Loisirs et culture

On rencontre Emmanuel Bilodeau

On rencontre Emmanuel Bilodeau

Auteur : Coup de Pouce

Au printemps 2011, le soir du Gala des Jutra, Emmanuel Bilodeau avait au fond de sa poche un discours humoristique rédigé «au cas où». En nomination pour son rôle dans le film Curling (2010), où il jouait avec sa fille Philomène, il se devait de préparer ce texte de remerciements, même s'il se souvient n'avoir pas cru un instant qu'il pourrait gagner. Avant le début de la cérémonie, il a même offert son petit laïus à François Papineau et à Claude Legault, deux têtes d'affiche qui, à ses yeux, avaient bien plus de chances que lui de monter sur scène. Finalement, c'est Legault qui a raflé le prix. Il a remercié dans ses propres mots.

Deux semaines plus tard, Emmanuel a présenté une partie de ce fameux discours sur le plateau de Tout le monde en parle. Nicolas Boucher, alors directeur à la programmation des Galas Juste pour rire, a donné suite, invitant le comédien à présenter son numéro. Tonino Tomato, politicien «expert en crossage» inventé bien avant la Commission Charbonneau, était en voie de voir le jour sur scène. Et Bilodeau, tour à tour journaliste, avocat et comédien, venait d'ajouter une corde à son arc déjà fort garni.

Humour et engagement

«J'ai été surpris que des producteurs s'intéressent à mes niaiseries», lance humblement le nouvel humoriste de 48 ans. Il dit «niaiseries », mais ajoute du même souffle qu'il veut faire réfléchir. «En politique, je réponds: présent. Attiser l'intérêt pour la souveraineté, par exemple, c'est une valeur qui me vient de mes parents. Mon père était franco-ontarien et ma mère, franco-manitobaine. Mes parents ont combattu l'assimilation. Je ne vais pas me lancer en politique demain matin, mais je veux contribuer à éveiller les consciences. Je suis un citoyen engagé, j'aime ma nation et j'ai envie de faire quelque chose pour ma langue, ma culture, mon environnement. Faire rire a toujours été un rêve, mais ça devient soudain un moyen à ma portée. Des producteurs me téléphonent parce qu'ils me veulent comme humoriste. C'est l'équivalent de gagner un Oscar.»

Ce genre d'Oscar lui a été offert de multiples fois. Mais c'est à la productrice Julie Snyder, croisée par hasard lors de vacances aux Îles-de-la- Madeleine, qu'il a dit oui. L'histoire ne dit pas si c'est grâce à leur hypochondrie commune, mais la démone et le néo-comique ont sympathisé. «Je sais qu'elle et PKP nous ont invités par politesse, Edith et moi, et on est allés pour la même raison. En vacances, tu ne cours pas après ce genre d'invitation-là!» lance l'irrévérencieux Emmanuel. En fait, il dirait n'importe quoi pour éviter de se vanter de discuter directement avec des Julie, des PKP ou des Pauline Marois. «On a parlé de maladie non stop, lâche-t-il. Elle m'a diagnostiqué un paquet d'affaires et en prime, elle a vu juste!»

Avis à ceux qui se disent non politisés, avec zéro envie de passer une soirée à se faire rincer les oreilles au sujet des lieutenants de Stephen Harper ou des stepettes de Justin Trudeau: Emmanuel Bilodeau ne baigne pas dans cet humour-là. Sa démarche est singulière et évoque un mélange de Sol dans le verbe et d'Yvon Deschamps dans la finesse du propos. On se souvient que ce grand monologuiste pouvait, sur scène, faire semblant d'encourager un homme à battre sa femme alors qu'il a soutenu Le Chaînon toute sa vie. L'implication sociale et politique d'Emmanuel Bilodeau lui permet le même genre de liberté: s'il fait de la politique sur scène, il s'agit de politique incarnée dans notre quotidien.

Sur scène - comme dans la vie, disent ses amis -, il dénonce le gaspillage, la corruption, le mensonge, le louvoiement des gens au pouvoir et le chialage de ceux qui manquent de pouvoir, les effets des multinationales qui s'installent au Québec, l'anglicisation de la nation québécoise, mais il touche aussi au couple et à la famille, et raconte même des grands bouts de son enfance. Ainsi, celui qui «ne veut pas faire rire à tout prix» parvient à être drôle et touchant.

