Nutrition
Pourquoi doit-on manger moins de sucre?
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On a réduit le gras dans notre alimentation. On se préoccupe maintenant d’un autre ingrédient: le sucre, dont on mange beaucoup, beaucoup trop. Tour d’horizon d’un délicieux problème.
Du sirop à la vanille dans notre café du matin, un repas surgelé de pâtes pour le lunch, un muffin «santé» au son en après-midi, un verre de vin au souper... De repas en collations, on consomme énormément de sucre, souvent à notre insu: 110 g de sucre par jour pour le Canadien moyen! «C'est beaucoup trop», déplore le Dr Martin Juneau, cardiologue et directeur de la prévention à l'Institut de cardiologie de Montréal.
Le phénomène est en partie attribuable au fait qu'on cuisine moins qu'auparavant et que les produits transformés, qui contiennent beaucoup de sucres ajoutés, sont de plus en plus présents dans notre assiette. «La lutte au gras a aussi eu un effet pervers, constate le Dr Juneau. Au cours des dernières années, l'industrie alimentaire a créé plusieurs produits sans gras ni cholestérol auxquels elle a ajouté du sucre pour compenser et donner du goût, haussant d'autant notre consommation de sucres. À mon avis, ça a été une erreur de santé publique de miser uniquement sur la réduction du gras et de laisser aller le sucre. On voit aujourd'hui que le sucre utilisé par l'industrie alimentaire est omniprésent et néfaste pour notre santé.»
L'ABC du sucre
Les sucres appartiennent à la famille des glucides, qui représentent notre principal carburant. Dans le corps, les glucides sont transformés en glucose pour alimenter nos cellules, notamment celles de notre cerveau, qui se nourrit uniquement de glucose. Il y a deux principaux groupes de glucides:
- les sucres simples (glucose, fructose, galactose), formés de petites molécules facilement absorbées par l'organisme, qu'on appelle souvent les sucres rapides. On retrouve ces sucres à l'état naturel notamment dans les fruits, le lait, le miel et le sirop d'érable, mais aussi dans le sucre de table et dans le sucre ajouté aux aliments transformés du commerce (barres tendres, vinaigrettes, repas surgelés, céréales à déjeuner, boissons sucrées, etc.).
- les sucres complexes, qui sont formés d'une longue chaîne de glucose, absorbés plus lentement. On les appelle les sucres lents. On les retrouve essentiellement dans les pommes de terre, les céréales, les pâtes alimentaires, le riz et les légumineuses.
Bon sucre, mauvais sucre
«Notre corps a besoin de glucides pour bien fonctionner, mais il arrive très bien à combler ses besoins en glucose à partir de fruits et des sucres complexes», signale Nathalie Jobin, nutritionniste et directrice d'Extenso, le Centre de référence sur la nutrition humaine de l'Université de Montréal.
L'idéal pour notre organisme, c'est de maintenir un taux de sucre sanguin (glycémie) stable. Pour y arriver, Roseline Gagnon, naturopathe agréée et titulaire d'une maîtrise en nutrition, recommande elle aussi de se tourner vers les sucres complexes. À condition toutefois de privilégier les céréales à grains entiers, car les céréales raffinées, comme le pain blanc, la farine blanchie et le riz blanc, ont été dépouillées d'une bonne partie de leurs nutriments et sont donc vite absorbées par l'organisme à la manière des sucres rapides.
Mais les sucres dont il faut se méfier surtout sont les sucres simples ajoutés: c'est-à-dire ceux qu'on ajoute nous-même à nos plats et à nos recettes, et ceux qui sont ajoutés aux produits du commerce. On pense notamment au sucre blanc, mais aussi au sirop de maïs à haute teneur en fructose ou HFCS (pour high fructose corn syrup). Ce sirop fabriqué chimiquement à partir d'amidon de maïs est largement utilisé par l'industrie alimentaire comme sucre ajouté. Il contient plus de fructose que de glucose. Or, le fructose est problématique, car il n'induit pas ou peu de sécrétion de leptine, l'hormone qui intervient pour nous dire qu'on a assez mangé. Ce qui veut dire que, même si on consomme une importante quantité de fructose, on ne se sent pas rassasiée. On en prend donc plus qu'il ne faut et on accumule les calories.
Les méfaits du sucre
«Quand une quantité importante de sucre arrive dans notre sang, le corps stocke le surplus de glucose dans le foie et dans les muscles afin qu'il soit disponible lorsqu'on aura besoin d'énergie, explique Roseline Gagnon. Notre corps est cependant très économe et, quand il a mis suffisamment de sucre en réserve, il transforme l'excès en gras. Et on peut stocker du gras dans nos cellules adipeuses sans limite...» C'est donc dire qu'une surconsommation de sucre vient charger nos cellules adipeuses, augmentant ainsi les risques d'embonpoint, d'obésité et des maladies qui y sont rattachées, comme le diabète et les maladies du coeur.
