Santé
Probiotiques: bactéries miracles?
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Les probiotiques peuvent garder les intestins en santé. Mais soulager le stress et la dépression... aussi? On fait le point.
Tout le monde, ou presque, a mal au ventre. Selon une enquête nationale menée en mars 2015 pour le compte de Vitamines Jamieson, 79% de la population a souffert au cours de la dernière année de troubles digestifs, tels que des gaz, des ballonnements et de la diarrhée, dont 34% la semaine précédant le sondage. Il y a donc quelque chose qui ne tourne pas rond dans notre intestin. On devine aussi que notre rythme de vie moderne (stress, alimentation industrielle, malbouffe, pollution, etc.) est le pire ennemi de notre système digestif.
L'an dernier, Giulia Enders, une jeune Allemande inscrite au doctorat en médecine, a décidé de remettre au goût du jour un organe souvent ignoré, mais qui joue un rôle clé dans l'organisme: l'intestin. Dans Le charme discret de l'intestin: Tout sur un organe mal aimé..., elle explique avec humour le rôle de la flore intestinale dans divers problèmes de santé comme le surpoids, la dépression, les maladies de peau et les allergies. Malgré son sujet peu sexy, le bouquin s'est vendu à près d'un million d'exemplaires en Allemagne et sera publié dans 26 pays: un succès qui prouve que notre bas-ventre ne nous a jamais autant préoccupés... et pour cause! Chez les Canadiennes, le cancer colorectal constitue la troisième cause de décès par cancer.
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C'est dans ce contexte que les probiotiques entrent en scène. Ceux qu'on appelle les «bonnes bactéries» semblent s'imposer comme la solution à tous nos maux. Dans les faits, sont-ils un remède miracle, un produit de marketing... ou quelque chose entre les deux?
Une flore intestinale unique
On ne peut aborder les probiotiques sans d'abord expliquer le système dans lequel ils évoluent. Notre intestin est peuplé de 100 000 milliards (oui, 100 billions!) de bactéries, bonnes et mauvaises. Composés de 1000 à 1500 espèces différentes, ces microorganismes forment une flore intestinale riche et diversifiée.
«Notre corps se compose de 10 fois plus de bactéries que de cellules humaines, rappelle Patrick D. Paquette, microbiologiste agréé et président de l'Association des microbiologistes du Québec. Et la majorité d'entre elles se trouvent dans le côlon, où elles créent un véritable écosystème. Notre flore intestinale peut représenter jusqu'à 2 kg de notre poids corporel!»
Mais l'intestin n'est pas qu'une zone de digestion. «Il bénéficie d'un système nerveux qui lui est propre, appelé système entérique, où logent autant de neurones (200 millions!) que dans la moelle épinière», explique Richard Béliveau, docteur en biochimie et directeur scientifique de la Chaire en prévention et traitement du cancer de l'UQAM. C'est pourquoi certains nomment l'intestin notre deuxième cerveau.
Malgré ces chiffres impressionnants, l'écosystème de notre flore intestinale demeure fragile. L'alimentation, mais aussi le stress, la pollution, l'âge et la prise de médicaments sont quelques-uns des facteurs extérieurs qui la modifient et perturbent son précieux équilibre. Même si les chercheurs ne s'entendent pas sur la définition d'un microbiote sain, on sait que la clé d'un système digestif en santé réside dans la diversité de ses bactéries.
Good cop, bad cop
Pour remplir ses fonctions adéquatement, la flore intestinale doit être constituée en majorité de bactéries bénéfiques pour la santé, ce qui empêche les bactéries pathogènes - les mauvaises bactéries - de se développer et d'entraîner divers maux (infection, diarrhée, intoxication alimentaire, etc.). «Parmi les bonnes bactéries, les probiotiques sont celles qui ont le plus d'effets positifs sur la flore intestinale et sur la santé en général», affirme Jean-Yves Dionne, pharmacien et expert en produits de santé naturels.
L'intérêt des chercheurs pour les probiotiques ne cesse de croître et les recherches sur leurs bienfaits continuent de se multiplier. On sait qu'ils stimulent le système immunitaire contre les allergies et les infections, renforcent la muqueuse intestinale et protègent l'organisme contre les invasions bactériennes et virales, en plus d'agir à plusieurs niveaux pour prévenir la formation de tumeurs cancéreuses. Ce n'est pas tout: ils améliorent le transit intestinal et la régularité en transformant les fibres alimentaires que notre estomac ne digère pas (les prébiotiques), ils produisent des vitamines et ils contribuent au métabolisme du lactose ainsi qu'à l'absorption des acides gras, des protéines et des minéraux. Ils préviennent l'entérocolite nécrosante (inflammation de l'intestin) chez les bébés prématurés de même que les coliques des nouveau-nés. «Les probiotiques sont également employés pour prévenir et traiter la diarrhée des voyageurs (turista), les diarrhées infectieuses comme celles qui sont causées par la bactérie C. difficile ou par un traitement aux antibiotiques, renchérit Richard Béliveau. Ils sont aussi utilisés pour prévenir les rechutes de la colite ulcéreuse et soulager les symptômes du syndrome de l'intestin irritable.»
Malgré cette liste imposante de bienfaits, aucun probiotique ne peut encore se vanter de régler tous les maux. «Le terme probiotique est très générique: il englobe quelques centaines de souches différentes. Il faut savoir que chaque souche a son effet propre et qu'une même bactérie possède plusieurs souches qui peuvent produire des effets diamétralement opposés, souligne Patrick D. Paquette. On peut faire le parallèle avec les antibiotiques: chacun a une composition unique et règle un problème spécifique. Dans le cas des probios, on parle plutôt de la souche spécifique qui est à l'origine de l'effet.»
