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Comment décrocher en vacances
Certaines accros au boulot n'arrivent pas à décrocher quand les vacances arrivent. Que faire? Trucs pour lâcher prise et partir la tête en paix.
Vacances: 10 façons d'en profiterAvant...
Et pendant…
Deux histoires vécues
Lyette, directrice générale d'une société de gestion de droits dans le milieu culturel, ne part jamais en vacances sans son BlackBerry. «C'est comme une drogue. Je suis incapable de m'en passer. Je le consulte chaque jour, et deux fois plutôt qu'une. Quand c'est un message important, je réponds.» Elle dit se sentir rassurée de partir en sachant que ses collègues peuvent la joindre en cas de pépin. «J'ai beau être en vacances, les affaires continuent à tourner. Je négocie et je transige souvent avec des gens de Toronto, où le rythme de travail est encore plus effréné qu'ici. Quand ils m'envoient un message à 8 h, ils s'attendent à ce que je réponde à 8 h 05.»
Caroline, travailleuse autonome spécialisée notamment dans l'organisation d'événements, connaît la même difficulté à abandonner ses responsabilités professionnelles. «Je suis une personne plutôt anxieuse, du genre à dormir avec un calepin et un crayon à côté de mon lit pour noter les bonnes idées qui me réveillent la nuit. J'ai du mal à me bloquer une semaine de vacances. J'ai peur de perdre des contrats, avoue-t-elle. Et, même une fois en congé, je ne résiste pas toujours à la tentation de prendre mes courriels. L'été dernier, j'avais planifié deux semaines de vacances, mais, à la dernière minute, j'ai accepté de dépanner un client. J'ai travaillé trois jours. C'est comme si ma tête était restée au bureau.»
Société des loisirs?
Comme Lyette et Caroline, nombre de travailleurs ont du mal à se détacher du boulot, même en congé. Un sondage du service de voyage en ligne Expedia Canada, effectué en 2007, révèle que 13% des Québécois prennent leurs messages professionnels pendant leurs vacances et que 15% des travailleurs préfèrent échanger leurs journées de vacances contre de l'argent. L'étude montre également que 18% des Québécois se sentent coupables de s'absenter du bureau.
Le Dr Mario Messier, spécialisé en promotion de la santé au travail, constate que cette incapacité à se détacher du boulot est de plus en plus fréquente. «Les futurologues des années 80 qui nous promettaient une société des loisirs ont fait fausse route. Les Occidentaux travaillent plus aujourd'hui qu'il y a 20 ans et de façon plus intensive en raison de la mondialisation, de la concurrence et de l'omniprésence d'outils technologiques qui les attachent au travail.» Selon Statistique Canada, la proportion de travailleurs qui consacrent 10 heures ou plus par jour à leur travail s'élevait à 25% en 2005, comparativement à environ 17% en 1986.
Le travail a pris une énorme place dans nos vies, observe Martine Lemonde, directrice des services professionnels pour la firme d'orientation et de gestion de carrière Brisson Legris. «Certaines personnes trouvent leur valeur personnelle dans le travail. C'est une des raisons qui expliquent leur difficulté à décrocher, même en vacances. Quand tous nos sentiments de bien-être, de bonheur et de réalisation passent par nos activités professionnelles, on se retrouve démunie lorsque vient le temps de s'arrêter pour les vacances.» Certaines s'organisent alors pour que la roue continue de tourner...Problème profond
«D'autres encore ont du mal à se détacher parce qu'ils ne font pas confiance aux gens en place durant leur absence, ajoute Martine Lemonde. Soit parce qu'ils ne délèguent pas facilement, soit parce qu'ils ont eu de mauvaises expériences.» Jocelyne, pharmacienne propriétaire, entre dans cette catégorie. Au cours des sept dernières années, elle n'est pas arrivée à prendre plus d'une semaine de vacances l'été avec ses trois enfants. «Et encore, je rentrais parfois au travail une ou deux demi-journées parce que je n'avais trouvé personne pour me remplacer. Pour un propriétaire de commerce, les vacances représentent davantage une période de stress que de repos, explique-t-elle. On s'inquiète du bon fonctionnement de la pharmacie, on sait qu'au retour des clients vont manifester leur insatisfaction, etc. Bizarre, mais c'est en remettant les pieds au travail que j'éprouvais du soulagement. Enfin, j'étais là pour faire face aux imprévus.»