La panique en héritage

«Je suis saccadé, hachuré, nerveux. Ça me vient de mon père, c'est dans ma personnalité. Là, en plus, je suis père d'une vieille adolescente, ou d'une toute jeune femme, ça dépend, et de deux petits monstres adorables mais grouillants. Ma blonde, elle (la comédienne Edith Cochrane, la psy d'Unité 9 et la mère de ses deux fils), travaille comme une folle et trippe beaucoup actuellement. Moi, je suis plutôt dans la panique. Heureusement qu'elle garde un oeil bienveillant sur moi! Je suis du genre à penser qu'on va mourir demain, alors, je me dépêche. Mes périodes d'écriture sont aussi hachurées que le ton sur lequel je m'exprime - ce qui n'est pas l'idéal -, et franchement, je me demande encore comment j'ai réussi à écrire ce show-là. En fait, c'est grâce à mon cabanon, dans lequel je peux me réfugier, parce qu'à la maison, je n'ai pas de bureau pour me cacher de mes enfants!» Et le voilà parti. De fil en aiguille, en discutant de ses petits, il vous ramène à sa petite enfance, à lui.

«On sortait peu, avec mon père, qui était un être fondamentalement inquiet. D'abord, avant de partir, il disait qu'on ne trouverait jamais de stationnement. Souvent, pour cette raison, on restait à la maison! Aujourd'hui, si je voyage à vélo 12 mois par année, c'est bien sûr par conviction écologique, mais aussi par peur de manquer de stationnement! Et puis, avec 12 enfants, Papa était toujours en train de nous compter. (Il marmonne d'une voix nerveuse, l'index en l'air, imitant le père mort d'inquiétude qui compte sa marmaille: «Danielle, Maxence, Julie, 1, 2, 3, Emmanuel... Où est Emmanuel? Ok, il est là. 4...») Nous nous empilions à 14 dans une vieille Ford familiale en bois. Je ne sais pas comment mes parents ont fait pour ne pas devenir fous, mais je comprends pourquoi papa était tendu!»

Emmanuel, lui, pour relâcher la tension héritée du paternel, s'est mis à l'écriture. Mais, comme par seconde nature, il s'est remis de la pression en décidant de monter sur scène. «C'est à la fois traumatisant et grisant. Je suis condamné à souffrir!» La comédienne Josée Deschênes, qui joue sa femme depuis 2010 dans Tranches de vie, confirme que son ami devient si angoissé à l'idée de faire son numéro qu'un jour, elle lui a lancé: «Cout' donc! Arrête! Pourquoi tu fais ça?» «Mais au fond, dit-elle, je le sais. Le canal de l'interprétation était devenu trop étroit pour lui. Emmanuel a des choses à dire. Et il fait sa place parmi les humoristes parce qu'il est extrêmement singulier. Il peut nous noyer de paroles - comme Marc Labrèche, mais au cube -, parler sans filtre et sans retenue. Il nomme les choses, lance des vérités, mais ne s'exclut jamais de ce qu'il dénonce et fait preuve d'une extrême humilité. Résultat, on lui pardonne ce qui serait considéré dans la bouche de bien d'autres comme la pire saloperie!»

Dernier-né de la famille et conçu trois mois seulement après la naissance d'un couple de jumeaux, Emmanuel Bilodeau s'est questionné sur des éléments aussi inusités que ce qui se passait dans le monde pendant sa conception et sa naissance. «J'ai été fabriqué dans un contexte de menace nucléaire et où le monde était frappé par l'assassinat de John F. Kennedy. Plus près de nous, un accident d'avion avait fait 118 morts à Sainte-Thérèse, et on suivait le procès de Léopold Dion, un pédophile accusé de quatre meurtres. On se demandera, après, pourquoi je suis angoissé! Mes enfants ont la morve au nez, et me voilà à croire qu'ils ont le cancer des sinus. Je crois que les gènes, la culture et l'environnement constituent l'essence de ce que nous sommes. Sur le plan familial, ma mère, après l'accouchement, a d'ailleurs dû se dépêcher de faire un gâteau pour fêter le premier anniversaire des jumeaux... Pas étonnant que je sois né avec l'impression de déranger!»

La conversation s'enchaîne. Emmanuel passe du passé au présent, de la drôlerie à la réflexion, du métier à la vie, tout comme il se prépare à le faire sur scène. Pendant que vous lisez cet article, il travaille sans doute comme un forcené. «Il a du pain sur la planche, conclut Josée Deschênes, mais Emmanuel est un gros travaillant! À mon avis, ce n'est pas cette année qu'il va se mettre à engraisser!»