Des probios, où ça?
Yogourt, choucroute, kéfir, kimchi, kombucha, miso, tempeh... Quand on mange des aliments fermentés, on mange littéralement des probiotiques! «L'alimentation reste la meilleure source de probiotiques. Plus que de la souche X ou Y, les produits probiotiques sont porteurs d'un monde en soi, précise l'expert en produits de santé naturels Jean-Yves Dionne. Le kéfir, par exemple, est un aliment hyper complexe, qui se compose de 24 bactéries et de 17 levures différentes.» Puisque les probiotiques ne sont que de passage dans l'intestin (ils sont emportés avec la matière digérée), la fréquence de leur consommation est primordiale: ils doivent être ingérés au moins trois fois par semaine. Et c'est ici que le bât blesse...
«Les études démontrent que c'est la diversité de l'alimentation qui importe dans le bon maintien de la flore intestinale, rapporte Richard Béliveau. Une personne qui mange de façon équilibrée, et variée surtout, aura un microbiote en santé. Le problème, c'est que 75% du panier d'épicerie des Nord-Américains sont constitués de produits industriellement transformés, des aliments qui ne donnent pas aux bactéries les nutriments nécessaires pour se développer.»
Résultat: on nous propose de consommer les bactéries «amies» dans des aliments supplémentés en probiotiques (yogourts, laits, jus, céréales...) ou carrément sous forme de suppléments (capsules, poudres à dissoudre, comprimés, produits laitiers fermentés...). Ces bactéries peuvent être d'origine humaine, végétale ou animale. Les deux grandes familles de bactéries les plus étudiées - qui se trouvent donc le plus souvent dans les suppléments - sont les Lactobacillus (d'origine laitière) et les Bifidobacterium (d'origine humaine).
Le problème avec les probiotiques
Certains suppléments se composent d'une seule bactérie (monosouches), tandis que d'autres offrent une diversité d'espèces (multisouches). Les produits peuvent être réfrigérés ou non, selon qu'ils renferment des bactéries vivantes ou lyophilisées; ces dernières, séchées à basse température, restent en dormance jusqu'au contact avec l'organisme. «L'effet varie beaucoup selon les souches utilisées, et le véhicule dans lequel elles sont vendues peut influer sur leur efficacité», fait remarquer Jean-Yves Dionne, qui admet que cette grande diversité de suppléments complique le choix des consommateurs.
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De plus, comme chaque personne possède un microbiote unique, aucun supplément ne s'avère efficace pour tout le monde. «Si on en croit certains fabricants, le simple fait de manger un produit laitier supplémenté peut nous guérir de pratiquement tous les maux liés au système digestif», note Jean- Yves Dionne. Il déplore - comme plusieurs - le manque d'études scientifiques et cliniques pour soutenir les arguments de vente des entreprises qui commercialisent les produits liés aux probiotiques. «Personne ne met en doute les bienfaits des probiotiques en général, poursuit le pharmacien. C'est l'effet d'un produit particulier ou d'une souche spécifique qui n'est pas assez souvent démontré.»
Pour Richard Béliveau, il est certain que les suppléments de probiotiques ne surpasseront jamais, en qualité, ceux qu'on retire de notre alimentation. «Les quatre ou cinq souches contenues dans un supplément ne pallieront pas une alimentation pauvre, avance-t-il. Je ne dis pas que c'est mauvais de prendre des suppléments, mais mieux vaut penser "aliments" plutôt que "suppléments". On ne respecte pas l'incroyable complexité du fonctionnement du corps en "pilulisant" notre santé.»
Alors, on en prend ou pas?
«Même si ça fait 100 ans qu'on parle de probiotiques, leur compréhension demeure relativement récente et les recherches sont encore embryonnaires », affirme Richard Béliveau. Ce qui explique qu'il n'y ait pas de réponse précise aux questions: Doit-on en prendre tous les jours? Selon quelle dose? Tirés de quelles souches? Et sous quelles formes?
«Il faut prendre des suppléments de façon préventive chaque fois qu'on prend des antibiotiques, surtout les enfants, soutient Jean-Yves Dionne. En plus de prévenir la diarrhée, cela réduit les risques de complications à long terme.» Il est préférable de porter notre choix sur les produits qui contiennent entre 5 et 10 milliards de bactéries de souches différentes, bien identifiées sur l'emballage. Au besoin, le pharmacien, le naturopathe ou le nutritionniste saura nous conseiller.
«Les aliments commerciaux supplémentés, comme les yogourts, contribuent globalement à maintenir le bon fonctionnement du système digestif et à prévenir les maux qui lui sont associés. Mais plus on recherche un effet particulier, plus il faut se renseigner sur les produits potentiels et vérifier si l'effet promis par les fabricants est documenté scientifiquement et cliniquement », conseille Patrick D. Paquette. Mais comment savoir si un produit aura vraiment l'effet recherché? «Il faut recourir à la méthode essai-erreur», conclut le microbiologiste.
Les contre-indications
Les contre-indications aux probiotiques visent surtout les gens immunosupprimés. «Les suppléments de probiotiques sont sécuritaires et produisent peu d'effets secondaires, même si certaines personnes peuvent ressentir un léger inconfort intestinal durant les premiers jours à cause du changement de la constitution du microbiote», soutient Jean-Yves Dionne. Il faut aussi savoir que les bienfaits des probios cessent en même temps que leur utilisation, parce que les bactéries ne sont que de passage dans l'intestin. «Il n'y a pas de dose maximale et on peut en prendre tous les jours sans problème», ajoute-t-il.
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