Nutrition
Le grand guide des protéines
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Si nos prédictions sont bonnes, les comptoirs des viandes prendront de moins en moins de place à l’épicerie et un rayon consacré aux protéines de substitution pourrait même apparaître dans les supermarchés...
La fin du règne animal dans nos assiettes est annoncée. Vive la diversification!
Au Canada, la consommation de viande est bien ancrée dans nos habitudes alimentaires et notre patrimoine culinaire. La viande hachée, le steak, la saucisse, le bacon, le jambon, le poulet et autres charcuteries sont cuisinés quotidiennement par un Canadien sur deux, selon une étude menée par l’Université Dalhousie, à Halifax, en Nouvelle-Écosse. «On a une histoire d’amour avec la protéine animale», fait remarquer Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politiques alimentaires et directeur scientifique du Laboratoire en science analytique agroalimentaire de ce même établissement.
Or, depuis quelques années, des spécialistes des domaines médical, environnemental et nutritionnel parlent de l’importance de réduire notre consommation de viande. En 2019, le Guide alimentaire canadien a subi une importante refonte en intégrant, entre autres, les groupes «viandes et substituts» et «lait et substituts» dans un grand ensemble rebaptisé «aliments protéinés» et en retirant la recommandation de boire du lait chaque jour. La même année, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) établissait dans un rapport que la diversification des protéines pourrait être l’une des solutions pour freiner le réchauffement climatique.
Plusieurs d’entre nous sont prêts à intégrer d’autres sources de protéines dans leur alimentation. Selon Sylvain Charlebois, qui a publié l’automne dernier La révolution des protéines: sauver la planète un repas à la fois aux Éditions de l’Homme, le nombre de Canadiens qui diminueront leur consommation de viande quotidienne ou qui l’élimineront complètement pourrait dépasser le cap des 10, voire 16 millions, d’ici 2025.
Pourquoi manger moins de viande?
1. Pour des raisons financières
Les amateurs de gros steaks sur le BBQ le savent: le prix de la viande a explosé! Dans son livre, Sylvain Charlebois cite en guise d’exemples plusieurs coupes de bœuf, comme le steak de ronde ou le bifteck, dont le coût a gonflé de plus de 70% depuis une dizaine d’années. «Dans l’ensemble des cas, le prix des sources de protéines animalières a augmenté plus rapidement que les salaires», indique-t-il.
Bref, manger de la viande est en train de devenir un luxe. Même chose pour les produits laitiers: en 2021, on payait la livre de beurre 29% plus cher qu’en 2009. Pour ce qui est des œufs, la douzaine se vendait 3,82$ au lieu de 2,60$, soit une hausse de 47%!
2. Pour des raisons environnementales
Avec une population mondiale qui devrait atteindre les 10 milliards d’habitants d’ici 2050, le Conseil national de recherches Canada prévoit que la demande de protéines doublera. Or, l’élevage exerce déjà une pression importante sur l’environnement, car il nécessite énormément d’eau (il faut environ 7000 litres d’eau pour produire 500g de bœuf, selon une étude parue en 2018 dans la revue Nature) et émet beaucoup de CO2 (soit 32,5kg pour 1kg de bœuf et 12,9kg pour 1kg de porc contre seulement 0,1kg pour 1kg de soya, selon le GIEC). De plus, la production de nourriture pour animaux accapare une grande partie des terres agricoles dans le monde (77%, selon les Nations unies).
3. Pour des raisons de santé
En 2015, le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), une agence de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), a établi que la viande rouge est «probablement cancérigène» et que les viandes transformées «sont cancérigènes». Leur consommation en grande quantité est également associée à des risques plus élevés de maladies chroniques, dont le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires.
4. Pour des raisons d’éthique animale
Des personnes choisissent de ne plus manger de viande ou de produits d’origine animale à cause de certaines pratiques d’élevage qui causent de la souffrance aux animaux, et même leur mort.
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Nos protéines préférées de demain
Manger moins de protéines animales, d’accord! Mais par quoi les remplacer? Annie Ferland, nutritionniste, docteure en pharmacie et fondatrice de la plateforme Science & Fourchette, se joint à Sylvain Charlebois pour dresser une liste des protéines qui se tailleront une place de choix dans notre assiette dans un avenir rapproché.
Les légumineuses
Les lentilles, haricots, pois chiches et compagnie se sont immiscés dans nos repas par l’entremise des cuisines asiatique, mexicaine et sud-américaine, entre autres. De plus en plus de gens les utilisent pour remplacer la viande en totalité ou en partie dans leurs recettes traditionnelles de sauce bolognaise, de pâté chinois ou de tourtière. Et c’est tant mieux, parce que non seulement les légumineuses ne coûtent presque rien, mais aussi elles figurent parmi les protéines les plus durables.
