confirme Anne-Élisabeth. Ces choses-là doivent être dites et comprises. Mais peut-être avec un peu plus de délicatesse...»

C'est peut-être pour ça qu'elle a développé un discours assez lucide au sujet de la beauté. «Une belle fille, dans la tête de chacun, a de grands yeux de biche, un nez retroussé, des traits fins. Moi, j'ai de gros traits, un grand front, un nez... un nez! J'ai une beauté, disons, étrange! Mes cheveux sont frisés comme des fils de vieux téléphone! Et j'ai passé beaucoup de temps à tenter de me camoufler, à me modifier par petits morceaux. Dès que j'ai eu de l'argent, après l'école, j'ai acheté un bon fer plat. J'ai toujours gardé une frange pour cacher mon grand front. Bon, je ne vais pas tout dévoiler... Mais, comment dire, j'en ai assez de faire ça! Je tente de plus en plus de me rapprocher de celle que je suis vraiment. Tu sais, quand on fait un bain de minuit, tu ne peux pas être celle qui ne va pas à l'eau parce qu'après, tu vas friser! Tu ne peux pas être cette fillelà! » Quand on lui fait remarquer qu'on peut très bien être cette fille-là, elle reprend: «Bien sûr qu'on peut. Mais on ne veut pas. Je ne veux pas être celle qui ne se baigne pas pour ne pas défaire sa mise en plis. J'apprends ça tranquillement. La vie est trop courte. Il faut partir à la mer. Il faut manger des pâtes. Il faut manger des fraises! Il faut friser! Si tu es dans une relation toxique, mets-y un terme! Si tu n'aimes pas ton appartement, déménage! La vie est vraiment, vraiment courte.»

Elle n'a pourtant pas grandi au sein d'une famille alarmiste. Papa policier et maman technicienne en radiologie. «Mon père est blagueur, et ma mère n'a pas d'ego quand vient le temps de rire. J'ai déjà lu, dans une entrevue à mon sujet, que mes parents ne m'avaient pas soutenue pour devenir comédienne. J'ai trouvé ça terrible de lire ça, et si je me suis mal exprimée, je rectifie. La vérité, c'est qu'ils m'aimaient tant qu'ils ont fait leur possible pour me protéger contre un métier sans lendemain. Être aimée, c'est le plus important, et je l'ai eu. Ça donne un solide plancher sur lequel reposer. Tu peux ensuite te propulser.»

Mais avant de penser à se propulser, Anne-Élisabeth a, plus simplement, pensé à gagner sa vie. Pour y arriver, en sortant du Conservatoire, elle s'est retrouvée à Toronto pour un contrat de pub. Même si elle insiste pour dire que ça ne se passe pas comme ça au Québec, elle a appris à la dure que son corps n'était qu'instrument - et objet de jugement - dans son métier. «Les trois producteurs discutaient entre eux, et j'entendais leurs commentaires. "She looks fat", disait l'un. "She looks too old", disait l'autre.» Elle ne veut pas répéter le troisième commentaire. «Ça va me faire trop mal de le lire dans Coup de pouce.»

Chez nous, les procédés et les manières de dire sont plus attentionnés, mais il reste que la première chose qu'on s'empresse de demander à une comédienne, une fois qu'elle a obtenu le rôle, ce sont ses mensurations! «Si elles sont différentes de celles publiées dans ton CV et, donc, sur ton site Internet, tout le monde apprend que tu as engraissé! Le public voit le côté glam de la vie d'actrice, mais la réalité, c'est aussi de se retrouver en bobettes devant des étrangers qui te jugent. (Elle rit.) Il faut aimer son métier!»

L'importance de la famille

Impossible de parler famille sans que l'actrice, qui vient d'avoir 30 ans, évoque son frère, Jean-David, né le 23 juillet 1983, alors qu'elle est née le 24 juillet 1984. «Il existe une photo de lui et moi qui me parle beaucoup. On se tient par le cou. Ma mère voulait qu'on regarde l'objectif, mais au moment de prendre la photo, je me suis tournée et je lui ai dit à l'oreille: "Ne regarde pas!" Cette image est magnifique. C'est un peu nous deux contre le monde (ils avaient 10 et 11 ans quand leurs parents se sont séparés), moi qui entraîne mon frère vers la rébellion. Enfant, j'étais un peu son porte-voix; s'il ne s'exprimait pas, je le faisais pour lui.»