Le Dr Messier constate que certaines personnalités sont plus disposées que d'autres à avoir du mal à décrocher: «Ce sont celles qui accordent beaucoup d'importance à la performance et aux résultats, et qui veulent toujours bien paraître devant le patron.» «Les travailleurs qui n'arrivent pas à décrocher se croient indispensables, ajoute Diane Arseneau, coach et consultante en gestion de carrière. Ils pensent que l'entreprise ne peut pas rouler sans eux.» Refuser de décrocher du boulot peut aussi prendre son origine dans certains malaises plus profonds, poursuit Marie-Claude Lamarche, psychologue spécialisée en santé et psychologie au travail. «Ainsi, une femme qui vient de perdre son enfant dans un accident tragique pourrait se lancer dans le travail afin d'éviter de penser à son drame. Des problèmes conjugaux peuvent aussi inciter une personne à faire de même. À court terme, ça va. Il est parfois nécessaire de fuir la réalité quand elle est trop tragique. Mais, à un moment donné, il faut faire face à la musique.»
Martine Lemonde a vécu ce genre d'expérience. «Mon conjoint est mort d'un cancer et, durant l'année et demie qui a précédé son décès, je n'ai presque pas pris de vacances. Au bureau, je me sentais bien, j'avais l'esprit occupé. Travailler me permettait de me sortir un peu de ma vie, qui était difficile. Un mois après le décès de mon conjoint, par contre, je suis partie trois semaines en vacances pour me ressourcer.»
Ça arrive à tout le monde
Les spécialistes interrogés s'entendent pour dire que la situation touche tous les types de travailleurs. La difficulté réside moins dans la nature du travail que dans la relation qu'on entretient avec notre boulot. «Il y a des gens avec énormément de responsabilités professionnelles qui décrochent très facilement, remarque Marie-Claude Lamarche. D'autres ont moins de responsabilités, mais n'arrivent pas à se détacher.» Elle reconnaît cependant que le stress inhérent à certains emplois peut ajouter à l'incapacité de lâcher prise durant les vacances.
Marie-Claude, qui est policière en patrouille en Montérégie, peut en témoigner. Elle travaille sur des quarts de neuf heures alternativement de jour, de soir et de nuit. Son conjoint est aussi policier au même poste qu'elle. Pas facile de décrocher! «Quand je suis en congé, bien souvent, mon chum travaille. Et, quand il revient, il me parle du boulot et ça me ramène au bureau. Quand vient le temps de prendre nos vacances, il faut qu'on parte à l'extérieur. En restant en ville, on rencontre inévitablement des citoyens qui nous reconnaissent ou des collègues de travail. Et, pendant notre congé, on évite de parler du travail. C'est la seule façon de décrocher qui fonctionne vraiment pour nous.»
Santé en péril
Quand on ne s'arrête jamais et qu'on roule à vive allure même durant nos vacances, on se dirige tout droit vers l'épuisement, prévient le Dr Messier. «La dépression, les troubles d'anxiété, l'irritabilité sont autant d'effets néfastes de ce rythme infernal.» Marie-Claude Lamarche ajoute que l'être humain est programmé pour vivre une réaction de stress par jour. «On estime que les travailleurs en vivent en moyenne 50. À ce rythme, le corps n'a jamais le temps de récupérer. On est toujours sur l'adrénaline. Ironiquement, c'est souvent quand on s'arrête enfin pour les vacances que les symptômes du stress apparaissent, qu'il s'agisse de maux de tête, d'insomnie, de tensions musculaires, de problèmes digestifs ou d'étourdissements.»
Il faut être à l'écoute de ces signes pour ralentir la cadence. «À la maison, quand un fusible saute, on le remplace et on débranche certains appareils. On reconnaît qu'on a surchargé le système électrique, illustre la psychologue. Le corps est aussi un système qu'il ne faut pas surcharger.» Jocelyne se souvient de périodes intensives où elle devait occuper presque tous les postes dans sa pharmacie. «Quand j'ai perdu mon gérant, j'ai dû prendre en charge le plancher tout en étant la pharmacienne du laboratoire.» Elle travaillait alors presque tous les week-ends et se tapait des semaines de 50 à 60 heures. Mais son corps a commencé à lui lancer des messages. «Durant mes journées de congé, je ressentais une fatigue chronique, des douleurs musculaires diffuses et je souffrais régulièrement de migraines.»