L'arrivée rapide de sucre dans le sang provoque aussi une importante sécrétion d'insuline, l'hormone qui permet de stabiliser notre taux de glycémie. Or quand de fortes sécrétions d'insuline surviennent trop souvent, nos cellules peuvent y devenir moins sensibles et cela nous prédispose au diabète de type II. «À la longue, la sécrétion d'insuline entraîne aussi une inflammation des tissus, note le Dr Juneau. Cela crée notamment une inflammation des artères et favorise l'athérosclérose. Certaines études associent même la grande consommation de sucre à l'augmentation de cancers. Les liens ne sont pas directement établis, mais on pense que cela peut avoir à faire avec l'effet inflammatoire du sucre sur les tissus.»
Enfin, le fructose ajouté aux aliments (comme le HFCS), qui est métabolisé par le foie, favorise la stéatose hépatique (foie gras) lorsqu'il est consommé en grande quantité. Ce gras hépatique est aussi néfaste pour notre santé cardiaque.
Phénomène de dépendance?
Pour ajouter à l'inquiétude, des études ont aussi démontré que le sucre stimulait certaines zones du cerveau à la manière de drogues. «On apprend vite à aimer les choses sucrées parce que ça nous apporte des calories et on a besoin de calories pour survivre. Notre cerveau est fait pour désirer les aliments à forte teneur calorique comme le sucre et le gras. De là, la popularité du fast-food», souligne le Dr Alain Dagher, neurologue à l'Institut de neurologie de Montréal.
Il confirme que des études faites sur des rats ont montré que la recherche de sucre chez l'animal est aussi forte que la recherche de cocaïne. «Pour montrer qu'un animal est dépendant d'une drogue, on l'oblige à travailler fort pour en obtenir. Des études ont révélé que les rats sont prêts à faire beaucoup d'effort pour consommer du sucre et qu'une fois qu'il l'ont obtenu, ils se mettent à en manger compulsivement, c'est-à-dire plus qu'il n'en faut pour combler leurs besoins caloriques, note le neurologue. Quand on observe le cerveau de ces rats, on voit des réponses semblables à celles provoquées par la consommation de cocaïne.»
En bref, le sucre stimule les zones du cerveau associées à la récompense et au plaisir. «Ce qui fait que plus on mange de sucre, plus on a le goût d'en manger, à la manière d'une drogue!» Mais pour le neurologue, on devrait parler davantage d'une forte attirance et non d'une dépendance. Les personnes interrogées sont d'accord: pas besoin d'entrer en cure de désintox pour réduire notre consommation de sucre. On doit cependant faire preuve de détermination, surtout si on a la dent sucrée, mais le goût du sucre se perd assez rapidement.
Qu'est-ce qu'une consommation saine?
Selon Santé Canada, 45 à 65% de notre apport énergétique quotidien doit provenir du groupe des glucides. Pour y arriver, nos experts indiquent qu'il faut privilégier les sucres naturellement présents dans les fruits, les légumes, les céréales complètes et les légumineuses et limiter le plus possible notre consommation de sucres ajoutés.
L'Organisation mondiale de la santé vient tout juste d'abaisser ses recommandations pour que pas plus de 5% de notre apport calorique quotidien soit issu des sucres ajoutés, soit environ 6 cuillerées à thé, recommandation qui convient au Dr Juneau. «Si on consomme moins de 5 % de notre apport calorique en sucre ajouté, le risque de maladies cardiovasculaires est à peu près nul, indique le cardiologue. Mais quand on dépasse les 15% et 20%, les risques d'accidents cardiaques se multiplient. Personnellement, je crois qu'il faudrait viser zéro sucre ajouté dans notre alimentation, car on n'a pas besoin de ces sucres.»
Les bienfaits d'une réduction du sucre
«Quand on réduit les sucres ajoutés, on donne davantage de place à des aliments plus nutritifs qui contiennent des fibres, des protéines et des sucres complexes, dit Nathalie Jobin. Cela nous permet d'avoir un niveau d'énergie plus stable et une meilleure concentration.»
«On a une meilleure vivacité d'esprit, poursuit Roseline Gagnon. En maintenant un niveau stable de sucre sanguin, on évite les maux de tête, les sautes d'humeur et les coups de barre d'après-midi. À la fin de la journée, on a encore de l'énergie pour s'activer.»
Réduire les sucres permet aussi d'éloigner la carie dentaire, le diabète et les maladies cardiovasculaires tout en favorisant le maintien d'un poids santé. En prime, cela permet de redécouvrir le goût de certains aliments. «On découvre des saveurs plus naturelles, plus douces ou plus subtiles qu'on goûtait moins parce qu'on était habituée à avoir une intensité de sucre dans la bouche», indique Mme Jobin.
Pour en savoir plus
- Pour en finir avec le sucre, par Ann Louise Gittleman, Caractère, 2013, 304 p., 24,95$.
- Trop de sucre, par Dr Mark Hyman, Marabout, 2013, 476 p., 29,95$.