Les plaisirs d'Emmanuel

1. Lire Hubert Reeves. Bon, ce n'est pas un plaisir tout rose, parce que ce qu'il raconte est alarmant! Disons qu'on ne lit pas du Reeves comme on lit de la poésie. Ce n'est pas ce genre de plaisir-là. Mais cet humaniste explique à merveille comment on surexploite nos ressources. Ainsi, l'eau, la terre, l'air, tout ce qui nous tient en vie est menacé. On joue avec l'équilibre du monde comme si de rien n'était. Mon plaisir, là-dedans? Demeurer conscient!

2. Pratiquer le Chi Gong. Il s'agit d'une gymnastique traditionnelle chinoise. C'est ni plus ni moins qu'un apprentissage du contrôle de la respiration. Ce sont des mouvements lents qui aident à la concentration - c'est ma contribution pour combattre mon déficit d'attention!

3. Voyager à vélo. Être vert, être léger et... ne pas avoir à vivre les affres du manque de stationnement!

4. Aller au parc avec mes enfants et jouer au soccer, tout doucement. Voir mes trois enfants ensemble, sans rien faire de particulier, est un immense bonheur en soi.

Coups en série

Sacré coup. Quand j'ai appris que ma blonde avait raison: mes arrêts respiratoires entre deux ronflements n'avaient rien de normal. Confirmation médicale à l'appui: je souffre d'apnée du sommeil.

Grand coup. Le premier soir où j'ai dormi avec mon masque de scaphandrier. J'étais effrayé! Imaginez ma blonde...

Coups répétés. Tous les autres soirs depuis. Je ne suis pas beau, mais je dors bien. Et puis, pas beau... ça dépend!

Coup inattendu. Emmanuel Bilodeau, humoriste!

Premier coup. Lion d'or, premier show en rodage. Je porte les fausses lunettes de Tony Tomato. Succès. J'enchaîne avec le deuxième numéro. Mais je n'arrive plus à lire mes notes. Cela provoque un malaise, qui passe de mental à physique. Je me dis: «Merde, je fais un ACV sur scène!» Je ne suis plus concentré. Je capote. Je le savais que j'allais mourir jeune! J'ai du mal à respirer! Je vais m'écrouler! Jusqu'à ce que j'entende ma blonde, assise tout près de la scène: «Chéri! Remets tes lunettes.» J'avais gardé celles de Tony sur le nez, je n'ai pas vu venir la shot... Morale? Une chance qu'Edith est dans ma vie!

Coup de gueule. Quelqu'un, un jour, a dit: «On n'arrête pas le progrès.» Collectivement, on a décidé d'y croire. On s'en sert même comme d'un stupide leitmotiv au service de la consommation. Quelle bêtise! Le progrès doit rester au service de l'humain, et non l'inverse.

Coup vert. Je les regarde passer, les Hummer. Ils me dépassent! On croirait que les cyclistes n'aiment pas les Hummer. Mais la vérité, c'est que je trouve ça tellement beau! J'aimerais tellement en avoir un! Et avec mon nouveau salaire d'humoriste, je pourrais sans doute m'en payer, des Hummer! Mais ce genre de choix supposément personnel devient discutable quand il a un impact environnemental, écologique et social. La Terre est un bien commun qu'on n'a pas le droit de détruire à petits coups de hache personnels.

Coup hardi. Je suis devenu papa de Philomène il y a 17 ans. Tu lui disais: «Non, touche pas» et elle ne touchait pas! Le rêve. Je pensais innocemment que c'était ça, être parent. Puis, j'ai eu deux charmants garçons. Paul-Émile et Siméon ont 3 et 5 ans. Dis «Non, touche pas», juste pour voir s'ils vont écouter... Je ne sais pas si c'est parce que je suis plus vieux, mais c'est rendu pas mal plus exigeant, être parent!

Coup double. Avoir joué auprès de ma fille dans le film Curling. (Son humilité l'empêche de mentionner qu'il a reçu, pour sa prestation, le prix Léopard d'interprétation masculine au Festival de Locarno, en Suisse. Ses proches rapportent que, dans son discours de remerciements, il a simplement mis sa victoire sur le compte d'une bonne fausse moustache et de sa capacité à avoir l'air bête pendant une heure et demie!)

Coup calculé. Ça me prendrait 6 mois à temps plein pour arriver à monter mon show comme du monde. Mais la vérité, c'est que j'ai trois enfants et qu'ils sont ma priorité. Je veux être là pour eux. Et j'y suis. La famille, c'est précieux.

Beau coup. Avoir incarné René Lévesque. Je pense que mon père, de là-haut, a dû être fier!

Pour en savoir plus: emmanuelbilodeau.com.

 

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