L'entourage immédiat peut aussi souffrir de la situation, comme en témoigne Caroline. «Mon incapacité à décrocher crée des tensions avec mon conjoint. Il me reproche de ne jamais vraiment être en congé avec lui. Il arrive que des chicanes de ménage ponctuent nos vacances. Et quand je reviens au boulot, je suis souvent plus fatiguée qu'avant mon départ!»Revenir en force
Les vacances sont essentielles et salutaires, disent les spécialistes. Pour maintenir un équilibre dans notre vie, il faut absolument décrocher du boulot. «Beaucoup de gens disent adorer leur travail au point de ne pas avoir besoin de s'arrêter, déplore Marie-Claude Lamarche. C'est faux. Même si on aime nos enfants, on a parfois besoin de partir en couple. Quand on revient, on est contents de les retrouver. C'est la même chose avec le travail. Partir en vacances permet de revenir avec plus d'énergie.»
«Les vacances représentent un excellent outil de productivité, renchérit le Dr Messier. Le travail nous demande des performances parfois comparables à celles d'athlètes olympiques, illustre-t-il. Dans le monde du sport, on sait depuis longtemps que la période de repos est aussi importante que la période d'entraînement. C'est la même chose au travail. Quand on prend des vacances et qu'on décroche complètement, on revient reposé, motivé, avec la tête pleine de nouvelles idées.» «Les vacances permettent de prendre du recul par rapport aux dossiers professionnels, ajoute Diane Arseneau. Au retour, les difficultés nous apparaissent moins grandes. On trouve parfois même des solutions à certains problèmes.»
«Ça permet aussi de se réaliser à travers autre chose que le travail, poursuit Martine Lemonde. En vacances, on découvre des loisirs, on développe des passions et des relations. Tout ça nous rend moins dépendante du boulot. À long terme, ça évite que tout notre monde ne s'écroule si un jour on perd notre emploi, et ça aide aussi le passage éventuel à la retraite.»
Pour améliorer sa qualité de vie, Jocelyne a décidé de vendre sa pharmacie et de travailler comme salariée pour une autre propriétaire. «Je travaille maintenant 35 heures par semaine. Comment ai-je fait pour tenir le coup au cours des dernières années? se demande-t-elle. Aujourd'hui, j'ai plus d'énergie, je ne fais presque plus de migraines. Cet été, on a prévu partir au moins deux semaines en famille au bord de la mer. J'ai hâte d'en profiter!»
Lyette a elle aussi pu constater les bienfaits des vacances - bien malgré elle. «L'été dernier, j'ai pris une semaine de vacances dans un centre de villégiature en Estrie avec mon conjoint et mes deux enfants. Il m'a été impossible de prendre mes messages parce que le réseau ne se rendait pas jusque-là. Pour la première fois en quatre ans, j'ai profité d'une semaine de congé sans consulter mon BlackBerry. C'est incroyable, le sentiment de liberté que j'ai éprouvé. On y retourne cet été. Notre place est réservée depuis un an.»
Le Dr Messier n'hésite pas à prescrire des vacances. «La clé pour demeurer en santé longtemps, c'est d'avoir une saine alimentation, de faire de l'exercice et de s'organiser pour ne pas avoir trop de stress. Cela veut dire dormir suffisamment et prévoir des moments de repos, des loisirs et des vacances.»
Bouquins pour aller plus loin
Une année pour moi, mon projet de vie, par Mélissa Lemieux, Les Éditions de l'Homme, 2007, 301 p., 29,95$. Agenda pour gérer son temps en fonction de véritables priorités (incluant les vacances et les voyages!)
Ralentir pour réussir, par David Bernard, Isabelle Quentin éditeur, 2007, 143 p., 27,50$. Trucs pour ralentir le rythme au travail et améliorer sa vie.