Aujourd'hui, Jean-David Bossé est ingénieur en informatique et Anne-Élisabeth s'est fait connaître pour certains rôles marquants, au cinéma dans Les Amours imaginaires, à la télé dans 30 vies et dans Toute la vérité, notamment. Si elle avait écouté l'orienteur de son école, elle serait devenue actuaire. «J'étais une petite bolle. J'avais réussi mes maths fortes, mes sciences, et ma mère voyait tout ce potentiel un peu gâché. J'aurais pu me promener avec un tailleur marine, calculer toute la journée et rentrer chez moi au volant d'une BMW!»

Quand on lui fait remarquer qu'avec son talent, elle se paiera bien une BMW si ça lui chante, sa réponse est instantanée. «Je suis tellement pas char! J'ai peur de conduire! Et tellement pas produits de luxe, non plus... C'est peut-être parce que je n'ai pas assez d'argent que je dis ça, mais à partir d'un certain niveau, je suis satisfaite. Si tu peux partir en vacances décemment, une ou deux fois par année, si tu peux aller à l'épicerie et mettre tout ce qui te tente dans le panier, et te vêtir selon tes goûts et tes besoins, je trouve que tu es assez riche. (Elle réfléchit.) Oui, peut-être qu'après la bouteille de vin à 25$, tu ne veux plus retourner à celle à 12$. Quand tu as connu le luxe d'une chambre d'hôtel avec de grosses robes de chambre et un spa, tu ne retournes plus au motel au bord de l'autoroute. Je sais ça, aussi. J'espère que je pourrai toujours me satisfaire d'un motel de bord de route. J'aimerais ça, ne pas trop mal vieillir.»

Le luxe, pour elle, en ce moment, c'est un toit qui lui appartient. «Je viens d'acheter une maison. Un duplex que j'ai acquis avec mon frère. Quelle satisfaction! C'est vraiment un grand affranchissement! (Elle rit, encore surprise d'un tel effet.) C'est tellement satisfaisant, je n'en reviens pas! On me dit désorganisée - tu sais, le genre de profil qu'on attribue aux artistes -, eh bien, j'ai l'impression d'avoir fait craquer le moule! J'ai réussi à négocier une hypothèque, à aller chez un notaire, à discuter d'assurances! C'est toute une étape! Je suis tellement fière de moi.» Et elle ajoute, avec toute la tendresse du monde: «Et reconnaissante envers mon frère.»

Ce frère-là, lorsqu'elle en parle, donne envie à la planète entière d'avoir un grand frère. «Disons que je fais un pain aux bananes. (L'exemple la fait rire, elle qui cuisine si peu.) J'appelle mon frère. "As-tu un plat en pyrex?" Bien sûr, mon frère en a un. Je le lui emprunte. Je le lui remets avec du pain aux bananes dedans. Je pars pour le week-end. Quand je reviens, je trouve sur le coin de ma table un set de trois plats en pyrex. À côté, un bout de papier. C'est écrit: Pour toi.» Elle fait non de la tête, incrédule, avant de poursuivre. «Quand je suis sortie du Conservatoire, je n'avais pas une cenne. Il fallait que j'envoie des CV. Mon vieux PC poche m'a lâchée. J'étais désespérée. Trois jours plus tard, mon frère est débarqué chez moi. Il avait acheté un ordi et une imprimante. "J'ai pensé à ça, si tu as des textes pour des auditions, va falloir que tu les apprennes... Ça va te prendre ça." Et mon frère n'était pas riche. Il vivait avec un coloc. J'ai su plus tard - c'est ma mère qui me l'a dit - qu'il le payait tant par mois.» On ne s'étonnera plus de savoir que pour Anne-Élisabeth, le luxe, ça ressemble plus souvent à un pain aux bananes fait dans un plat emprunté qu'à une BMW.

Les plaisirs d'Anne-Élisabeth

1. Les voyages. Je veux bien aller dans les tout-inclus, parfois c'est tout ce dont on a besoin, mais je n'ai pas une super peau pour le soleil, alors au bout d'un moment, je me demande ce que je fais là. Pour cette raison, je préfère la forêt amazonienne du Costa Rica, où tu loues une jeep et tu pars à l'aventure.

