Santé
Le poisson et le mercure: risquez-vous d’être «empoissonné»?
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Le poisson, qui nous donne si bonne conscience nutritionnelle, est l’un des innocents porteurs d’un redoutable toxique, le mercure. À quels risques sommes-nous vraiment exposés?
Sous certaines conditions physico-chimiques (acidité, anaérobie), et avec le concours de bactéries spécialisées, le mercure, qu'il soit naturellement présent dans l'eau des lacs, des rivières ou des océans, ou qu'il s'y trouve suite aux débordements de l'activité humaine, se transforme en une substance appelée «méthylmercure». De gênant, le mercure devient alors carrément dangereux.
La toxicité amplifiée par la chaîne du vivant
En effet, c'est sous cette nouvelle forme que le mercure est capable de pénétrer dans la chaîne alimentaire. Il contamine le plancton par simple absorption. Sa quantité n'est pas encore toxique pour le vivant. Le plancton est ensuite ingéré par des petits crustacés, eux-mêmes consommés par des petits poissons. À chaque maillon de la chaîne, la charge toxique de méthylmercure s'amplifie. Les petits poissons et leur bagage de méthylmercure sont ingérés par les poissons carnivores, eux-mêmes mangés par leurs prédateurs, comme l'homme. Les études scientifiques montrent qu'entre sa présence dans l'eau et son ingestion par les poissons prédateurs, le taux de méthylmercure est multiplié par 10 000 000. Ce phénomène de multiplication de la concentration s'appelle la bioaccumulation.
Un pêcheur averti en vaut deux
La consommation des espèces de poissons les plus exposées pourrait constituer un risque pour votre santé. C'est pourquoi les gouvernements émettent des avis en matière de consommation de poissons.
Au Québec, par exemple, il existe un guide répertoriant les 849 sites de pêche et les 40 espèces de poissons que vous pourriez, par une belle journée de printemps, ramener fièrement chez vous. Ce guide recommande aux Québécois de ne pas consommer plus de deux repas de brochet par mois et ce, quelle que soit la recette.
Vif-argent de lac, mercure de conserve
Peut-être que la pêche n'est pas votre hobby et qu'ainsi, vous ne vous croyez pas à risque. Vous ouvrez plutôt une boîte de thon blanc à l'eau pour l'incorporer à votre fameuse omelette au basilic que vous mangez si souvent: rapide, délicieuse, et éco... toxique. C'est dans l'édition électronique du journal de la faculté des Sciences de l'UQAM que vous pourrez lire les résultats de l'étude de Donna Mergler, professeure émérite. Elle y explique que le thon blanc en conserve contient sept fois plus de mercure que le thon pâle, et que certains lots en renferment une dose qu'on ne devrait pas ingérer plus souvent qu'une fois par semaine, selon Santé Canada.
Réalité du danger: que disent les scientifiques?
Bien des études se penchent sur les boîtes de poisson. Une, en Arabie Saoudite, soutenait que le mercure contenu dans les boîtes de thon restait dans des limites acceptables selon les normes de l'OMS. En revanche, une autre étude menée aux États-Unis révélait qu'une boîte de thon blanc sur quatre contenait une quantité de mercure dépassant la limite suggérée par la FDA (Food and Drug Administration).
En 1958, la prestigieuse revue scientifique The Lancet révélait ce qui est encore considéré aujourd'hui comme l'une des plus grandes catastrophes écologiques: la maladie de Minamata. Une pollution au mercure sans précédent issue des rejets d'une florissante usine pétrochimique avait contaminé plus de deux millions de personnes au Japon. Cet événement révéla les symptômes d'une intoxication sévère au méthylmercure: troubles visuels, déficits de l'audition, perturbations du système olfactif et gustatif, démarche ataxique, maladresse, désordres psychiatriques. Le mercure venait d'acquérir sa sinistre étiquette de neurotoxique.
Des effets du mercure à faible dose?
Parce que le cerveau humain continue sa croissance bien après la naissance, il devenait essentiel de rechercher les effets du mercure, même à des doses faibles, sur le développement des enfants. Plusieurs études de cohortes d'enfants ont été réalisées en divers endroits où les populations se nourrissent principalement des produits de la mer: aux îles Seychelles, aux îles Féroé, en Guyane, au Portugal, au Japon, en Nouvelle-Zélande, au Groenland et dans le Nord du Québec. Certaines de ces études ont établi qu'exposés au méthylmercure pendant leur vie utérine, des enfants pouvaient avoir des problèmes de santé cardiovasculaire, de coordination motrice, de perception visuelle, d'attention, de langage et de mémoire.
Le poisson, un aliment santé
Le poisson n'est pas qu'un réservoir de mercure. Il est aussi une très bonne source de protéines, de vitamines et de minéraux, il est généralement faible en gras saturés et en cholestérol et, contrairement à la viande, le poisson est riche en acides gras polyinsaturés de type oméga-3 qui sont bénéfiques pour la santé.
Le seuil limite
En se basant sur la notion de risque/bénéfice, sur le principe de précaution et sur les études scientifiques, les organismes de santé fixent des seuils de toxicité pour le mercure, et mettent en place des systèmes de veille toxicologique. Ils émettent des avis quant à la consommation du poisson que nous ramenons fièrement à la maison après notre sortie de pêche hebdomadaire. Santé Canada a proposé par exemple un seuil de 10 ppm de mercure dans les cheveux des femmes en âge de procréer. Même si vous n'avez pas votre petit kit de chimiste pour évaluer la quantité de mercure dans votre cheveu, sachez que pour atteindre ce seuil, il vous faudrait manger chaque semaine un repas de poisson «à risque». Ces seuils sont très sécuritaires, car ils tiennent compte des personnes les plus vulnérables dans la population: les bébés en développement.
Alors, consolez-vous si vous n'attrapez pas de brochet ou autre prédateur des lacs et rivières chaque semaine de votre saison de pêche: vous maintenez ainsi votre taux de mercure en dessous du seuil de toxicité. Évitez aussi de prendre l'habitude de vous consoler de vos infortunes de pêcheur en vous gavant de thon blanc en conserve.
Lire aussi: Le poisson:populaire et riche en oméga-3
Sources:
Ashraf W, Seddigi Z, Abulkibash A, Khalid M. 2006. Levels of selected metals in canned fish consumed in Kingdom of Saudi Arabia. Environ Monit Assess 117:271-279.
Burger J, Gochfeld M. 2004. Mercury in canned tuna: white versus light and temporal variation. Environ Res 96:239-249.
McALPINE D, RAKI S. 1958. Minamata disease: an unusual neurological disorder caused by contaminated fish. Lancet 2:629-631.
Faculté des Sciences de l'UQAM