Santé
La douleur, une affaire de perception
La douleur et la tolérance à la douleur varient d'un individu à l'autre. Voilà pourquoi...
Comment expliquer qu'une personne arrive à franchir le fil d'arrivée d'un marathon malgré des pieds boursouflés, en sang et couverts d'ampoules tandis qu'une autre s'évanouit presque de douleur à cause d'un simple genou écorché? Pourquoi la même blessure provoque-t-elle des souffrances insoutenables un jour et paraît beaucoup moins douloureuse le lendemain?
Tout simplement parce que le spectre de la douleur, qui varie de l'inconfort ressenti en se heurtant un coude au supplice relatif de la fracture d'un os, est très personnel, au même titre que chaque être humain est unique.
De plus, chacun de ces rendez-vous avec la douleur variera en fonction de différents facteurs comme le sexe, les émotions, les hormones, les expériences passées et même les personnes qui sont à nos côtés au moment fatidique.
Le niveau de concentration joue également un rôle non négligeable. Qui ne s'est pas déjà infligé une coupure ou une ecchymose sans s'en apercevoir, tout absorbé qu'il était par une tâche urgente à finir, alors qu'en d'autres circonstances la même blessure l'aurait fait grimacer de douleur?
Enfin, même les gènes entrent en ligne de compte. Certains d'entre eux accentuent la sensibilité à la douleur, tandis que d'autres aident à mieux métaboliser les analgésiques.
Le caractère extrêmement variable et individuel de la douleur a intrigué la Dre Angela Mailis-Gagnon, directrice du programme de la douleur globale au Western Hospital de Toronto, qui en a fait l'objet d'un ouvrage intitulé Beyond Pain, Making the Mind Body Connection. «Il serait naïf de vouloir expliquer la douleur uniquement par des facteurs biomédicaux, sans tenir compte du reste – c'est-à-dire qui nous sommes», dit-elle. Pas deux personnes ne ressentiront la douleur de la même manière; c'est pourquoi elle est d'avis qu'il y a autant de façons de traiter la douleur que de patients.Pourquoi souffrons-nous différemment?
À l'essence, deux grands facteurs déterminent comment chaque personne ressent la douleur: la modulation et la perception.
La modulation correspond à la variation des messages de douleur envoyés au cerveau. Les médicaments, l'hypnose et le stress, par exemple, sont autant d'éléments pouvant altérer ces signaux.
La perception, quant à elle, a plutôt à voir avec l'interprétation de la douleur. Le grand nombre de variables susceptibles de modifier les sensations de douleur, ajoute-t-elle, explique pourquoi les médecins ont parfois de la difficulté à traiter efficacement la douleur.
La perception de la douleur, curieusement, est aussi une question de culture, révèle le Dr Richard Tilsworth, anesthésiste et directeur par intérim du service de la douleur aiguë sur le campus Victoria du London Health Sciences Centre, en Ontario. Le Dr Tilsworth, qui a consacré 25 ans de sa vie au contrôle de la douleur, affirme que dans certaines cultures, il peut être difficile de nuancer la gravité du malaise ressenti. La Dre Mailis-Gagnon ajoute que les différences culturelles se manifestent aussi quand vient le temps de «se plaindre» de la douleur. Dans les sociétés où il est acceptable ou même bien vu d'exprimer ouvertement ses émotions, les gens sont plus enclins à reconnaître qu'ils ont mal et ne se sentent pas obligés de souffrir en silence.
La douleur chronique est un phénomène particulièrement complexe, surtout si on la compare à la douleur aiguë, souligne le Dr Tilsworth. La douleur aiguë provoquée par une fracture, par exemple, est localisée et empêche la personne de mouvoir le membre blessé, favorisant ainsi sa guérison. Ce type de douleur finit par s'estomper progressivement.
La douleur chronique, elle, ne sert absolument à rien et ne disparaît jamais. La partie touchée a beau être guérie ou intacte, elle continue de faire mal. Plusieurs raisons peuvent expliquer cet état de fait, selon le Dr Tilsworth. Dans certains cas, les nerfs sont affectés et modifient la façon dont le sujet perçoit la douleur. Parfois, les mêmes nerfs jouent des tours, un peu comme cela se produit avec la douleur illusionnelle ressentie après l'amputation d'un membre. Hélas, les mécanismes de ces phénomènes sont encore nébuleux.Les hommes et les femmes inégaux devant la douleur
Bien qu'on ne sache pas encore exactement pourquoi, hommes et femmes ne perçoivent pas la douleur de la même manière. «Les hommes sont souvent plus réticents à admettre qu'ils souffrent, voyant peut-être là un signe de faiblesse; par contre, les femmes ont plus de facilité à composer avec la douleur», observe le Dr Tilsworth. «À force de travailler au bloc opératoire, j'ai constaté que les hommes sont plus anxieux mais qu'ils réussissent mieux à le cacher. Les femmes avouent plus facilement qu'elles ont mal.»
Il faut dire, renchérit la Dre Mailis-Gagnon, que les femmes sont seules à vivre ce qui est considéré comme la «pire douleur humaine» qui soit, c'est-à-dire l'accouchement. De nombreux facteurs auront une influence sur la douleur provoquée par l'enfantement. Selon la Dre Mailis-Gagnon, ce qui rend la douleur plus tolérable pour la future mère, c'est surtout le fait de savoir que ces heures de torture seront récompensées lorsqu'elle pourra prendre son bébé dans ses bras. Mais elle s'empresse d'ajouter que les techniques de respiration et de relaxation sont également très importantes pour soulager la douleur, car elles aident la mère à rester calme et à se sentir en contrôle de la situation.
Tout porte à croire que les femmes – et les hommes – pourraient, avec un peu de pratique, apprendre à contrôler leur douleur. Si notre cerveau est responsable de notre façon de percevoir la douleur, pourquoi ne pourrait-il pas nous aider à mieux y faire face? Évidemment, cela ne veut pas dire qu'à simple force de volonté, on pourrait éliminer la douleur… mais sans doute y aurait-il moyen de l'apaiser quelque peu.
La montée d'adrénaline, un puissant antidouleur
Parmi les facteurs qui peuvent modifier la perception de la douleur, on peut mentionner l'exaltation ou la fébrilité (que vivent par exemple des soldats au plus fort de la bataille ou des footballeurs se livrant un match très serré). Celle-ci provoque une montée d'adrénaline qui peut faire paraître la douleur d'une blessure totalement négligeable.
Alors, si le cerveau joue un rôle aussi déterminant dans la douleur, pourrait-on imaginer des moyens de «baisser le volume» de la douleur ou de l'alléger, dans le cerveau même? Cela est peu probable, au dire des experts, car trop d'éléments influencent la douleur et varient constamment.
Le contrôle de la douleur, sensation à la fois très individuelle et souvent subjective, et surtout de la douleur chronique, n'a pas toujours été pris au sérieux par le corps médical. «Nous devons faire notre mea culpa», admet le Dr Merskey. «Nous sommes demeurés trop longtemps impassibles devant la douleur. Nous pourrions apporter un plus grand soulagement à nos patients si seulement nous étions davantage à l'écoute.»
Source: Vivre en santé, partenaire de Coupdepouce.com