2. À table. J'aimerais tellement dire: «Oui, je cuisine!» J'aime tout. Les sushis, la pizza, les mets chinois, le tartare, la cabane à sucre, le charcoal. Je bois de tout: vin, bière, vodka, rhum. J'aime tout, et je suis gourmande de tout.

3. Mes lectures. Mon livre fétiche, c'est Bonjour tristesse, de Françoise Sagan. Ça parle un peu de séduction, de jeunesse, de libertinage, d'amour, mais de manière très poétique et sensible. Ce n'est pas mièvre. Je trouve que ça me ressemble, ce livre-là. Aussi, L'Insoutenable Légèreté de l'être, mon classique, que tout le monde haït, alors que je trippe. J'aime Kundera en général.

4. Bla-bla-bla. Y'a rien de plus le fun que de jaser. Être invitée à souper, c'est super. Tous mes amis cuisinent bien. J'apporte toujours une bouteille, et je m'engage à être d'excellente compagnie. Et je fais la vaisselle!

5. Les retraites de bord de mer. J'en ai fait une à Santa Teresa, au Costa Rica. L'objet demeure d'amener ta respiration à un rythme où tu te sens en communion avec tout. Donc, ici, il faut amener ta respiration avec le rythme du bord de mer...

6. Le yoga. On juge la recherche, la quête de spiritualité. On trouve ça dépassé et on en rit facilement. Mais à mes yeux, le yoga, c'est la recherche contemporaine de spiritualité. Et le yoga, c'est bon pour ma concentration! Ça ramène à l'instant présent. Ça se pratique dans l'amour de soi. C'est du temps de qualité que tu t'offres. J'aime le yoga parce que quand tu es fatiguée, tu arrêtes.

Échange de coups

  • Coup espéré. Des enfants. J'espère ne pas passer à côté de ça, dans la vie. Mais je n'en veux pas à tout prix. Pas de bébé d'un ami gay, genre. Je veux le vrai amour, avec une famille. Sinon, rien. J'ai joué avec ma bedaine dans Toute la vérité, et j'ai aimé ce feeling!
  • Coup de klaxon. J'ai un permis de conduire. Merci, maman, qui m'a forcée, à 16 ans, même si je détestais ça!
  • Coup répété. J'ai repris un cours de conduite, après 10 ans. La monitrice n'en revenait pas! «Tu as un permis et tu suis un cours quand même?»
  • Coup pendable. J'haïs tout des coups pendables. Faire peur aux autres pour le plaisir, non merci!
  • Coup de griffe. Contre les coupures en culture.
  • Coup de coeur. Kristen Wiig, de Saturday Night Live. Pour son visage atypique et parce qu'elle est drôle.
  • Coup de blues. Les fins. Quand les tournages s'arrêtent, un blues terrible m'envahit. Je ne peux pas croire que les gens que j'ai côtoyés quotidiennement ne feront plus partie de ma vie. Ça me bouleverse au point d'en pleurer.
  • Coup de massue. Le gym! Il y a quelque chose que je trouve fou là-dedans. On fait pas l'affaire pour vrai, on fait semblant! Au spinning, on fait semblant de faire du vélo. Sur le tapis roulant, on fait semblant de se déplacer. On fait semblant!
  • Coup de balai. Je suis tannée de ne pas m'aimer! Ça, il faut que ça change! Et ça n'a rien à voir avec plaire! Ça se passe avec moi-même. J'en ai assez d'être dans la cabine d'essayage, de regarder mon corps et de devoir me retourner pour cesser de me voir! Je veux me libérer, m'affranchir de ce grand complexe global! Le pire, c'est que toutes mes amies sont de même! Ça touche tellement de filles! Moi, ça m'étouffe, mais certaines filles vont jusqu'à en mourir.
  • Coup rêvé. Ce qui serait formidable si j'étais riche, riche, riche? Emmener ceux que j'aime en Italie! Mes amis, mon frère, name it! J'irais aux Cinque Terre. J'ai vu des photos, et ça m'a marquée. C'est le fun, en voyage, qu'il n'y ait pas trop de touristes et que tu aies l'impression de toucher à l'âme des gens, et non à leurs Walmart .

 

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