Santé
Hyperphagie: un trouble alimentaire méconnu
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Entre les mains de personnes souffrant d’hyperphagie, la nourriture peut devenir une arme de destruction massive pour le corps. Lumière sur un trouble alimentaire méconnu.
Moins connue que les autres troubles du comportement alimentaire, l'anorexie par exemple, l'hyperphagie boulimique toucherait pourtant jusqu'à 3,5 % des femmes et 2 % des hommes au Canada. Autrement dit, près de deux millions de personnes! Fortement liée à l'obésité, l'hyperphagie a d'importantes répercussions sur la santé, tant mentale que physique.
Abus de nourriture en peu de temps
L'hyperphagie boulimique se caractérise par l'absorption d'énormes quantités de nourriture en un court laps de temps, et ce, au moins deux fois par semaine pendant un minimum de six mois. Les personnes qui en souffrent peuvent, par exemple, engloutir un litre de crème glacée, un grand sac de chips et une boîte de biscuits en moins d'une heure.
Pendant la crise («binge eating»), l'hyperphagique a l'impression de perdre le contrôle, mais il ne peut s'arrêter pour autant. Une crise d'hyperphagie réunit au moins trois des critères suivants:
- la personne mange jusqu'à avoir mal à l'estomac;
- sa consommation dépasse largement celle de la plupart des gens, dans le même délai et les mêmes circonstances:
- elle absorbe de grandes quantités de nourriture sans éprouver de la faim;
- elle mange seule pour cacher aux autres les imposantes quantités d'aliments qu'elle avale;
- après une crise, elle ressent une grande culpabilité. Elle est dégoûtée d'elle-même et se sent déprimée;
- ce comportement boulimique est pour elle la source d'une grande souffrance.
Ce qui différencie l'hyperphagie de la boulimie, c'est l'absence de comportements compensatoires. En effet, les hyperphagiques ne prennent aucuns moyens pour contrôler leur poids: ils ne se font pas vomir, ne prennent pas de laxatifs ou de médicaments amaigrissants, ne jeûnent pas et ne font pas d'exercices physiques à outrance, contrairement aux boulimiques.
Identifiée en 1992, l'hyperphagie touche presque autant les hommes que les femmes. Le trouble persiste en moyenne huit ans et apparaît la plupart du temps chez des sujets de 18 à 29 ans. En général, ceux qui demandent de l'aide sont déjà dans la quarantaine.
Alternance entre régimes excessifs et hyperphagie
Tout commence souvent par un simple régime amaigrissant: on essaie de suivre une diète, on s'impose de multiples restrictions. En fait, on ne mange presque rien. Et puis on craque, on avale tout ce qui nous tombe sous la main. Dans de nombreux cas, le trouble naît de l'alternance entre régimes draconiens et épisodes excessifs. Le tristement célèbre phénomène du poids yo-yo. Le problème, c'est que plus une personne enchaîne les diètes, moins elle ressent la satiété. Elle finit par manger trop, tout le temps, et à prendre du poids plutôt que de maigrir.
La nature a horreur du vide. Quand on contrôle à l'excès son alimentation, un relâchement exagéré suit. Inévitablement. Donc, lorsqu'un hyperphagique craque, il ingurgite de grandes quantités d'aliments «interdits». Pourquoi pas, se dit-il. Il sera toujours temps de reprendre le régime, mais c'est sans compter sur la frustration. Comme sur le vif sentiment de culpabilité qui suit les moments de faiblesse. Le problème, c'est que pour une victime de trouble alimentaire, la seule façon de calmer la frustration et la culpabilité, c'est de manger. Alors bonjour, cercle vicieux !
Conséquences physiques et psychologiques
L'hyperphagie peut avoir d'importantes conséquences sur la santé. Le principal risque demeure celui du surplus de poids. Des années passées à valser entre restrictions et compulsions mènent souvent à l'obésité et à son cortège de maux: hypertension, cholestérol, diabète, maladies cardiaques, accidents cardiovasculaires, problèmes des os et des articulations, etc.
L'hyperphagie entraîne aussi des conséquences psychologiques. Elle a un impact sur l'estime personnelle et, du coup, nuit au travail, aux relations sociales et à la sexualité.
Problème de santé... et d'émotions
Beaucoup de femmes qui présentent des troubles alimentaires sont très préoccupées par le regard des autres. En général, les personnes atteintes ont une faible estime d'elles-mêmes et elles se soucient excessivement de leur poids. Les hyperphagiques ont souvent un tempérament impulsif et éprouvent de la difficulté à gérer leur émotivité. Littéralement, ce sont des gens qui «mangent leurs émotions».
Des chercheurs en psychiatrie de l'Université de Harvard ont aussi remarqué que les problèmes de comportement alimentaire coïncident souvent avec des troubles de l'humeur, comme la dépression et l'anxiété.
Selon certains spécialistes, de nombreux hyperphagiques font très tôt dans leur vie le lien entre nourriture et émotions. On pense à l'enfant qu'on récompensait d'un dessert ou à celui qui était privé de nourriture pour avoir désobéi. Et que dire de ceux qu'on forçait à finir leur assiette même s'ils n'avaient plus faim et qui, de ce fait, n'ont pas appris à reconnaître le signal de satiété. Chose sûre, l'éducation a une influence déterminante sur les habitudes alimentaires qu'on adoptera pendant le reste de sa vie.
La thérapie cognitive pour traiter l'hyperphagie
Les thérapies cognitivo-comportementales peuvent s'avérer efficaces pour traiter l'hyperphagie boulimique. En réalité, la prise en charge au niveau psychologique est essentielle. La thérapie cognitive s'emploie à modifier les pensées et les comportements irrationnels de la personne face au poids et à l'alimentation - par exemple, le fait de croire que si l'on mange, on va nécessairement engraisser.
Il faut ainsi amener la personne à établir un rapport sain avec la nourriture. Dans ce but, certains thérapeutes demandent au patient de tenir un journal alimentaire dans lequel il note le moment de la journée et les circonstances dans lesquelles se produisent ses pertes de contrôle. Le travail se fait souvent de pair avec une nutritionniste, un psychologue et un psychothérapeute.
Une nutritionniste peut aussi aider l'hyperphagique à adopter de saines habitudes alimentaires, sans privation. Aucun aliment ne lui est interdit et le patient peut manger quand il veut.
Au cours de la thérapie, on doit apprendre au patient à dissocier faim et émotions. De même, on l'amène à éliminer le sentiment de culpabilité qu'il ressent après avoir mangé. La moitié du travail consiste bien souvent à déprogrammer les croyances erronées et les restrictions cognitives bien ancrées.
De manière générale, les résultats de la psychothérapie sont encourageants, quoique la plupart des hyperphagiques demeurent sensibles aux troubles du comportement alimentaire toute leur vie. Heureusement, les outils acquis en thérapie leur permettront d'éviter le cercle vicieux des régimes et des rages de bouffe.
Sources
Merci à Josée Guérin, nutritionniste et psychothérapeute, fondatrice de la Clinique psychoalimentaire.
Mayrand, K. Hyperphagie: manger sans se contrôler, Servicevie.com, 2003.