En effet, leur culture nécessite peu d’eau et pratiquement aucun engrais azoté qui pollue l’air et l’eau. Annie Ferland mise également beaucoup sur le soya, une protéine complète, très polyvalente et facile à cuisiner grâce à ses nombreux dérivés, tels que l’edamame, le tofu, le tempeh, le miso, le tamari et la protéine végétale texturée (PVT).
Les insectes
Sylvain Charlebois rappelle aux gens qui éprouvent du dégoût à l’idée de manger des grillons, larves, fourmis rouges, sauterelles et autres bibittes que 80% des habitants de la planète en consomment quotidiennement. Il faut dire que les insectes constituent une source élevée de protéines tout en contenant moins de matières grasses que la viande.
L’industrie s’y intéresse aussi en raison de leur faible coût de production (les insectes occupent peu d’espace) et de la réduction du gaspillage alimentaire de même que de la production de GES due à l’enfouissement des déchets organiques (la nourriture des insectes) qu’entraîne leur élevage. Et rassurez-vous: nul besoin de les manger entiers, on peut s’en procurer en poudre ou en farine.
Les noix
On les oublie souvent, mais les noix sont une source intéressante de protéines. Passe-partout, elles s’intègrent aussi bien dans les recettes salées que sucrées, dans les repas comme dans les collations. Pour toutes ces raisons, Annie Ferland pense qu’elles devraient faire partie du menu de quiconque souhaite diminuer sa consommation de viande.
Les noix que l’on consomme à l’heure actuelle proviennent principalement de pays étrangers (ce qui n’est pas trop bon pour le climat!), mais il est possible d’en cultiver plusieurs variétés ici. Il reste maintenant à développer cette nouvelle activité agricole, une mission que s’est entre autres donnée le Club des producteurs de noix comestibles du Québec.
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Les algues
Elles sont encore méconnues au Canada, mais plus pour longtemps, prédit Sylvain Charlebois, qui croit qu’elles pourraient bientôt être utilisées dans divers aliments pour augmenter leur valeur nutritive. À la maison, on peut les cuisiner autant fraîches que séchées et réhydratées. «Les algues sont considérées comme une source efficace et durable, car elles n’ont pas besoin d’un approvisionnement en eau douce ni de terres arables pour proliférer», écrit le chercheur.
Annie Ferland émet toutefois une mise en garde: «Les algues sont très riches en sodium. Elles ne doivent pas être vues comme une source de protéines, mais plutôt comme des assaisonnements ou des accompagnements protéinés.»
L’agriculture cellulaire (pour la viande) et la fermentation de précision (pour le lait)
La production de viande en laboratoire n’est pas aussi compliquée ou futuriste qu’on pourrait le penser, soutient Sylvain Charlebois. «Après avoir prélevé par biopsie des cellules souches d’un animal vivant, on les laisse se multiplier et se différencier en cellules de muscles dans un environnement adapté à leur croissance», résume-t-il dans son livre.
Il y aurait actuellement plus de 100 projets de recherche différents à travers le monde, dont 13 au Canada. En 2020, Singapour a autorisé la vente de poulet créé en laboratoire, et prévoit faire de même avec le bœuf et le thon. Le Canada pourrait emboîter le pas d’ici 2025, avance le chercheur, qui croit même que nous cultiverons un jour notre viande dans nos cuisines à l’aide de minibioréacteurs.
Remplacer la viande, oui, mais...
... pas au détriment de la valeur nutritive, martèle Annie Ferland. Attention de ne pas tomber dans le piège de remplacer une boulette de steak haché (un aliment frais et minimalement transformé), par exemple, par une galette végé ultratransformée, bourrée de sodium et d’additifs alimentaires.
D’ailleurs, selon la nutritionniste, les principaux obstacles à une transition vers d’autres sources de protéines au sein de la population sont le manque d’éducation en nutrition et la difficulté à changer nos habitudes alimentaires, et ce, malgré toutes nos bonnes intentions. «Les protéines végétales ne font pas partie du répertoire culinaire de notre enfance et il n’y a pas de cours de nutrition à l’école. Alors donnons-nous le temps d’apprivoiser les différentes protéines et d’apprendre à les cuisiner. Et surtout, évitons de nous mettre de la pression pour manger moins de viande du jour au lendemain», conclut-elle.